Vu la procédure suivante :
Mme B... A... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 juillet 2016 par lequel le maire de l'Île-de-Bréhat a délivré à la société civile immobilière Le Gardeno un permis de construire pour l'extension d'une maison d'habitation. Par un jugement n° 2000748 du 11 juin 2021, le tribunal administratif de Rennes a fait droit à cette demande.
Par un arrêt n° 21NT02179 du 10 octobre 2023, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la société Le Gardeno contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 1er décembre 2023 et les 19 janvier et 22 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Le Gardeno demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de Mme C... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de La Burgade, avocat de la société Le Gardeno et à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de Mme C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 4 juillet 2016, le maire de l'Île-de-Bréhat a délivré à la société Le Gardeno un permis de construire pour l'extension d'une maison d'habitation. Par un jugement du 11 juin 2021, le tribunal administratif de Rennes a annulé, à la demande de Mme C..., ce permis de construire. La société Le Gardeno se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 octobre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation " et aux termes de l'article L. 600-1-3 du même code : " Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l'intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager s'apprécie à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ".
3. Il résulte des dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme que la contestation d'une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le code de l'urbanisme est ouverte aux personnes physiques ou morales qui justifient de leur qualité d'occupant régulier ou de propriétaire d'un bien immobilier, usufruitier ou nu-propriétaire, dont les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance sont de nature à être directement affectées par le projet. Il résulte en outre des dispositions de l'article L. 600-1-3 du même code que cette qualité s'apprécie, sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.
4. La cour a jugé que la seule qualité d'héritière de sa mère, usufruitière de la maison à la date de l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire et décédée depuis, suffisait à donner intérêt pour agir contre le permis attaqué à Mme C..., en application de l'article 724 du code civil, aux termes duquel " Les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt (...) ", tout en relevant qu'à cette même date Mme C... n'était plus nue-propriétaire de la maison d'habitation dès lors qu'elle avait cédé cette nue-propriété à ses enfants, sans retenir qu'elle aurait justifié par ailleurs l'occuper de façon régulière à la même date. La cour a, ce faisant, commis une erreur de droit, l'intérêt pour agir contre un permis de construire s'appréciant sur le seul fondement des dispositions précitées des articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 du code de l'urbanisme et donc, ainsi qu'il a été dit au point 3, au regard de la qualité d'occupant régulier ou de propriétaire d'un bien immobilier dont les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance sont de nature à être directement affectées par le projet à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.
5. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la société Le Gardeno est fondée, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'à la date d'affichage en mairie de la demande de permis de construire de la société Le Gardeno, Mme C... ne justifiait ni détenir ni occuper régulièrement la maison voisine du projet. Dès lors qu'elle ne fait valoir aucune autre circonstance qui aurait été de nature à lui conférer, à cette date, un intérêt pour agir à l'encontre du permis de construire en litige, non plus qu'aucune circonstance particulière qui justifierait que son intérêt pour agir soit apprécié à une autre date, la société Le Gardeno et la commune de l'Île de-Bréhat sont fondées à soutenir qu'elle n'est pas recevable à demander l'annulation du permis de construire délivré le 4 juillet 2016 et que, par suite, c'est à tort que le tribunal administratif a fait droit à cette demande.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C... une somme de 3 000 euros à verser la société Le Gardeno au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce que la somme réclamée par Mme C... soit mise à la charge de la société Le Gardeno, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 10 octobre 2023 de la cour administrative d'appel de Nantes et le jugement du 11 juin 2021 du tribunal administratif de Rennes sont annulés.
Article 2 : La demande de Mme C... est rejetée.
Article 3 : Mme C... versera à la société Le Gardeno une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société civile immobilière Le Gardeno et à Mme B... A... épouse C....
Délibéré à l'issue de la séance du 13 décembre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 20 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Pierre Boussaroque
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber