Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges et le centre hospitalier (CH) Esquirol à lui verser une indemnité de 118 000 euros avec intérêts à compter du 27 août 2014 et capitalisation.
Par un jugement n° 1402136 du 30 mai 2017, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 juillet 2017 et des mémoires enregistrés les 26 juillet et 30 septembre 2019, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner solidairement le CHU de Limoges et le CH Esquirol à lui verser une indemnité de 118 000 euros avec intérêts à compter du 27 août 2014 et capitalisation ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Limoges et du CH Esquirol une somme
de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'erreur de diagnostic est démontrée et imputable aux deux établissements dès lors que l'imagerie par résonnance magnétique (IRM) qui aurait fait apparaître des lésions définitives du cerveau a été réalisée le 18 mars 2008 par le CHU et prescrite par le CH destinataire du compte-rendu ; le médecin aurait dû prescrire la réalisation d'examens complémentaires pour vérifier son diagnostic de syndrome de Korsakoff, qui est erroné au regard de l'évolution favorable de son état depuis lors ;
- c'est nécessairement en violation du secret médical que les experts missionnés en 2012 par le conseil régional de l'ordre des médecins du Limousin ont obtenu communication de l'IRM litigieuse dont elle-même n'avait pas connaissance, dès lors que deux des experts exercent
au CH Esquirol ; contrairement à ce qu'a retenu le tribunal sur la base de leurs seules déclarations, elle ne leur a pas remis ce document, et n'avait, en tout état de cause, pas intérêt à leur communiquer les résultats de l'examen, à l'origine de sa suspension qui perdure depuis des années ; le conseil de l'ordre n'avait pas autorisé les experts à recourir à un bilan par un neuropsychologue, dont l'identification est incertaine, et dont ils ont d'ailleurs altéré les conclusions ;
- les allégations des établissements de santé selon lesquelles elle présenterait une dépendance à l'alcool sont diffamatoires, sans lien avec le présent litige, et violent le secret médical ;
- c'est à tort que le tribunal a jugé qu'elle ne justifiait pas d'un préjudice à raison de l'absence de communication de l'imagerie litigieuse, dès lors que cet examen est à l'origine de sa suspension et qu'elle n'a appris qu'en 2014 qu'il était erroné ;
- l'erreur de diagnostic en lien avec la suspension de son activité professionnelle ayant entraîné une perte de revenus, elle sollicite une somme de 50 000 euros au titre du préjudice matériel ;
- dès lors qu'elle a cru durant près d'un an, jusqu'à l'IRM réalisé en 2013, être atteinte de séquelles irréversibles au cerveau, elle sollicite 40 000 euros au titre du préjudice moral ;
- elle sollicite 20 000 euros au titre de la violation du secret médical qui a porté atteinte à sa réputation et est à l'origine de la suspension de son activité professionnelle ;
- l'absence de transmission de l'imagerie réalisée le 18 mars 2008, au motif qu'elle aurait été égarée, ne lui a pas permis de comprendre l'origine de l'erreur de diagnostic, lui causant un préjudice moral dont elle demande l'indemnisation à hauteur de 8 000 euros.
Par des mémoires en défense enregistrés le 5 décembre 2018 et le 16 septembre 2019, le CHU de Limoges et le CH Esquirol, représentés par Me E..., concluent au rejet de la requête.
Ils font valoir que :
- l'IRM de 2008 a été réalisée conformément aux données de la science, le diagnostic posé était cohérent avec le tableau clinique présenté par la patiente, aucun examen complémentaire n'était nécessaire pour en assurer l'interprétation, et en tout état de cause, cet examen est sans lien direct avec la suspension d'activité de Mme D... en 2012, imputable aux conséquences de sa dépendance à l'alcool ;
- la violation du secret médical n'est pas démontrée ;
- la perte des clichés de l'IRM de 2008 n'a pas causé de préjudice à Mme D... ;
- à titre subsidiaire, l'existence des préjudices allégués n'est pas démontrée ;
- à titre infiniment subsidiaire, les demandes indemnitaires devront être ramenées
à de plus justes proportions.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre d'une procédure de suspension temporaire pour cause d'infirmité ou d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de la profession, engagée à l'encontre de Mme D..., médecin ophtalmologue, le conseil régional de l'ordre des médecins du Limousin a organisé en 2012 une expertise dont le rapport, qui conclut que Mme D... présente une " pathologie mentale addictive avec dépendance à l'alcool et complications ", à savoir des " troubles dans les grandes fonctions cognitives dont le retentissement fonctionnel est certain et nuit à [son] exercice professionnel ", fait référence, parmi les examens figurant au dossier d'expertise, à une imagerie par résonance magnétique (IRM) du cerveau réalisée
le 18 mars 2008, montrant " une atrophie corticale diffuse et sus-tentorielle avec atrophie des tubercules mamillaires, l'ensemble s'intégrant dans le contexte d'exogénose chronique connue. " Mme D..., qui affirme avoir découvert l'existence des résultats de cet examen à l'occasion de la procédure de suspension, invoque la responsabilité pour faute du CH d'Esquirol qui l'a prescrit et du CHU de Limoges qui l'a réalisé, en tant qu'il comporterait un diagnostic erroné de lésions irréversibles du cerveau, que les experts en auraient obtenu communication en violation du secret médical, et que les images, dont elle a demandé la communication en 2014, n'ont pas été conservées. Elle relève appel du jugement du 30 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande d'indemnisation aux motifs qu'aucune erreur de diagnostic n'avait été commise, que la violation du secret médical n'était pas établie, et qu'elle ne démontrait pas l'existence d'un préjudice en lien avec la faute commise par le CHU de Limoges en s'abstenant de conserver les images issues de l'examen pendant la durée prescrite par la réglementation.
Sur l'erreur de diagnostic :
2. Il résulte de l'instruction que l'IRM cérébrale du 18 mars 2008 a été prescrite par le médecin traitant de Mme D... au CH Esquirol en raison de troubles cognitifs sévères, avec important ralentissement psychomoteur, dans le contexte d'une exogénose chronique et de chutes à répétitions. Le compte-rendu de cet examen met en évidence " une atrophie corticale diffuse du cervelet, vraisemblablement en relation avec l'intoxication éthylique chronique de la patiente ", et, à l'étage sus-tentoriel, " des structures ventriculaires normales, une absence de lésion de la substance blanche, et le même aspect d'atrophie corticale diffuse, qui ne prédomine pas de manière notable en situation bi-hippocampique ". S'il est mentionné que " l'analyse des tubercules mamillaires sur les séquences sagittales montre un aspect atrophique compatible avec un syndrome de Korsakoff ", lequel comporte des lésions cérébrales définitives en lien avec un alcoolisme chronique de longue durée à l'origine de troubles irréversibles de la mémoire, cette évocation n'est présentée que comme une éventualité, qui n'a pas été ultérieurement retenue par le médecin traitant. L'examen litigieux se borne ainsi à mettre en évidence des anomalies atrophiques diffuses en cohérence avec les pathologies cognitives de la patiente. Ces résultats ne comportent aucune contradiction avec les IRM réalisées cinq ans plus tard, les 14 et 26 février 2013, prescrites respectivement en raison d'une dégradation rapide du champ visuel et d'atteinte des fonctions cognitives, dont la première révèle une atrophie sous-corticale " en rapport avec l'âge ", et la seconde une absence d'atrophie corticale évidente. Au demeurant, l'hypothèse de lésions installées, bien que modérées, est corroborée par le bilan neuropsychologique réalisé le 1er février 2014, produit par la requérante, qui fait état de la persistance de troubles de la mémoire de travail, inférieure à ce qui est escompté pour le milieu socio-éducatif de l'intéressée. Par suite, Mme D... n'est pas fondée à se plaindre de ce que les premiers juges n'ont pas retenu le grief tiré de l'erreur de diagnostic dont serait entaché le compte-rendu de l'IRM
du 18 mars 2008, qui n'est d'ailleurs pas à l'origine de sa suspension. Celle-ci a été décidée en raison de " troubles dans les grandes fonctions cognitives dont le retentissement fonctionnel est certain et nuit à l'exercice professionnel ", ainsi qu'il résulte de la décision de la formation restreinte du conseil national de l'ordre des médecins du 12 décembre 2012 confirmant la suspension prononcée par le conseil régional du Limousin.
Sur la violation du secret médical :
3. Aux termes de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique dans sa rédaction alors applicable : " Dans le cas d'infirmité ou d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de la profession, la suspension temporaire du droit d'exercer est prononcée par le conseil régional ou interrégional pour une période déterminée, qui peut, s'il y a lieu, être renouvelée. Elle ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil par trois médecins spécialistes désignés comme experts, désignés l'un par l'intéressé, le deuxième par le conseil départemental et le troisième par les deux premiers. (...) ". Quand bien même le compte-rendu de l'IRM du 18 mars 2018 aurait été obtenu sans autorisation et à l'insu de Mme D... par deux des experts, praticiens en fonctions au CH Esquirol, ce qui ne ressort pas des pièces du dossier, la faute qu'aurait commise cet établissement en ne prévoyant pas de procédure de contrôle de l'accès aux dossiers des patients n'a causé aucun préjudice à Mme D... dès lors que la décision de suspension dont elle a fait l'objet, au demeurant confirmée tant par le Conseil national de l'ordre des médecins que par le Conseil d'Etat, n'a pas été prise sur l'unique fondement de l'IRM en cause, mais au vu de plaintes de patients et d'un ensemble de constats cliniques des experts. Par suite, la requérante n'est pas davantage fondée à se plaindre de ce que les premiers juges ont rejeté sa demande d'indemnisation d'un préjudice en lien avec la faute ainsi invoquée.
Sur l'absence de communication des images de l'IRM du 18 mars 2008 :
4. Les premiers juges ont retenu une faute, non sérieusement contestée, à raison du non-respect par le CHU de Limoges de l'obligation qui lui incombe, en vertu des dispositions de l'article R. 1112-7 du code de la santé publique, de conserver pendant une durée de vingt ans les images de l'IRM du 18 mars 2008. Toutefois, Mme D... se borne à invoquer un préjudice moral tiré de ce qu'elle ne serait pas en mesure de comprendre l'erreur de diagnostic figurant dans le compte-rendu de cet examen. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 que l'erreur de diagnostic n'est pas caractérisée. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande indemnitaire.
5. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de Mme D... n'est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal a rejeté sa demande. Par suite, les conclusions relatives aux frais exposés à l'occasion du litige doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... D..., au centre hospitalier universitaire de Limoges et au centre hospitalier Esquirol.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme A... B..., présidente-assesseure,
M. Thierry Sorin, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 novembre 2019.
La rapporteure,
Anne B...
Le président,
Catherine GiraultLa greffière,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX02432