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08/02/2010 | FRANCE | N°304812

France | France, Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 08 février 2010, 304812


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 avril et 16 juillet 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la REGION ILE DE FRANCE, représentée par le président du conseil régional ; la REGION ILE DE FRANCE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 13 février 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris l'a condamnée à verser à la société Dumez Ile-de-France, d'une part, la somme de 238 525,55 euros au titre des travaux supplémentaires d'un marché de reconstruction du lycée technique Jean J

aurès, somme portant intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 1997,...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 avril et 16 juillet 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la REGION ILE DE FRANCE, représentée par le président du conseil régional ; la REGION ILE DE FRANCE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 13 février 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris l'a condamnée à verser à la société Dumez Ile-de-France, d'une part, la somme de 238 525,55 euros au titre des travaux supplémentaires d'un marché de reconstruction du lycée technique Jean Jaurès, somme portant intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 1997, d'autre part, la somme de 8 404,07 euros au titre des intérêts moratoires et, enfin, a rejeté ses appels en garantie ;

2°) de lui allouer une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alban de Nervaux, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de la REGION ILE DE FRANCE, de Me Foussard, avocat du département de Paris et de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de la société Dumez Ile-de-France,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Peignot, Garreau, avocat de la REGION ILE DE FRANCE, à Me Foussard, avocat du département de Paris et à la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de la société Dumez Ile-de-France,

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que dans le but de réaliser la reconstruction du lycée technique Jean Jaurès (Paris 19ème), la REGION ILE DE FRANCE, maître d'ouvrage, a conclu le 20 juillet 1990 une convention de maîtrise d'ouvrage déléguée avec le département de Paris ; que par un acte d'engagement signé le 22 janvier 1992 par le directeur de l'architecture du département de Paris, personne responsable du marché, le marché a été attribué à la société Dumez Ile-de-France ; que la REGION ILE DE FRANCE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 13 février 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris l'a condamnée à verser à la société Dumez Ile-de-France, d'une part, la somme de 238 525,55 euros au titre des travaux supplémentaires réalisés dans le cadre du marché de reconstruction du lycée technique, somme portant intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 1997, d'autre part, la somme de 8 404,07 euros au titre des intérêts moratoires et, enfin, a rejeté ses appels en garantie dirigés contre le département de Paris et M. A, mandataire du groupement en charge de la maîtrise d'oeuvre ; que, par la voie du pourvoi incident, la société Dumez Ile-de-France demande l'annulation du même arrêt, en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions indemnitaires ;

Sur le pourvoi principal :

Considérant, en premier lieu, que la REGION ILE DE FRANCE a adressé au greffe de la cour administrative d'appel de Paris, à l'attention du commissaire du gouvernement, une demande de communication du sens des conclusions de ce dernier ; que cette demande, transmise par télécopie, a été reçue au greffe à 14h35 le 29 janvier 2007, soit la veille de l'audience prévue le lendemain à 9h15 ; qu'elle ne comportait aucune mention particulière permettant de déceler la nécessité de sa transmission urgente au commissaire du gouvernement ; que, dans ces circonstances particulières, le moyen tiré de ce que l'arrêt de la cour administrative d'appel serait entaché d'une irrégularité tenant à l'absence de réponse du commissaire du gouvernement à la demande de communication du sens de ses conclusions qui lui avait été adressée doit être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, que la cour, qui a rejeté la demande indemnitaire présentée au titre de la décision de poursuivre du 10 mai 1993, n'était dès lors pas tenue de répondre à l'argument, invoqué dans son mémoire en défense par la REGION ILE DE FRANCE concernant ce chef de conclusions, que cette société avait déjà perçu, compte tenu des versements effectués par la région, une somme supérieure au montant initial du marché ; que si le département de Paris avait soulevé un moyen en défense tiré de ce que, faute d'avoir respecté les délais et formalités imposés par le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux pour l'établissement de son projet de décompte final, la société Dumez ne pouvait se prévaloir d'un acceptation tacite de son projet de décompte final, la cour n'avait pas à y répondre, dès lors qu'elle ne s'est pas fondée sur une telle acceptation tacite ; qu'ainsi l'insuffisance de motivation invoquée doit, en tout état de cause, être écartée ;

Considérant, en troisième lieu, qu'en jugeant que l'ensemble des travaux ayant fait l'objet d'un projet d'avenant, dont certains avaient été imposés par la société de contrôle pour des raisons de sécurité, avaient été indispensables à la réalisation de l'établissement d'enseignement selon les règles de l'art, la cour administrative d'appel, qui n'a pas entaché son arrêt d'insuffisance de motivation sur ce point, a porté une appréciation souveraine exempte de dénaturation ; qu'elle n'a en conséquence pas commis d'erreur de droit en condamnant la REGION ILE DE FRANCE à verser une indemnité correspondant au montant de l'ensemble de ces travaux ;

Considérant, enfin, que la délivrance du quitus au maître d'ouvrage délégué fait obstacle à ce que la responsabilité de celui-ci envers le maître de l'ouvrage puisse être recherchée, sauf dans l'hypothèse où il aurait eu un comportement fautif qui, par sa nature ou sa gravité, serait assimilable à une fraude ou un dol ; qu'en l'absence toutefois de stipulation contraire de la convention de mandat, si la réception de l'ouvrage vaut quitus pour le maître d'ouvrage délégué en ce qui concerne ses attributions se rattachant à la réalisation de l'ouvrage, elle demeure en revanche sans effet en ce qui concerne ses attributions relatives aux droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché ; que la cour administrative d'appel a dès lors commis une erreur de droit en jugeant que la réception de l'ouvrage faisait par principe obstacle à ce que la responsabilité du département de Paris envers la REGION ILE DE FRANCE puisse être recherchée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la REGION ILE DE FRANCE est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué, en tant seulement qu'il a statué sur son appel en garantie dirigé à l'encontre du département de Paris ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-1 du code de justice administrative, de régler dans cette mesure l'affaire au fond ;

Considérant que, si la REGION ILE DE FRANCE a été condamnée à indemniser la société Dumez Ile-de-France, ainsi qu'il a été dit plus haut, au titre des travaux supplémentaires indispensables à la réalisation de l'établissement d'enseignement selon les règles de l'art, elle ne justifie d'aucune faute du maître d'ouvrage délégué à ce égard ;

Considérant, en revanche, qu'en tant qu'elle a été condamnée à verser à la société Dumez Ile-de-France une somme de 8 404,07 euros au titre des intérêts moratoires, en raison du retard avec lequel le maître d'ouvrage délégué avait mandaté certains acomptes, la REGION ILE DE FRANCE est fondée à demander que le département de Paris la garantisse d'un telle condamnation, nonobstant la réception de l'ouvrage, laquelle ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité du maître d'ouvrage délégué puisse être engagée au titre des fautes commises dans l'exercice de ses attributions relatives aux droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché ;

Sur le pourvoi incident de la société Dumez Ile-de-France :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la convention de maîtrise d'ouvrage déléguée prévoyait que le département de Paris ne pouvait signer les avenants au marché qu'après accord du maître d'ouvrage ; que par un ordre de service du 10 mai 1993, l'ingénieur général, adjoint opérationnel au directeur de l'architecture, chargé du secteur Est de Paris, a demandé à la société Dumez Ile de France, conformément à l'article 15.4 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, de poursuivre le marché au-delà de la masse initiale des travaux, le montant du marché étant porté de 70 685 600 F TTC à 73 468 358 F TTC ; qu'en jugeant que cet ordre de service devait être soumis à l'accord préalable de la REGION ILE DE FRANCE, maître de l'ouvrage, et était, par conséquent, irrégulier en l'absence d'un tel accord préalable, la cour administrative d'appel de Paris s'est livrée à une appréciation souveraine, exempte de dénaturation , des stipulations de la convention de maîtrise d'ouvrage déléguée et des autres pièces du dossier, eu égard à la portée d'une décision de poursuivre prise en application de l'article 15.4 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux, qui a pour effet d'augmenter le montant du marché au-delà des prévisions initiales ;

Considérant que la cour administrative d'appel de Paris a pu, sans dénaturer les pièces du dossier, juger que les travaux supplémentaires dont le paiement a été réclamé par la société Dumez Ile-de-France dans son mémoire indemnitaire du 28 octobre 1993 n'avaient pas fait l'objet d'une acceptation par la région et ne constituaient pas des travaux indispensables ;

Considérant, en revanche, que la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que la cour administrative d'appel a dès lors commis une erreur de droit en rejetant les conclusions de la société Dumez Ile-de-France tendant à la capitalisation des intérêts, au motif que celle-ci n'avait pas été demandée devant le tribunal administratif de Melun ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Dumez Ile-de-France est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué, en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la capitalisation des intérêts, et que ses autres conclusions incidentes doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir soulevée à leur encontre par la REGION ILE DE FRANCE, laquelle doit être regardée, eu égard aux moyens soulevés, comme dirigée contre le pourvoi incident de la société Dumez Ile-de-France, en tant seulement qu'il conteste le rejet par la cour du surplus de ses conclusions tendant à l'indemnisation de travaux supplémentaires ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-1 du code de justice administrative, de régler dans cette mesure l'affaire au fond ;

Considérant que la société Dumez Ile-de-France a demandé la capitalisation des intérêts dans son mémoire d'appel introduit le 10 mai 2004 devant la cour administrative d'appel de Paris ; qu'à cette date il lui était dû plus d'une année d'intérêt ; que, dès lors, pour les motifs ci-dessus indiqués, elle a droit à la capitalisation des intérêts sur l'ensemble des sommes que la REGION ILE DE FRANCE a été condamnée à lui verser à compter de cette date et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur l'application des dispositions l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par le département de Paris et tendant au paiement des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que les conclusions présentées au titre des mêmes dispositions par la REGION ILE DE FRANCE, qui ne sont dirigées à l'encontre d'aucune des parties au litige, ne peuvent qu'être rejetées ; qu'il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la REGION ILE DE FRANCE, en application de ces même dispositions, une somme de 3 000 euros à verser à verser à la société Dumez Ile-de-France ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 13 février 2007 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la société Dumez Ile-de-France tendant à la capitalisation des intérêts et en tant qu'il a statué sur l'appel en garantie de la REGION ILE DE FRANCE dirigé à l'encontre du département de Paris.

Article 2 : Les intérêts sur les sommes que la REGION ILE DE FRANCE a été condamnée à verser à la société Dumez Ile-de-France seront capitalisés à compter du 10 mai 2004 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : Le département de Paris est condamné à garantir la REGION ILE DE FRANCE de la somme de 8 404,07 euros.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par la REGION ILE DE FRANCE devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel de Paris est rejeté.

Article 5 : La REGION ILE DE FRANCE versera une somme de 3 000 euros à la société Dumez Ile-de-France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions du pourvoi incident de la société Dumez Ile-de-France est rejeté.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à la REGION ILE DE FRANCE, à M. Philippe A, à la société Dumez Ile de France et au département de Paris.


Synthèse
Formation : 7ème et 2ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 304812
Date de la décision : 08/02/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-07 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. RESPONSABILITÉ DU MAÎTRE DE L'OUVRAGE DÉLÉGUÉ À L'ÉGARD DU MAÎTRE DE L'OUVRAGE. - RESPONSABILITÉ NE POUVANT EN PRINCIPE ÊTRE RECHERCHÉE APRÈS LA RÉCEPTION DÉFINITIVE - EXCEPTION - ABSENCE DE QUITUS POUR LES ATTRIBUTIONS RELATIVES AUX DROITS ET OBLIGATIONS FINANCIERS NÉS DE L'EXÉCUTION DU MARCHÉ, SAUF STIPULATION CONTRAIRE DE LA CONVENTION DE MANDAT [RJ1].

39-07 La délivrance du quitus au maître d'ouvrage délégué fait obstacle à ce que la responsabilité de celui-ci envers le maître de l'ouvrage puisse être recherchée, sauf dans l'hypothèse où il aurait eu un comportement fautif qui, par sa nature ou sa gravité, serait assimilable à une fraude ou un dol. Cependant, en l'absence de stipulation contraire de la convention de mandat, si la réception de l'ouvrage vaut quitus pour le maître d'ouvrage délégué en ce qui concerne ses attributions se rattachant à la réalisation de l'ouvrage, elle demeure en revanche sans effet en ce qui concerne ses attributions relatives aux droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché.


Références :

[RJ1]

Comp. 10 juillet 1996, Commune de Boissy-Saint-Léger, n° 132921, p. 287.


Publications
Proposition de citation : CE, 08 fév. 2010, n° 304812
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Arrighi de Casanova
Rapporteur ?: M. Alban de Nervaux
Rapporteur public ?: M. Dacosta Bertrand
Avocat(s) : SCP PEIGNOT, GARREAU ; FOUSSARD ; SCP VIER, BARTHELEMY, MATUCHANSKY

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:304812.20100208
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