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03/03/2025 | FRANCE | N°473288

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 03 mars 2025, 473288


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 avril, 17 juillet et 28 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de l'Autorité des marchés financiers demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler, en ce qu'elle n'a pas retenu le manquement à l'obligation d'apporter son concours à la mission de contrôle avec diligence et loyauté prévue par les dispositions du troisième alinéa de l'article 143-3 du règlement g

néral de l'Autorité des marchés financiers, la décision n° 2 du 15 février 2023 de la commis...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 avril, 17 juillet et 28 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de l'Autorité des marchés financiers demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler, en ce qu'elle n'a pas retenu le manquement à l'obligation d'apporter son concours à la mission de contrôle avec diligence et loyauté prévue par les dispositions du troisième alinéa de l'article 143-3 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, la décision n° 2 du 15 février 2023 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, par laquelle une sanction pécuniaire de 120 000 euros a été prononcée à l'encontre de la société Capexis ;

2°) de porter à 280 000 euros la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre la société Capexis ;

3°) de réformer la décision de la commission des sanctions en ce qu'elle aura de contraire à la décision à intervenir ;

4°) d'ordonner la publication de la décision à intervenir sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers, dans les mêmes conditions que la décision attaquée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code monétaire et financier ;

- le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de la présidente de l'Autorité des marchés financiers et à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de l'Autorité des marchés financiers et de la société Capexis ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 janvier 2025, présentée par la société Capexis ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que la société Capexis est enregistrée depuis le 13 janvier 2006 à l'Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurances, banque et finance (ORIAS) en qualité de conseiller en investissements financiers. Elle dispose également du statut de courtier en assurance et en réassurance ainsi que de mandataire non exclusif en opérations de banque et en services de paiement. Par une décision du 16 mars 2020, le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers a ordonné l'ouverture d'une procédure de contrôle du respect par la société Capexis de ses obligations professionnelles. Au regard du rapport de contrôle du 2 juin 2021, la commission spécialisée n° 3 du collège de l'Autorité des marchés financiers a décidé, le 26 novembre 2021, de notifier des griefs à la société Capexis. Par une décision du 15 février 2023, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a retenu que neuf des dix manquements notifiés à la société Capexis étaient caractérisés, mais a écarté le manquement à l'obligation d'apporter son concours à la mission de contrôle avec diligence et loyauté, prévue au troisième alinéa de l'article 143-3 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers. Elle a prononcé à l'encontre de la société Capexis une sanction pécuniaire de 120 000 euros et ordonné la publication de la décision non anonymisée sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers, pour une durée de cinq ans. La présidente de l'Autorité des marchés financiers demande, d'une part, l'annulation de cette décision en tant qu'elle a écarté le grief tiré du manquement à l'obligation d'apporter son concours à la mission de contrôle avec diligence et loyauté, ainsi que, d'autre part, la réformation de cette décision afin de porter la sanction pécuniaire à 280 000 euros.

Sur le manquement à l'obligation de concours loyal à la mission de contrôle :

2. D'une part, aux termes de l'article 143-3 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, dans sa rédaction alors applicable : " Le secrétaire général délivre un ordre de mission aux personnes qu'il charge du contrôle. / L'ordre de mission indique notamment l'entité ou la personne à contrôler, l'identité du contrôleur et l'objet de la mission. / Les personnes contrôlées apportent leur concours avec diligence et loyauté ".

3. La transmission, par la personne faisant l'objet d'un contrôle de l'Autorité des marchés financiers, d'informations délibérément erronées à la mission chargée de ce contrôle doit être regardée comme un manquement à l'obligation de concours loyal à la mission de contrôle au sens du troisième alinéa de l'article 143-3 précité du règlement général de l'Autorité des marchés financiers.

4. D'autre part, aux termes du I de l'article L. 541-6 du code monétaire et financier : " Un conseiller en investissements financiers ne peut pas recevoir d'instruments financiers de ses clients. Il ne peut recevoir de ceux-ci d'autres fonds que ceux destinés à rémunérer son activité ".

5. Il résulte de l'instruction que la mission de contrôle de l'Autorité des marchés financiers, après avoir obtenu la communication d'un tableau intitulé " n° 8 Tableaux des flux d'encaissement " dans lequel la société Capexis indiquait que certains flux avaient été générés par un " Remboursement - Suite à rachat d'assurance vie client hors délai ", a demandé à cette société, les 15 et 20 juin 2020 et le 2 février 2021, la communication des pièces justificatives se rapportant à ces flux d'encaissement. Dans les informations transmises par la société Capexis par courriels des 23 juin et 2 juillet 2020 et du 10 février 2021, il était indiqué que ces remboursements correspondaient à des avances gratuites qu'elle avait effectuées sur des fonds qui étaient dus à ses clients à la suite, notamment, de rachats de contrats d'assurance-vie.

6. Il résulte toutefois de l'instruction que les informations ainsi transmises ont été ultérieurement contredites par de nouveaux éléments transmis à la mission de contrôle par courriel du 25 mars 2021 de la société Capexis, après que cette dernière eut appris, selon ses affirmations mêmes, que la mission de contrôle avait contacté plusieurs de ses clients pour les interroger sur leurs rapports avec la société. Dans les éléments ainsi transmis, la société indiquait vouloir rectifier auprès de la mission de contrôle ce qu'elle qualifiait seulement d'imprécisions et d'erreurs, et faisait état d'éléments de nature à établir que les flux initialement présentés auprès de cette mission comme des avances sur des fonds dus à ses clients en raison de rachats de contrat d'assurance-vie correspondaient, en réalité, à des prêts destinés à permettre à certains de ses clients de financer des investissements financiers qu'elle leur avait conseillés de souscrire. Il s'en déduit que la société Capexis a transmis, dans ses communications des 23 juin et 2 juillet 2020 et du 10 février 2021, des informations délibérément erronées à la mission de contrôle, sur un point qui était en lien avec la recherche d'un éventuel manquement à l'interdiction, prévue par le I de l'article L. 541-6 du code monétaire et financier, de recevoir des fonds autres que ceux destinés à rémunérer une activité de conseiller en investissements financiers. Or, si les contrôles réalisés par les agents de l'Autorité des marchés financiers, ou par toute personne habilitée par elle, doivent se dérouler dans des conditions ne compromettant pas l'exercice des droits de la défense des personnes auxquelles des griefs sont ensuite notifiés, il n'en résulte pas que les personnes contrôlées puissent, en réponse aux demandes qui leur sont adressées dans le cadre d'un tel contrôle, transmettre aux contrôleurs des informations délibérément erronées à l'appui de la communication des documents demandés, en méconnaissance de l'article 143-3 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la société Capexis doit, dans cette mesure, être regardée comme ayant manqué à l'obligation de concours loyal à la mission de contrôle au sens du troisième alinéa de l'article 143-3 précité du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, et non pas comme ayant simplement présenté une lecture des faits qui lui était favorable. Par suite, la présidente de l'Autorité des marchés financiers est fondée à soutenir que la commission des sanctions a écarté à tort le grief tiré de la méconnaissance de ces dispositions.

Sur la sanction prononcée :

8. Aux termes du III ter de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, applicable à la sanction en litige : " Dans la mise en œuvre des sanctions mentionnées au III (...), il est tenu compte notamment : de la gravité et de la durée du manquement ; / de la qualité et du degré d'implication de la personne en cause ; / de la situation et de la capacité financières de la personne en cause, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ; / de l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ; / des pertes subies par des tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ; / du degré de coopération avec l'Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l'avantage retiré par cette personne ; / des manquements commis précédemment par la personne en cause ; / de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter toute réitération du manquement ".

9. Il appartient au juge administratif, saisi d'une requête dirigée contre une sanction pécuniaire prononcée par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, de vérifier que son montant est proportionné tant aux manquements commis qu'à la situation, notamment financière, de la personne sanctionnée.

10. Par la décision attaquée, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a, d'une part, relevé que les manquements retenus à l'encontre de la société Capexis étaient multiples, qu'ils s'étaient déroulés sur une période de plus de trois ans, qu'ils révélaient une méconnaissance des règles organisant l'activité de conseiller en investissements financiers et concernaient des obligations particulièrement importantes, ayant pour objet d'encadrer l'activité de conseiller en investissements financiers et de protéger les investisseurs. D'autre part, la commission des sanctions a émis plusieurs réserves relatives aux mesures de remédiation annoncées par la société Capexis. Enfin, il résulte de la présente décision que la société Capexis a, en plus des manquements retenus par la décision attaquée, manqué en outre à l'obligation d'apporter son concours avec loyauté à la mission de contrôle de l'Autorité des marchés financiers.

11. Dès lors, eu égard à la situation et à la capacité financières de la société Capexis, telles qu'elles résultent des éléments relatifs à son résultat net au titre des exercices 2020 et 2021, qui figurent au point 176 de la décision attaquée, il sera fait une juste appréciation de la sanction pécuniaire prononcée à son encontre en la portant à la somme de 150 000 euros.

12. Il y a lieu, enfin, d'ordonner la publication de la présente décision sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers, dans les mêmes conditions que la décision de la commission des sanctions.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Autorité des marchés financiers, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers du 15 février 2023 est annulée en ce qu'elle a écarté le grief tiré de ce que la société Capexis a manqué à l'obligation d'apporter son concours à la mission de contrôle avec diligence et loyauté, prévue par les dispositions du troisième alinéa de l'article 143-3 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers.

Article 2 : La sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de la société Capexis est portée à 150 000 euros.

Article 3 : La décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers du 15 février 2023 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.

Article 4 : La présente décision sera publiée sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers dans les mêmes conditions que la décision de la commission des sanctions du 15 février 2023.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la présidente de l'Autorité des marchés financiers est rejeté.

Article 6 : Les conclusions présentées par la société Capexis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à la présidente de l'Autorité des marchés financiers et à la société Capexis.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 janvier 2025 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 3 mars 2025.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. David Gaudillère

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 473288
Date de la décision : 03/03/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 03 mar. 2025, n° 473288
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Gaudillère
Rapporteur public ?: Mme Maïlys Lange
Avocat(s) : SCP OHL, VEXLIARD ; SARL DELVOLVE ET TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 13/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:473288.20250303
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