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28/06/2017 | FRANCE | N°16-83680

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 28 juin 2017, 16-83680


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Luc X...,
- Mme Isabelle Y..., épouse Z...,
- M. Jean A...,
- M. Louis B...,
- Mme Hélène C...,
- M. Lukasz D...,
- M. Etienne E...,
- M. Antoine F...,
- M. François Z...,
- M. Foucauld G...,
- M. David H...,
- M. Frédéric I...,
- M. Michel J...,
- M. Patrick K...,
- M. Louis L...,
- M. Jean-Benoît M...,
- M. Henri M...,
- M. Flavien M...,
- M. Michel O...,
- M. Yann P...,
- M. Thibaut Q...,
- M. Mick

aël R...,
- M. Jean-René S...,
- M. Mike T...,
- M. Tony U...,
- M. Christian I...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, c...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Luc X...,
- Mme Isabelle Y..., épouse Z...,
- M. Jean A...,
- M. Louis B...,
- Mme Hélène C...,
- M. Lukasz D...,
- M. Etienne E...,
- M. Antoine F...,
- M. François Z...,
- M. Foucauld G...,
- M. David H...,
- M. Frédéric I...,
- M. Michel J...,
- M. Patrick K...,
- M. Louis L...,
- M. Jean-Benoît M...,
- M. Henri M...,
- M. Flavien M...,
- M. Michel O...,
- M. Yann P...,
- M. Thibaut Q...,
- M. Mickaël R...,
- M. Jean-René S...,
- M. Mike T...,
- M. Tony U...,
- M. Christian I...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 11 mai 2016, qui, pour entrave concertée avec violences ou voies de fait à la liberté d'expression, a condamné les 25 premiers nommés à des peines d'amende ou de jours-amende ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 23 mai 2017 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, M. Straehli, Mme Durin-Karsenty, MM. Larmanjat, Ricard, Parlos, Mme Ménotti, conseillers de la chambre, MM. Talabardon, Ascensi, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Lagauche ;

Greffier de chambre : Mme Zita ;

Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle LE BRET-DESACHÉ, de la société civile professionnelle FOUSSARD et FROGER, de la société civile professionnelle SEVAUX et MATHONNET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAGAUCHE ;

Sur la recevabilité du pourvoi en tant qu'il est formé par M. Christian I...:

Attendu que l'arrêt attaqué ne prononce aucune condamnation civile contre M. Christian I..., lequel a été définitivement relaxé par les premiers juges ;

D'où il suit que, la décision ne faisant pas grief à ce demandeur, son pourvoi n'est pas recevable ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 431-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé la culpabilité des demandeurs du chef d'entrave à la liberté d'expression et les peines prononcées par les premiers juges et, sur l'action civile, les a condamnés à payer la somme de un euro aux parties civiles ;

" aux motifs qu'en ce qui concerne l'entrave à une liberté publique, en l'espèce la liberté d'expression, cette notion ne suppose pas nécessairement une action ayant rendue impossible l'exercice de cette liberté, la perturbation ou l'interruption d'un spectacle dans la limite de la résistance opposée aux perturbateurs correspondant à l'infraction visée par le texte qui fonde la prévention ; que, par ailleurs, si c'est à bon droit que les prévenus opposent leur propre liberté d'expression à celle du spectacle (sic) qu'ils ont entravé, celui-ci ne saurait être admis en l'espèce dans la mesure où leur action n'est pas la réaction spontanée d'un spectateur à une représentation, dont il critique la qualité ou le contenu, mais la volonté d'entraver un spectacle qui ne leur était nullement imposé ; que leur sera encore proposé l'attitude des quelques prévenus dont la désapprobation s'est exprimée par le seul fait de quitter la salle éventuellement en exprimant d'une phrase du type « c'est un scandale » leur indignation ;/ …/ ; qu'en effet, leurs interventions orales limitées ou assumées ne dépassent pas les limites de la liberté d'expression en ce qu'elles n'étaient pas de nature à provoquer l'interruption du spectacle ; qu'il n'en est pas de même du fait de monter sur la scène, ou encore de manifester la volonté de le faire dans des conditions telles que la nécessaire intervention des services de sécurité entraîne l'interruption, même provisoire, du spectacle, tous comportements qui caractérisent la voie de fait ; que la déclaration de culpabilité de l'ensemble des autres prévenus sera donc confirmée, de même que des peines exactement adaptées ;/ …/ ; que les parties civiles dont la recevabilité n'a pas été contestée, soit celles de M. Roméo V..., de M. Giancarlo W...et du Théâtre de la Ville ont donc, en des conclusions communes, sollicité chacune la condamnation des prévenus à leur payer un euro de dommages-intérêts au titre de leur préjudice moral ;/ …/ ; que les parties civiles font valoir le fondement même de la poursuite, soit l'atteinte à leur liberté d'expression ; que les prévenus ont fait plaidé (sic), selon les cas alternativement ou cumulativement, que leur action correspondait à l'exercice de leur propre liberté d'expression, ainsi que l'atteinte portée par les parties civiles à leurs convictions religieuses, les parties civiles étant à ce dernier titre à l'origine de leur propre dommage, ils s'opposent, en conséquence, à une réparation, même symbolique ; que les prévenus condamnés au titre de l'action publique seront nécessairement tenu (sic) à la réparation de l'incontestable préjudice moral subi par les parties civiles ; que la décision du tribunal sera sur ce point confirmée ;

" 1°) alors que l'entrave au sens de l'article 431-1 du code pénal suppose une action concertée en vue d'empêcher totalement l'exercice de la liberté d'expression ; que le seul trouble momentané dans le déroulement d'un spectacle ne saurait donc constituer une entrave ; qu'en l'espèce, le comportement des prévenus, qui relevait de l'exercice de leur liberté d'opinion, comprise dans celle d'expression, leur droit à leur liberté de conscience ayant été bafoué par l'injure faite à un symbole sacré de leur religion, n'a perturbé que momentanément le déroulement du spectacle, qui a ensuite repris son cours sans être annulé ; que l'atteinte à la liberté d'expression des parties civiles a donc été proportionnée et a poursuivi un but légitime, l'exercice de leurs libertés d'expression et de conscience par les prévenus ; que la cour d'appel a pourtant considéré que l'entrave à la liberté d'expression « ne suppose pas nécessairement une action ayant rendue impossible l'exercice de cette liberté, la perturbation et l'interruption du spectacle » « correspondant à l'infraction visée par le texte qui fonde la prévention » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 431-1 du code pénal ;

" 2°) alors que le juge pénal ne peut prononcer de peine qu'autant qu'il a caractérisé tous les éléments constitutifs de l'infraction ; qu'il lui incombe, s'agissant du délit d'entrave à la liberté d'expression, de caractériser notamment la voie de fait, qui, en l'absence de définition légale, s'entend de tout acte qui, sans atteindre physiquement la personne, est susceptible de lui causer une impression vive, une émotion violente et de troubler sa sécurité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que le « fait de monter sur la scène, ou encore de manifester la volonté de le faire dans des conditions telles que la nécessaire intervention des services de sécurité entraine l'interruption, même provisoire, du spectacle » caractérisaient la voie de fait ; qu'en prononçant comme elle l'a fait, sans caractériser en quoi le fait de monter sur scène, de prier, de chanter l'Ave Maria, de crier au blasphème, à la christianophobie et au scandale ou encore vive le Christ avait fait subir aux parties civiles une émotion violente et suscité la crainte pour leur sécurité et sans prendre en compte le fait qu'elles ont pris, en toute connaissance de cause, le risque de choquer profondément des croyants en insultant un symbole sacré de leur religion chrétienne et qu'aucun acteur ou metteur en scène ne peut prétendre ignorer que, si sa liberté d'expression est sacrée, elle peut trouver ses limites dans la souillure de ce qui est sacré pour d'autres, dont la réaction est donc prévisible, la cour d'appel a violé l'article 431-1 du code pénal ;

" 3°) alors que dans l'hypothèse d'un conflit dans lequel les parties invoquent l'atteinte à l'exercice d'une même liberté, le juge doit mettre en balance les intérêts de chaque partie, afin de rechercher si les deux atteintes s'équilibrent ou si l'une est abusive et de s'assurer que la protection de la liberté d'une partie n'entraine pas le sacrifice de celle de l'autre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel était invitée à mettre en balance la liberté d'expression des prévenus, qui revendiquaient leur droit de protester contre une injure faite à un symbole de la religion, et celle des parties civiles, qui opposaient leur droit de mettre en scène un spectacle scatologique se terminant par la souillure du visage du Christ ; que la cour d'appel a pourtant considéré que « si c'est à bon droit que les prévenus opposent leur propre liberté d'expression à celle du spectacle (sic) qu'ils ont entravé, celui-ci ne saurait être admis en l'espèce dans la mesure où leur action n'est pas la réaction spontanée d'un spectateur à une représentation, dont il critique la qualité ou le contenu, mais la volonté d'entraver un spectacle qui ne leur était nullement imposé ; que leur sera encore proposé l'attitude des quelques prévenus dont la désapprobation s'est exprimée par le seul fait de quitter la salle éventuellement en exprimant d'une phrase du type « c'est un scandale » leur indignation ;/ …/ ; qu'en effet, leurs interventions orales limitées ou assumées ne dépassent pas les limites de la liberté d'expression en ce qu'elles n'étaient pas de nature à provoquer l'interruption du spectacle » ; qu'en statuant ainsi, sans mettre en balance les intérêts en cause, en réduisant la liberté d'expression des prévenus à la faculté de quitter individuellement la salle, en pouvant « éventuellement » exprimer leur désapprobation, et en protégeant de manière absolue la liberté d'expression des parties civiles en occultant totalement celle des demandeurs, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de procédure que trois représentations du spectacle intitulé " Sur le concept du visage du fils de Dieu " ont été perturbées et momentanément interrompues par des spectateurs qui, de façon concertée, sont montés sur la scène, en criant, chantant et priant, ou encore, lors de la dernière représentation concernée, ont lancé des boules puantes ; que M. X...et les autres demandeurs au pourvoi, ainsi que huit autres personnes, ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel, du chef susvisé ; que les juges du premier degré ont déclaré coupables les demandeurs au pourvoi autres que M. Christian I...; que ces prévenus, ainsi que les parties civiles et, à titre incident, le ministère public, ont relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour confirmer le jugement à l'égard de vingt-six des trente appelants, l'arrêt énonce notamment que l'entrave à la liberté d'expression ne suppose pas nécessairement une action ayant rendu impossible l'exercice de cette liberté, mais est caractérisée par la perturbation ou l'interruption d'un spectacle dans la limite de la résistance opposée aux perturbateurs ; que les juges, après avoir relaxé quatre prévenus qui ont quitté la salle en exprimant éventuellement d'une phrase leur indignation et n'ont ainsi pas outrepassé les limites de leur liberté d'expression, ajoutent que les autres prévenus ne sauraient invoquer, en l'espèce, l'exercice de leur propre liberté d'expression, dès lors que, loin de manifester spontanément leur désapprobation, ils avaient la volonté d'entraver un spectacle qui ne leur était nullement imposé ; que la cour d'appel retient enfin que le fait de monter sur la scène ou de tenter de le faire dans des conditions obligeant à l'intervention des services de sécurité, fait qui a entraîné l'interruption, même momentanée, du spectacle, caractérise la voie de fait ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, dont il résulte qu'elle a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé, en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit d'entrave concertée avec voies de fait à la liberté d'expression dont elle a déclaré les prévenus coupables, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions légales ou conventionnelles visées au moyen, lequel doit, en conséquence, être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

I-Sur le pourvoi en tant qu'il est formé pour M. Christian I...:

Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;

II-Sur le pourvoi en tant qu'il est formé pour les autres demandeurs :

Le REJETTE ;

FIXE à 2 000 euros la somme globale que les demandeurs au pourvoi devront payer à l'association Théâtre de la Ville au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit juin deux mille dix-sept ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Le Rapporteur Le Président
Le Greffier de chambre


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 16-83680
Date de la décision : 28/06/2017
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 11 mai 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 28 jui. 2017, pourvoi n°16-83680


Composition du Tribunal
Président : M. Guérin (président)
Avocat(s) : SCP Foussard et Froger, SCP Le Bret-Desaché, SCP Sevaux et Mathonnet

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.83680
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