Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 août et 6 septembre 2019 et le 15 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 juin 2019 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins, statuant en formation restreinte, a prononcé l'inscription de M. C... A... B... au tableau de l'ordre des médecins ;
2°) de mettre à la charge de M. A... B... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Brouard-Gallet, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l'ordre des médecins, à la SCP Richard, avocat de M. A... B... et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que M. A... B..., diplômé de la faculté de médecine d'Oran, dispose depuis le 20 mars 2000 d'une autorisation délivrée par le ministre chargé de la santé pour exercer la médecine en France. Après y avoir exercé la médecine générale, il a, entre 2012 et 2016, quitté la France pour l'Algérie où il a exercé en qualité de médecin biologiste. A compter de 2016, une fois inscrit au tableau de l'ordre des médecins des Yvelines, il a repris en France une activité de médecine générale, en effectuant des remplacements. Il a sollicité, en janvier 2018, son inscription au tableau de l'ordre des médecins des Bouches-du-Rhône, en vue d'exercer la médecine générale à Istres. Le 5 février 2018, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône a saisi le conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur aux fins que soit diligentée une expertise en vue de vérifier sa compétence professionnelle. Au vu du rapport d'expertise, par une décision du 5 novembre 2018, le conseil départemental a refusé l'inscription de M. A... B..., en estimant qu'il ne satisfaisait pas le critère de compétence professionnelle. Par une décision du 7 février 2019, la formation restreinte du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur de l'ordre des médecins a rejeté le recours de M. A... B... contre la décision du conseil départemental. Par une décision du 11 juin 2019, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins, sur recours de M. A... B..., après avoir écarté le rapport d'expertise diligenté à la demande du conseil départemental des Bouches-du-Rhône comme ayant été réalisé à l'issue d'une procédure irrégulière et avoir ordonné une nouvelle expertise, a annulé la décision de la formation restreinte du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur du 7 février 2019 et la décision du conseil départemental des Bouches-du-Rhône du 5 novembre 2018 et a autorisé l'inscription de M. A... B... au tableau de l'ordre des médecins des Bouches-du-Rhône, en médecine générale. Le conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l'ordre des médecins demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique : " Les médecins (...) qui exercent dans un département sont inscrits sur un tableau établi et tenu à jour par le conseil départemental de l'ordre dont ils relèvent. / (...) /. Nul ne peut être inscrit sur ce tableau s'il ne remplit pas les conditions requises par le présent titre et notamment les conditions nécessaires de moralité, d'indépendance et de compétence (...) ". Aux termes de l'article L. 4112-3 du même code : " Le conseil départemental de l'ordre statue sur la demande d'inscription au tableau dans un délai maximum de trois mois à compter de la réception de la demande, accompagnée d'un dossier complet. / Les modalités selon lesquelles le conseil départemental vérifie que l'intéressé ne présente pas d'insuffisance professionnelle, d'infirmité ou d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de la profession sont prévues par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article L. 4112-5 du même code : " (...) En cas de transfert de la résidence professionnelle hors du département ou de la collectivité territoriale où il est inscrit, l'intéressé doit, au moment de ce transfert, demander son inscription au tableau de l'ordre du département ou de la collectivité territoriale de la nouvelle résidence ". Aux termes de l'article R. 4112-2 du même code : " I. A la réception de la demande [d'inscription au tableau de l'ordre], le président du conseil départemental désigne un rapporteur parmi les membres du conseil. Ce rapporteur procède à l'instruction de la demande et fait un rapport écrit. / Le conseil vérifie les titres du candidat et demande communication du bulletin n°2 du casier judiciaire de l'intéressé. Il refuse l'inscription si le demandeur est dans l'un des trois cas suivants : (...) / 2°) Il est établi, dans les conditions fixées au II, qu'il ne remplit pas les conditions nécessaires de compétence (...) / II. En cas de doute sérieux sur la compétence professionnelle du demandeur, le conseil départemental saisit, par une décision non susceptible de recours, le conseil régional ou interrégional qui diligente une expertise. Le rapport d'expertise est établi dans les conditions prévues aux II, III, IV, VI et VII de l'article R. 4124-3-5 et il est transmis au conseil départemental. / S'il est constaté, au vu du rapport d'expertise, une insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession, le conseil départemental refuse l'inscription et précise les obligations de formation du praticien. La notification de cette décision mentionne qu'une nouvelle demande d'inscription ne pourra être acceptée sans que le praticien ait au préalable justifié avoir rempli les obligations de formation fixées par la décision du conseil départemental (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 4124-3-5 du même code : " (...) II. - La suspension ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil régional ou interrégional dans les conditions suivantes : / 1° Pour les médecins, le rapport est établi par trois médecins qualifiés dans la même spécialité que celle du praticien concerné désignés comme experts, le premier par l'intéressé, le deuxième par le conseil régional ou interrégional et le troisième par les deux premiers experts. Ce dernier est choisi parmi les personnels enseignants et hospitaliers titulaires de la spécialité. Pour la médecine générale, le troisième expert est choisi parmi les personnels enseignants titulaires ou les professeurs associés ou maîtres de conférences associés des universités (...). / IV. Les experts procèdent ensemble, sauf impossibilité manifeste, à l'examen des connaissances théoriques et pratiques du praticien. Le rapport d'expertise est déposé au plus tard dans le délai de six semaines à compter de la saisine du conseil. Il indique les insuffisances relevées au cours de l'expertise, leur dangerosité et préconise les moyens de les pallier par une formation théorique et, si nécessaire, pratique. / Si les experts ne peuvent parvenir à la rédaction de conclusions communes, le rapport comporte l'avis motivé de chacun d'eux (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'expertise établi le 28 mai 2019 à la demande de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins, que, lors de cette expertise conduite par trois médecins qualifiés en médecine générale, des situations cliniques courantes ont été soumises à M A... B... avant que les experts n'élargissent le champ des questions afin d'évaluer plus largement ses connaissances, toujours en référence à la pratique clinique d'un médecin généraliste. Au terme de ces échanges approfondis, les experts ont relevé que M. A... B... ne parvenait pas à faire bon usage de ses connaissances théoriques dans des mises en situation pratiques et que ses connaissances théoriques demeuraient, à certains égards, insuffisantes pour que sa démarche diagnostique et décisionnelle permette de garantir la sécurité des soins délivrés aux patients. Ils ont, en conséquence de leurs observations, préconisé que M. A... B... ne soit pas inscrit au tableau de l'ordre et qu'il suive et valide un diplôme universitaire en vue de la qualification en médecine générale avant de solliciter une nouvelle inscription. En regard des éléments précis, circonstanciés et documentés relevés par l'expertise, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins s'est bornée à relever que les experts mettaient moins en cause les compétences de l'intéressé qu'un défaut d'assurance dans les démarches, qu'il avait pratiqué des actes d'ordre médical dans son activité de médecin biologiste en Algérie et qu'il apportait toutes assurances quant à des pratiques de " tradithérapie " qui lui avaient été antérieurement reprochées, sans faire apparaître aucune indication, ni dans sa décision ni dans le cadre de l'instruction contradictoire devant le Conseil d'Etat, d'éléments précis de nature à remettre en cause l'appréciation circonstanciée qui avait été portée par les experts. Dans ces conditions, au vu de l'ensemble des pièces versées au dossier, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône est fondé à soutenir que la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins a fait une inexacte application des dispositions du code de la santé publique en autorisant l'inscription de l'intéressé au tableau de l'ordre des médecins des Bouches-du-Rhône en médecine générale.
4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l'ordre des médecins est fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 11 juin 2019 de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins.
5. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de M. A... B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que des sommes soient mises à ce titre à la charge du conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l'ordre des médecins qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins du 11 juin 2019 est annulée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l'ordre des médecins, par M. A... B... et par le Conseil national de l'ordre des médecins au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l'ordre des médecins, à M. C... A... B... et au Conseil national de l'ordre des médecins.