Vu la procédure suivante :
Par un jugement n° 23/00063 du 22 juin 2023, le conseil de prud'hommes de Mulhouse a sursis à statuer dans le litige opposant Mme A... B... à la société Koch et associés, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Thurmelec et a saisi le tribunal administratif de Strasbourg de la question de la légalité de la décision du 22 janvier 2021 par laquelle l'inspectrice du travail de la section 8 de l'unité de contrôle n° 2 de l'unité départementale du Haut-Rhin a autorisé la rupture conventionnelle du contrat de travail de Mme B....
Par un jugement n° 2304673 du 19 mars 2024, le tribunal administratif de Strasbourg a déclaré que la décision du 22 janvier 2021 de l'inspectrice du travail est entachée d'illégalité en tant qu'elle retient que le consentement de Mme B... à la rupture conventionnelle de son contrat de travail avec la société Thurmelec n'a pas été vicié.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 avril, 6 mai et 3 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Koch et associés demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter le pourvoi incident de Mme B... ;
3°) réglant l'affaire au fond, de déclarer que la décision de l'inspectrice du travail n'est pas entachée d'illégalité ;
4°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hugo Bevort, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boucard, Capron, Maman, avocat de la société Koch et associés et à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de Mme A... B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... B..., salariée protégée de la société Thurmelec, en raison de son élection, le 19 mars 2019 comme membre titulaire du comité social et économique, et son employeur, la société Thurmelec, ont signé, le 10 décembre 2020, une convention par laquelle ils ont décidé de mettre fin d'un commun accord, à compter du 28 février 2021, au contrat de travail qui les liait. Par une décision du 22 janvier 2021, l'inspectrice du travail de la section 8 de l'unité de contrôle n° 2 de l'unité départementale du Haut-Rhin, a autorisé cette rupture conventionnelle. Par un jugement du 14 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Colmar a prononcé la liquidation judiciaire de la société Thurmelec et désigné la société Koch et associés en qualité de liquidateur judiciaire de cette société. Par un jugement avant dire droit du 22 juin 2023, le conseil de prud'hommes de Mulhouse, saisi de demandes indemnitaires de Mme B... à l'encontre de la société Koch et associés, a sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de Strasbourg de la question de la légalité de la décision du 22 janvier 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la rupture conventionnelle du contrat de Mme B.... Par un jugement du 19 mars 2024, contre lequel la société Koch et associés se pourvoit en cassation, le tribunal administratif a déclaré que la décision du 22 janvier 2021 de l'inspectrice du travail est entachée d'illégalité en tant qu'elle retient que le consentement de Mme B... à la rupture conventionnelle de son contrat de travail n'a pas été vicié.
Sur le cadre juridique :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 1237-11 du code du travail : " L'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. / La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties. / Elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties. " Aux termes de l'article L. 1237-12 de ce code : " Les parties au contrat conviennent du principe d'une rupture conventionnelle lors d'un ou plusieurs entretiens au cours desquels le salarié peut se faire assister : / 1° Soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise, qu'il s'agisse d'un salarié titulaire d'un mandat syndical ou d'un salarié membre d'une institution représentative du personnel ou tout autre salarié ; / 2° Soit, en l'absence d'institution représentative du personnel dans l'entreprise, par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l'autorité administrative. / Lors du ou des entretiens, l'employeur a la faculté de se faire assister quand le salarié en fait lui-même usage. Le salarié en informe l'employeur auparavant ; si l'employeur souhaite également se faire assister, il en informe à son tour le salarié. / L'employeur peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise ou, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, par une personne appartenant à son organisation syndicale d'employeurs ou par un autre employeur relevant de la même branche. " Aux termes de l'article L. 1237-13 du même code : " La convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut pas être inférieur à celui de l'indemnité prévue à l'article L. 1234-9. / Elle fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l'homologation. / A compter de la date de sa signature par les deux parties, chacune d'entre elles dispose d'un délai de quinze jours calendaires pour exercer son droit de rétractation. Ce droit est exercé sous la forme d'une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l'autre partie. "
3. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 1237-15 du même code : " Les salariés bénéficiant d'une protection mentionnés aux articles L. 2411-1 et L. 2411-2 peuvent bénéficier des dispositions de la présente section. Par dérogation aux dispositions de l'article L. 1237-14, la rupture conventionnelle est soumise à l'autorisation de l'inspecteur du travail dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre Ier du livre IV, à la section 1 du chapitre Ier et au chapitre II du titre II du livre IV de la deuxième partie. Dans ce cas, et par dérogation aux dispositions de l'article L. 1237-13, la rupture du contrat de travail ne peut intervenir que le lendemain du jour de l'autorisation. " Aux termes de l'article R. 2421-16 du même code : " L'inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé. " Aux termes de l'article R. 2421-21 du même code : " La demande d'autorisation de rupture conventionnelle individuelle ou collective du contrat de travail d'un membre de la délégation du personnel au comité social et économique ou d'un représentant de proximité est adressée à l'inspecteur (...) ".
4. Il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre du travail, saisi d'une demande d'autorisation d'une rupture conventionnelle conclue par un salarié protégé et son employeur, de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, au vu de l'ensemble des pièces du dossier, que la rupture n'est pas au nombre de celles mentionnées à l'article L. 1237-16 du code du travail, qu'elle n'a été imposée à aucune des parties et que la procédure et les garanties prévues par les dispositions du code du travail, mentionnées aux points 2 et 3, ont été respectées. A ce titre, il leur incombe notamment de vérifier qu'aucune circonstance, en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par le salarié ou avec son appartenance syndicale, n'a été de nature à vicier son consentement. L'existence de faits de harcèlement moral ou de discrimination syndicale, commis par l'employeur au préjudice du salarié protégé, n'est, par elle-même, pas de nature à faire obstacle à ce que l'inspection du travail autorise une rupture conventionnelle, sauf à ce que ces faits aient, en l'espèce, vicié le consentement du salarié.
Sur le pourvoi principal :
5. Il résulte des énonciations du jugement attaqué que, pour juger que la décision de l'inspectrice du travail autorisant son licenciement est entachée d'illégalité, le tribunal administratif de Strasbourg s'est fondé sur la circonstance que Mme B... a fait l'objet de faits de harcèlement moral de la part de son employeur et que, consécutivement, la violence morale exercée par son employeur a été de nature à vicier son consentement à la rupture conventionnelle, en retenant à cet égard le courriel adressé le 16 novembre 2020 par Mme B... à l'inspection du travail dans lequel elle exprimait son intention de solliciter une rupture conventionnelle faute d'avoir été déclarée inapte par le médecin du travail. Or il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, que Mme B..., qui était placée en arrêt de travail depuis le 9 mars 2020, était accompagnée par une avocate et avait eu plusieurs échanges avec le médecin du travail dans les semaines précédentes, a elle-même sollicité le 20 novembre 2020 une rupture conventionnelle, son employeur, qui n'en était pas à l'initiative, n'ayant pas fait pression pour qu'elle accepte une telle rupture et, d'autre part, que la convention de rupture n'a été signée que le 10 décembre 2020, après deux entretiens entre Mme B... et son employeur espacés de plus d'une semaine. Dans ces conditions, en retenant que, pour autoriser la rupture conventionnelle en cause, l'inspectrice du travail avait illégalement retenu qu'aucune circonstance n'avait été de nature à vicier le consentement de l'intéressée, le tribunal administratif a inexactement qualifié les faits de l'espèce qui lui étaient soumis.
6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société Koch et associés est fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 mars 2024, qu'elle attaque.
Sur le pourvoi incident :
7. L'annulation, sur le pourvoi principal, du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 mars 2024, prive d'objet le pourvoi incident de Mme B.... Il n'y a, par suite, pas lieu d'y statuer.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de se prononcer sur la légalité de la décision du 22 janvier 2021 de l'inspectrice du travail au regard de la question préjudicielle renvoyée par le conseil de prud'hommes de Mulhouse par son jugement avant dire droit du 22 juin 2023. Compte tenu des motifs du jugement, cette question doit être regardée comme portant sur la légalité de la décision de l'inspectrice du travail du 22 janvier 2021, au regard de ce qu'elle a retenu, en premier lieu, que le consentement des parties n'était pas vicié, en deuxième lieu, que la procédure interne à l'entreprise avait été régulière, s'agissant en particulier de la consultation du comité social et économique et de l'assistance de l'employeur lors de l'entretien préalable, et, en dernier lieu, qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre la rupture conventionnelle envisagée et le mandat exercé par l'intéresse.
Sur la légalité de la décision du 22 janvier 2021 :
9. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2421-3 du code du travail : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un membre élu à la délégation du personnel au comité social et économique titulaire ou suppléant (...) est soumis au comité social et économique, qui donne un avis sur le projet de licenciement dans les conditions prévues à la section 3 du chapitre II du titre Ier du livre III. " Aux termes de l'article L. 2314-9 de ce code : " Lorsque le comité social et économique n'a pas été mis en place ou renouvelé, un procès-verbal de carence est établi par l'employeur. L'employeur porte à la connaissance des salariés par tout moyen permettant de donner date certaine à cette information, le procès-verbal dans l'entreprise et le transmet dans les quinze jours, par tout moyen permettant de conférer date certaine à l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1. Ce dernier communique une copie du procès-verbal de carence aux organisations syndicales de salariés du département concerné. " Aux termes de l'article L. 2314-10 du même code : " Des élections partielles sont organisées à l'initiative de l'employeur si un collège électoral n'est plus représenté ou si le nombre des membres titulaires de la délégation du personnel du comité social et économique est réduit de moitié ou plus, sauf si ces événements interviennent moins de six mois avant le terme du mandat des membres de la délégation du personnel du comité social et économique. / Les élections partielles se déroulent dans les conditions fixées à l'article L. 2314-29 pour pourvoir tous les sièges vacants dans les collèges intéressés, sur la base des dispositions en vigueur lors de l'élection précédente. / Les candidats sont élus pour la durée du mandat restant à courir. "
10. Si Mme B... fait valoir que deux membres élus du comité social et économique de la société Thurmelec ont démissionné le 13 août 2020, de sorte que des élections partielles auraient dû être organisées en application des dispositions de l'article L. 2314-10 du code du travail citées au point précédent et soutient que la consultation de ce comité le 9 décembre 2020 sur le projet de rupture conventionnelle de son contrat de travail est irrégulière faute que de telles élections aient été organisées et aient pourvu aux sièges vacants, il ressort des pièces du dossier que la société Thurmelec a adressé un procès-verbal de carence le 26 novembre 2020 à l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 du code du travail attestant de l'organisation d'élections partielles les 16 et 26 novembre 2020 pour lesquelles aucune candidature n'avait été présentée. Par suite, Mme B... n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que la consultation du comité social et économique aurait été irrégulière pour ce motif, ce qui aurait entaché la décision en litige d'illégalité.
11. En deuxième lieu, si lors des entretiens préalables organisés pour convenir du principe d'une rupture conventionnelle, en application des dispositions de l'article L. 1237-12 du code du travail citées au point 2, l'employeur a la faculté de se faire assister quand le salarié fait lui-même usage de son droit de se faire assister, l'assistance de l'employeur lors de l'entretien préalable à la signature de la convention de rupture alors que le salarié se présente seul à l'entretien n'entache d'illégalité la décision de l'inspection du travail autorisant la rupture conventionnelle que si cette assistance a, dans les circonstances de l'espèce, eu pour effet d'exercer une contrainte ou une pression pour le salarié, de nature à vicier son consentement. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier de l'enquête contradictoire conduite par l'inspectrice du travail, et n'est au demeurant pas même allégué, que la présence de la directrice des ressources humaines de la société Thurmelec lors des entretiens des 2 et 10 décembre 2020 entre Mme B... et son employeur a été de nature à produire un tel effet, si bien que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision l'inspectrice du travail est illégale au motif que son employeur s'était fait assister lors de ces entretiens alors qu'elle-même ne l'avait pas fait.
12. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que l'inspectrice du travail a entaché sa décision d'erreur d'appréciation en retenant que, malgré le contexte de harcèlement moral allégué, le consentement de Mme B... à la rupture conventionnelle de son contrat de travail n'avait pas, en l'espèce, été vicié.
13. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de déclarer que la décision de l'inspectrice du travail de la section 8 de l'unité de contrôle n° 2 de l'unité départementale du Haut-Rhin du 22 janvier 2021 n'est pas entachée d'illégalité.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... une somme à verser à la société Koch et associés au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Koch et associés qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 19 mars 2024 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : Il est déclaré que l'exception d'illégalité de la décision de l'inspectrice du travail de la section 8 de l'unité de contrôle n° 2 de l'unité départementale du Haut-Rhin du 22 janvier 2021 soulevée par Mme B... devant le conseil de prud'hommes de Mulhouse n'est pas fondée.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme B... et par la société Koch et associés au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Koch et associés, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Thurmelec, à Mme A... B... et au conseil de prud'hommes de Mulhouse.
Copie en sera adressée à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.