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14/02/2025 | FRANCE | N°477661

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 14 février 2025, 477661


Vu la procédure suivante :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 28 avril et les courriers des 31 juillet et 7 octobre 2021 de la caisse d'allocations familiales du Var relatifs à des indus d'allocation de logement familiale, de prime d'activité, de revenu de solidarité active et d'aide exceptionnelle de fin d'année au titre de la période du 1er juillet 2019 au 31 mars 2021 pour un montant total de 10 750,62 euros, ainsi que le courrier du 28 juin envisageant de lui infliger une pénalité de 750 euros pour fra

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Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 28 avril et les courriers des 31 juillet et 7 octobre 2021 de la caisse d'allocations familiales du Var relatifs à des indus d'allocation de logement familiale, de prime d'activité, de revenu de solidarité active et d'aide exceptionnelle de fin d'année au titre de la période du 1er juillet 2019 au 31 mars 2021 pour un montant total de 10 750,62 euros, ainsi que le courrier du 28 juin envisageant de lui infliger une pénalité de 750 euros pour fraude à l'allocation de logement familiale, et, à titre subsidiaire, de lui accorder la remise de ses dettes. Par un jugement n° 2102559 du 5 juin 2023, le tribunal administratif de Toulon a annulé les décisions de récupération d'indus d'allocation de logement familiale, de prime d'activité et d'aide exceptionnelle de fin d'année, pour un montant total de 1 018,16 euros, a fait droit à la demande de remise gracieuse des indus de revenu de solidarité active pour un montant total de 9 732,46 euros, a enjoint que les sommes ayant été recouvrées soient remboursées et a rejeté la demande d'annulation de la pénalité pour fraude à l'allocation de logement familiale.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 août et 24 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la caisse d'allocations familiales du Var et le département du Var demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2019-1323 du 10 décembre 2019 ;

- le décret n° 2020-1746 du 29 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la caisse d'allocations familiales du Var et du département du Var et à la SCP Poupet, Kacenelenbogen, avocat de Mme A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... a fait l'objet d'un contrôle de la caisse d'allocations familiales du Var à l'issue duquel celle-ci a décidé la récupération, au titre de la période du 1er juillet 2019 au 31 mars 2021, d'indus de 65,82 euros de prime d'activité, 495 euros d'allocation de logement familiale, 457,34 euros d'aide exceptionnelle de fin d'année et 9 732,46 euros de revenu de solidarité active, aux motifs qu'elle avait perçu l'aide au logement alors qu'elle était hébergée à titre gratuit et qu'elle n'avait pas indiqué dans ses déclarations trimestrielles les sommes versées par son ex-conjoint sur son compte bancaire. La caisse d'allocations familiales du Var a en outre indiqué à Mme A... qu'elle envisageait de lui infliger une pénalité administrative d'un montant de 750 euros pour fraude à l'aide au logement. La caisse d'allocations familiales du Var, le département du Var et la ministre de la santé et de la prévention se pourvoient en cassation, chacun en ce qui le concerne, contre le jugement du 5 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulon a annulé les décisions de récupération d'indus d'allocation de logement familiale, de prime d'activité et d'aide exceptionnelle de fin d'année pour un montant de 1 018,16 euros et a déchargé l'intéressée du montant total des indus de revenu de solidarité active, s'élevant à 9 732,46 euros, dont il lui a accordé la remise gracieuse.

2. En premier lieu, d'une part, il ressort des pièces du dossier soumis au tribunal administratif que, devant celui-ci, la caisse d'allocations familiales du Var soulevait une fin de non-recevoir tirée de ce que Mme A... n'avait pas présenté le recours administratif préalable obligatoire requis contre les indus qu'elle contestait et produisait notamment le courrier faisant état de trop perçus de prime d'activité, d'allocation de logement familiale, d'aide exceptionnelle de fin d'année et de revenu de solidarité active, au titre de la période du 1er juillet 2019 au 31 mars 2021, pour un montant total de 10 750,62 euros. Il s'ensuit qu'en écartant cette fin de non-recevoir au motif que la caisse d'allocations familiales du Var ne l'aurait assortie d'aucun élément permettant d'identifier la nature des dettes concernées par un tel recours administratif, le tribunal administratif s'est mépris sur la portée des écritures présentées en défense devant lui. D'autre part, en estimant au surplus que, par son courrier du 13 mai 2021, Mme A... avait formé un recours administratif contre ces indus, alors qu'elle se bornait, par ce courrier, à demander la remise gracieuse de ces indus en faisant valoir sa bonne foi et sa situation financière précaire, le tribunal administratif s'est également mépris sur la nature de cette demande.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 262-46 du code de l'action sociale et des familles : " Tout paiement indu de revenu de solidarité active est récupéré par l'organisme chargé du service de celui-ci ainsi que, dans les conditions définies au présent article, par les collectivités débitrices du revenu de solidarité active. / (...) La créance peut être remise ou réduite par le président du conseil départemental en cas de bonne foi ou de précarité de la situation du débiteur, sauf si cette créance résulte d'une manœuvre frauduleuse ou d'une fausse déclaration ". Il résulte de ces dispositions qu'un allocataire du revenu de solidarité active ne peut bénéficier d'une remise gracieuse de la dette résultant d'un paiement indu d'allocation, quelle que soit la précarité de sa situation, lorsque l'indu trouve sa cause dans une manœuvre frauduleuse de sa part ou dans une fausse déclaration, laquelle doit s'entendre comme désignant les inexactitudes ou omissions qui procèdent d'une volonté de dissimulation de l'allocataire caractérisant de sa part un manquement à ses obligations déclaratives.

4. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision rejetant une demande de remise gracieuse d'un indu de revenu de solidarité active, il appartient au juge administratif d'examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est justifiée et de se prononcer lui-même sur la demande en recherchant si, au regard des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de sa propre décision, la situation de précarité du débiteur et sa bonne foi justifient que lui soit accordée une remise. Lorsque l'indu résulte de ce que l'allocataire a omis de déclarer certaines de ses ressources, il y a lieu, pour apprécier la condition de bonne foi de l'intéressé, hors les hypothèses où les omissions déclaratives révèlent une volonté manifeste de dissimulation ou, à l'inverse, portent sur des ressources dépourvues d'incidence sur le droit de l'intéressé au revenu de solidarité active ou sur son montant, de tenir compte de la nature des ressources ainsi omises, de l'information reçue et de la présentation du formulaire de déclaration des ressources, du caractère réitéré ou non de l'omission, des justifications données par l'intéressé ainsi que de toute autre circonstance de nature à établir que l'allocataire pouvait de bonne foi ignorer qu'il était tenu de déclarer les ressources omises. A cet égard, si l'allocataire a pu légitimement, notamment eu égard à la nature du revenu en cause et de l'information reçue, ignorer qu'il était tenu de déclarer les ressources omises, la réitération de l'omission ne saurait alors suffire à caractériser une fausse déclaration.

5. Pour accorder à Mme A... la remise gracieuse des indus de revenu de solidarité active, le tribunal administratif a estimé que Mme A..., dont la situation de précarité n'était pas débattue, justifiait de sa bonne foi dès lors qu'elle faisait valoir que les ressources, dont elle aurait ignoré qu'elles devaient être déclarées et à propos desquelles elle n'aurait pas reçu d'informations concernant ses obligations déclaratives, correspondaient à des versements de son ex-conjoint destinés à l'anniversaire et aux frais de rentrée scolaire de leur fils et que la caisse d'allocations familiales n'établirait pas la volonté de dissimulation de l'intéressée. Toutefois, il ressort du rapport d'enquête du 8 janvier 2021 produit par la caisse d'allocations familiales du Var devant le tribunal qu'en plus des pensions alimentaires reçues, Mme A... a perçu chaque mois, sur la période allant du 1er juillet 2019 au 30 septembre 2020, sauf lors du mois d'août 2019, des sommes, correspondant à des versements de son ex-mari, le plus souvent supérieurs à 1 000 euros et allant jusqu'à 6 200 euros en juillet 2019, pour un montant total de 26 172 euros. En jugeant que Mme A... pouvait de bonne foi ignorer qu'elle était tenue de déclarer de telles ressources, le tribunal a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le jugement du 5 juin 2023 doit être annulé.

7. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la caisse d'allocations familiales du Var et du département du Var, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme A... une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 5 juin 2023 du tribunal administratif de Toulon est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Toulon.

Article 3 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la caisse d'allocations familiales du Var, au département du Var, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et à Mme B... A....

Délibéré à l'issue de la séance du 29 janvier 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Jean-Dominique Langlais, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat ; M. Cyril Noël, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 14 février 2025.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Cyril Noël

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 477661
Date de la décision : 14/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 fév. 2025, n° 477661
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyril Noël
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL ; SCP POUPET & KACENELENBOGEN

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:477661.20250214
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