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10/09/2024 | FRANCE | N°C2400920

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 10 septembre 2024, C2400920


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° B 23-84.135 F-D


N° 00920




ODVS
10 SEPTEMBRE 2024




REJET




M. BONNAL président,
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 SEPTEMBRE 2024






M. [X]

[T] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, en date du 30 mai 2023, qui, pour injure envers des fonctionnaires, l'a condamné à 900 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les int...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° B 23-84.135 F-D

N° 00920

ODVS
10 SEPTEMBRE 2024

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 SEPTEMBRE 2024

M. [X] [T] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, en date du 30 mai 2023, qui, pour injure envers des fonctionnaires, l'a condamné à 900 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Guérin-Gougeon, avocat de M. [X] [T], les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de MM. [H] [R] et [Z] [K], et les conclusions de Mme Djemni-Wagner, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 juin 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [X] [T], pharmacien, assume notamment la responsabilité de la pharmacovigilance au sein du centre hospitalier de [Localité 1].

3. Pendant la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, la direction du centre hospitalier a adressé une note de service, datée du 13 août 2021, rendant obligatoire la vaccination de tous les personnels de l'établissement, à compter du 15 septembre 2021, sous peine de faire l'objet d'une suspension automatique de leurs fonctions accompagnée d'une interruption immédiate de leur rémunération.

4. En réaction, M. [T] a publié sur un blog dont il est le responsable, le 17 août 2021, un article intitulé : « "Note" du centre hospitalier de [Localité 1]. Vers la mort des professionnels de santé "non vaccinés" contre la Covid-19 : "Une interruption immédiate de la rémunération ", une interdiction d'exercer une autre activité rémunérée "... ? Mais quel avenir pour les AMM (autorisations de mise sur le marché) "conditionnelles" de ces vaccins ? " ».

5. Il indiquait que « Dans l'empire de la honte, du post-science et du post-droit les zélés du régime semblent prospérer » et citait l'extrait d'un article écrit par un professeur de droit public, M. [F] [S], dont il donnait les références, énonçant : « Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, vingt médecins et trois fonctionnaires nazis seront accusés de crimes de guerre et de crimes contre I'humanité et jugés à Nuremberg du 9 décembre 1946 au 20 août 1947 (...) En raison de leur atrocité, les crimes des médecins nazis ont laissé croire qu'il s'agissait d'un accident monstrueux de I'Histoire, faisant ainsi oublier ce que [O] [Y] appelle « la banalité du mal ». »

6. M. [H] [R], directeur du centre hospitalier, et M. [Z] [K], directeur adjoint chargé des ressources humaines de l'établissement, ont fait citer devant le tribunal correctionnel M. [T] du chef d'injure publique envers des fonctionnaires du fait de la publication de l'article susvisé.

7. Par jugement du 28 avril 2022, le tribunal a déclaré M. [T] coupable de ce chef, l'a condamné à 900 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

8. M. [T] a relevé appel de ce jugement et le ministère public appel incident.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

9. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen, pris en ses première, quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [T] au paiement d'une amende de 900 euros avec sursis pour les faits qui lui étaient reprochés et a prononcé sur les intérêts civils, alors :

« 1°/ que la simple citation des propos tenus par un tiers, que l'auteur de la reproduction n'a pas repris à son compte, ne caractérise pas une injure; qu'en déclarant M. [T] coupable d'injure après avoir pourtant constaté qu'il s'était contenté, dans le passage litigieux du texte qu'il a publié le 17 août 2021, de citer, entre guillemets et en précisant sa source, un écrit du professeur de droit [F] [S], la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 et l'article 121-1 du code pénal ;

4°/ en tout état de cause que lorsqu'une expression outrageante est indissociable d'un passage du même texte contenant des faits précis qui lui donne son sens et sa portée, le délit d'injure est absorbé par celui de diffamation ; qu'en l'espèce, l'arrêt retient que, dans le texte publié le 17 août 2021, le prévenu se livre à une critique de la note interne du centre hospitalier de [Localité 1] et met en cause le directeur et le directeur des ressources humaines de l'établissement, de sorte qu'en citant par ailleurs un écrit relatif au jugement de médecins et fonctionnaires nazis lors du procès de Nuremberg, il doit être regardé comme ayant procédé à une comparaison outrageante entre le comportement de MM. [R] et [K] et celui des médecins et fonctionnaires du régime nazi ; qu'après avoir ainsi constaté que la citation litigieuse ne revêtait un sens et une portée outrageante qu'au vu des faits précis reprochés dans le même texte à la direction du centre hospitalier de [Localité 1], la cour d'appel, qui a déclaré M. [T] coupable d'injure plutôt que de diffamation, a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

5°/ en toute hypothèse que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du but poursuivi; que la simple citation, sourcée et entre guillemets, de l'écrit d'un professeur de droit relatif au jugement de médecins et fonctionnaires nazis lors du procès de Nuremberg dans un texte critiquant une note interne de la direction du centre hospitalier de [Localité 1] rendant obligatoire la vaccination de tous les personnels de l'établissement, pour outrageante qu'elle fût vis-à-vis de la direction de l'établissement, en particulier son directeur et son directeur des ressources humaines, s'inscrit dans le débat d'intérêt général et la vive polémique qui se sont développés au sujet de l'obligation vaccinale des soignants pour lutter contre l'épidémie de covid-19 ; qu'en déclarant M. [T] coupable d'injure motif pris de ce que l'article en cause ne participe pas à un débat d'intérêt général mais uniquement a un débat interne à son hôpital, la cour d'appel, qui a méconnu le sens et la portée des propos incriminés et du principe ci-dessus rappelé, a violé l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l"homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

11. Pour déclarer M. [T] coupable d'injure, l'arrêt attaqué énonce notamment que le prévenu a délibérément coupé la partie centrale du paragraphe reproduit de l'article de M. [F] [S] qui citait expressément le code de Nuremberg, opérant une complète décontextualisation du passage de l'article initial, et permettant ainsi la comparaison outrageante des parties civiles avec les médecins et fonctionnaires du régime nazi.

12. Les juges indiquent que, pour preuve que cette manière de faire ne doit rien au hasard ni à la maladresse, le prévenu utilise le caractère gras sur les mots qui appuient cette comparaison, avec en outre la référence à [O] [Y] sur l'expression « la banalité du mal ».

13. Ils précisent que les propos poursuivis revêtent un caractère d'injure publique, et non pas d'une diffamation, dès lors qu'ils ne renferment l'imputation d'aucun fait précis et n'ont pas non plus pour objet de prêter à une personne un fait qu'elle n'aurait pas commis.

14. Ils ajoutent que, si l'obligation vaccinale des soignants constitue un débat d'intérêt général, ce n'est pas le sujet de l'article en cause, dont les passages en cause, qui se livrent à une critique de la note interne du centre hospitalier au sein duquel il exerce, celle-ci étant uniquement la mise en oeuvre de textes contraignants, ne participent pas à un débat d'intérêt général, mais uniquement à un débat interne à son hôpital auquel les termes injurieux n'apportent rien.

15. En prononçant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

16. En premier lieu, les juges ont retenu, à juste titre, que, pour illustrer son propos, le prévenu n'a pas simplement reproduit un article de doctrine d'un professeur de droit mais qu'il en a sélectionné des passages, supprimant la référence originelle au code de Nuremberg qui a consacré, entre autres, le principe du consentement libre et éclairé comme préalable à des recherches mettant en jeu des sujets humains, qu'il a également surligné en gras certains passages, tels que « crimes de guerre et crimes contre l'humanité » et « la banalité du mal », et que ces citations partielles, intégrées à l'article rédigé par M. [T], aboutissaient à faire un parallèle entre la direction du centre hospitalier de [Localité 1] et les fonctionnaires et médecins nazis, de sorte que ces propos avaient un caractère outrageant.

17. En deuxième lieu, les juges, qui ont analysé le sens et la portée des propos poursuivis, ont exactement retenu qu'ils n'imputaient aucun fait précis aux parties civiles et que, dès lors, la qualification de diffamation ne pouvait être retenue.

18. En troisième lieu, si l'obligation vaccinale des soignants constitue un débat d'intérêt général et, contrairement à ce qu'ont retenu les juges, est le sujet de l'article en cause, M. [T], qui se livre dans la première partie de ses propos à une critique de la note interne du centre hospitalier au sein duquel il exerce, dépasse les limites de la liberté d'expression en assimilant, sans qu'il soit possible de considérer ces propos comme satiriques, les cadres dirigeants du centre hospitalier aux médecins et fonctionnaires du régime nazi.

19. Dès lors, le moyen doit être écarté.

20. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [X] [T] devra payer à MM. [H] [R] et [Z] [K] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix septembre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2400920
Date de la décision : 10/09/2024
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Angers, 30 mai 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 10 sep. 2024, pourvoi n°C2400920


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Guérin-Gougeon

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2400920
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