LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 19 mars 2015), que la société Eiffage immobilier Ile-de-France (la société Eiffage), bénéficiaire d'une promesse unilatérale de vente sous les conditions suspensives d'obtention d'un permis de construire et d'autorisation de création d'une nouvelle surface commerciale, a été assignée en paiement de l'indemnité d'immobilisation pour avoir empêché l'accomplissement de ces conditions en déposant un dossier de permis de construire ne respectant pas les règles du plan local d'urbanisme (PLU) et un dossier insuffisant devant la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) ; qu'elle a appelé en garantie M. X..., architecte chargé de la demande de permis de construire, et la société WB conseil, assurée auprès de la société GAN assurances, chargée de présenter le dossier à la CDAC ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu que la société Eiffage fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de garantie contre M. X... ;
Mais attendu qu'ayant retenu que la société Eiffage, appartenant à un important groupe européen de BTP, professionnelle de la promotion immobilière et rompue à la constitution des dossiers de permis de construire, s'était, après le rejet de la demande de permis de construire, abstenue, de façon délibérée, de toute diligence en vue de la régularisation du dossier nécessitant quelques adaptations mineures, alors qu'elle pouvait, avant l'expiration du délai de la promesse de vente, obtenir les autorisations administratives et était la seule à pouvoir former une telle demande, la cour d'appel a pu en déduire que la faute de la société Eiffage, à même d'apprécier la qualité du dossier présenté, était la cause exclusive du défaut d'accomplissement de la condition suspensive d'obtention du permis de construire ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen, ci-après annexé :
Attendu que la société Eiffage fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de garantie contre la société WB et la société GAN ;
Mais attendu qu'ayant retenu que la société Eiffage, professionnelle de la promotion immobilière et rompue à la constitution des dossiers d'aménagement commercial en concertation avec les collectivités territoriales, était à même de comprendre seule les raisons du refus opposé par la CDAC et qu'elle s'était, après le rejet de la demande, abstenue, de façon délibérée, de toute diligence en vue de la régularisation du dossier insuffisamment documenté, alors qu'elle pouvait, avant l'expiration du délai de la promesse de vente, obtenir les autorisations administratives, qu'elle était la seule à pouvoir former une telle demande et qu'elle prétendait, dans une lettre à la venderesse, poursuivre les études en vue du dépôt de nouvelles demandes dans l'objectif de la réalisation de l'opération, la cour d'appel, abstraction faite d'un motif surabondant, a pu en déduire que la société Eiffage avait commis des fautes qui étaient la cause exclusive du défaut d'accomplissement de la condition suspensive d'obtention de l'autorisation de création d'une nouvelle surface commerciale ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Eiffage immobilier Ile-de-France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juillet deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Coutard et Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour la société Eiffage immobilier Ile-de-France
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté la société EIFFAGE de sa demande en garantie à l'encontre de Monsieur Christian X... ainsi que du surplus de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE « Eiffage précise avoir confié à M. X... architecte une mission de maîtrise d'oeuvre de conception comprenant l'élaboration et le dépôt des demandes de permis de construire ; elle lui reproche d'avoir pris des risques en retenant les solutions les plus favorables et optimistes concernant tant la hauteur en limite séparative qu'en ce qui concerne le nombre de places de stationnement, sans lui prodiguer les conseils nécessaires et sans attirer son attention sur les conséquences éventuelles de ces options, estimant que cette carence est constitutive d'un manquement à son obligation de conseil ; cependant, comme il a déjà été dit et comme l'a écrit M. X... dans son courrier du 21 octobre 2011, il suffisait de procéder à des corrections mineures et de redéposer un dossier, ce que n'a pas fait Eiffage, sans manifestement que M. X... ait eu connaissance des motifs du refus avant le 18 octobre 2011 ; il n'est pas établi dans ces circonstances alors que seule Eiffage pouvait prendre la décision de redéposer une demande, de lien de causalité entre la décision de refus de permis de construire et la condamnation au paiement de l'indemnité d'immobilisation prononcée contre elle » ;
1°/ ALORS, D'UNE PART, QUE le fait que le maître de l'ouvrage n'ait pas déposé de nouvelle demande de permis de construire, ni formé de recours à l'encontre de la décision de refus de permis de construire ne peut exonérer l'architecte de sa responsabilité pour avoir établi et déposé une demande de permis de construire non conforme aux règles du plan local d'urbanisme ; qu'en l'espèce, après avoir elle-même constaté que les demandes de permis de construire, dont la société EIFFAGE avait confié l'élaboration et le dépôt à M. X..., architecte, avaient été refusées car elles ne respectaient pas les règles du plan local d'urbanisme et avoir, pour ce motif, condamné la société EIFFAGE à payer l'indemnité immobilisation à la société UCB pour avoir empêché l'accomplissement de la condition suspensive tenant à l'obtention de ces permis de construire (arrêt p. 8 § 6 et p. 10 § 3), la cour d'appel ne pouvait rejeter la demande en garantie formée par la société EIFFAGE à l'encontre de M. X... en énonçant que le lien de causalité entre les décisions de refus de permis de construire et la condamnation de la société EIFFAGE au paiement de l'indemnité d'immobilisation n'était pas établi, aux motifs inopérants qu'il suffisait de procéder à des corrections mineures et de redéposer une demande de permis et que seule la société EIFFAGE pouvait prendre la décision de redéposer une telle demande (arrêt p. 11 dernier paragraphe) ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
2°/ ALORS, D'AUTRE PART, QU'à l'occasion de l'établissement du dossier de demande de permis de construire, l'architecte doit respecter les règles d'urbanisme applicables à la construction, notamment le plan local d'urbanisme, et exercer son devoir de conseil en avisant le maître de l'ouvrage des difficultés relatives à la mise au point du projet, notamment des difficultés d'interprétation des règles du plan local d'urbanisme ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande en garantie formée par la société EIFFAGE à l'encontre de M. X..., la cour d'appel ne pouvait se borner à affirmer que M. X... n'avait pas eu connaissance des motifs du refus des demandes de permis de construire avant le 18 octobre 2011 et que, dans son courrier du 21 octobre 2011, il avait écrit à la société EIFFAGE qu'il suffisait de procéder à des corrections mineures et de redéposer un dossier, sans vérifier ni constater qu'avant de déposer les demandes de permis en mai 2010, M. X... avait informé la société EIFFAGE qu'il existait des difficultés d'interprétation des règles du plan local d'urbanisme, qu'il avait fait le choix de retenir l'interprétation la plus favorable à la société EIFFAGE et que les demandes de permis risquaient d'être refusées pour ce motif, ce que la société EIFFAGE contestait dans ses conclusions ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
3°/ ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE la faute de la victime n'est une cause d'exonération totale de la responsabilité que si cette faute était imprévisible et irrésistible ; qu'en l'espèce, à supposer même que le fait que la société EIFFAGE n'ait pas déposé de nouvelles demandes de permis de construire soit constitutif d'une faute de sa part et quand bien même elle était seule à pouvoir prendre la décision de déposer de nouvelles demandes, la cour d'appel ne pouvait exonérer totalement M. X..., en sa qualité d'architecte, de sa responsabilité vis-à -vis de la société EIFFAGE pour avoir déposé des demandes de permis de construire non conformes aux règles du plan local d'urbanisme, sans vérifier ni constater que M. X... était dans l'impossibilité de prévoir que la société EIFFAGE ne déposerait pas de nouvelles demandes ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1148 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté la société EIFFAGE de sa demande en garantie à l'encontre de la société WB et de son assureur, la société GAN ASSURANCES et de l'ensemble de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE « la société WB s'est vue confier, suivant la convention du 7 mai 2010, à l'égard d'Eiffage une mission d'assistance dans la mise au point du dossier de demande d'autorisation relative à la création de la surface à usage commercial ; la société WB s'est engagée à tout mettre en oeuvre pour exécuter au mieux l'ensemble des tâches énumérées, suivant une répartition de certaines tâches annexée au contrat ; Eiffage fait grief à la société WB de ne pas avoir demandé à la CDAC de procéder à son audition et d'avoir manqué à son obligation de conseil en n'attirant pas son attention sur les raisons du refus opposé par la Commission ; cependant, il ressort du procès-verbal de la réunion du 2 juillet 2010 qu'elle a été entendue par la CDAC, ainsi que M. X... et la société WB de sorte que le grief formulé de ne pas avoir sollicité son audition devant cette commission manque en fait ; Eiffage écrit d'ailleurs dans ses conclusions en page 8 que M. Y...de la société WB a apporté en séance divers éléments de réponse qu'elle détaille ; par ailleurs, l'obligation de conseil de la société WB doit être appréciée au regard de la qualité de professionnel d'Eiffage agissant en qualité de promoteur, qui était à même de comprendre seule les motifs explicites du refus et qui était seule à pouvoir décider de la suite à donner à ce refus, notamment de juger de l'opportunité de redéposer un dossier en concertation avec la mairie de Nanterre ou de former un recours devant la commission nationale ; Eiffage manque donc à établir la réalité des manquements contractuels qu'elle invoque à l'encontre de la société WB ainsi que le lien de causalité entre la décision de refus opposée par la CDAC à raison des insuffisances du dossier présenté et sa condamnation au paiement de l'indemnité d'immobilisation prévue à la promesse de vente » ;
1°/ ALORS, D'UNE PART, QUE c'est à celui qui est contractuellement tenu d'une obligation particulière de conseil de rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation ; qu'en l'espèce, en énonçant que la société EIFFAGE manquait à établir la réalité du manquement à l'obligation de conseil qu'elle invoquait à l'encontre de la société WB (arrêt p. 11 § 5), quand il incombait à la société WB de prouver qu'elle avait exécuté l'obligation particulière de conseil à laquelle elle était tenue vis-à -vis de la société EIFFAGE en application de la convention d'assistance et de conseil qu'elles avaient conclue le 7 mai 2010, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil ;
2°/ ALORS, D'AUTRE PART, QUE le professionnel, à qui est confiée la mission de mettre au point le dossier de demande d'autorisation de création d'une surface commerciale conformément aux dispositions légales et réglementaires fixant le contenu de cette demande, doit veiller à ce que le dossier contienne l'ensemble des informations prescrites par les textes légaux et réglementaires et doit, le cas échéant, attirer l'attention de son client sur les informations qui manquent dans le dossier et qui risquent d'entraîner le rejet de la demande ; qu'en l'espèce, après avoir elle-même constaté que la demande d'autorisation de création d'une surface commerciale, dont la société EIFFAGE avait confié la mise au point à la société WB, professionnelle du conseil de l'urbanisme commercial, avait été rejetée par la CDAC car le dossier était lacunaire sur certains points et insuffisamment documenté et avoir, pour ce motif, condamné la société EIFFAGE au paiement de l'indemnité d'immobilisation pour avoir empêché l'accomplissement de la condition suspensive tenant à l'obtention de cette autorisation (arrêt p. 9 § 2 et p. 10 § 3), la cour d'appel ne pouvait rejeter la demande en garantie formée à l'encontre de la société WB en énonçant que la société EIFFAGE manquait à établir la réalité des manquements contractuels qu'elle invoquait à son encontre et le lien de causalité entre la décision de refus opposée par la CDAC à raison des insuffisances du dossier présenté et sa condamnation au paiement de l'indemnité d'immobilisation, aux motifs inopérants que la société EIFFAGE était une professionnelle agissant en qualité de promoteur et était seule à pouvoir juger de l'opportunité de redéposer un dossier ou de former un recours devant la commission nationale (arrêt p. 11 § 5) ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
3°/ ALORS, AUSSI, QUE le professionnel à qui est confiée la mission de mettre au point le dossier de demande d'autorisation de création d'une surface commerciale conformément aux dispositions légales et réglementaires fixant le contenu de cette demande doit veiller à ce que le dossier contienne l'ensemble des informations prescrites par les textes légaux et réglementaires et doit, le cas échéant, attirer l'attention de son client sur les informations qui manquent dans le dossier et qui risquent d'entraîner le rejet de la demande ; qu'en l'espèce, pour juger que le manquement de la société WB à son devoir de conseil n'était pas établi, la cour d'appel ne pouvait se borner à affirmer que l'obligation de conseil de la société WB devait être appréciée au regard de la qualité de professionnel de la société EIFFAGE agissant en qualité de promoteur, qui était à même de comprendre seule les motifs explicites du refus et qui était seule à pouvoir décider de la suite à donner à ce refus, notamment de juger de l'opportunité de redéposer un dossier en concertation avec la mairie de Nanterre ou de former un recours devant la commission nationale, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société WB, professionnelle du conseil de l'urbanisme commercial à qui la société EIFFAGE avait confié la mise au point du dossier en raison de la technicité et de la complexité de cette matière, avait attiré l'attention de la société EIFFAGE sur les insuffisances du dossier et le risque de rejet en résultant et si en ne le faisant pas, la société WB n'avait pas manqué à son devoir de conseil ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
4°/ ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE la faute de la victime n'est une cause d'exonération totale de la responsabilité que si cette faute était imprévisible et irrésistible ; qu'en l'espèce, à supposer même que le fait que la société EIFFAGE n'ait pas déposé de nouveau dossier en concertation avec la mairie de Nanterre ni formé un recours devant la commission nationale soit constitutif d'une faute de sa part et quand bien même elle était seule à pouvoir juger de l'opportunité d'accomplir ces démarches, la cour d'appel ne pouvait exonérer totalement la société WB de sa responsabilité vis-à -vis de la société EIFFAGE pour avoir présenté un dossier insuffisant à la CDAC et ne pas avoir attiré l'attention de la société EIFFAGE sur les insuffisances du dossier, sans vérifier ni constater que la société WB ne pouvait pas prévoir que la société EIFFAGE ne déposerait pas de nouveau dossier et ne formerait pas de recours devant la commission nationale ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1148 du code civil.