LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- Le bureau central français, - La société Allianz Iard, parties intervenantes,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 7e chambre, en date du 28 mai 2015, qui a renvoyé M. Sergio X... des fins de la poursuite du chef de blessures involontaires et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 11 octobre 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Guého, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire GUÉHO, les observations de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, de la société civile professionnelle GHESTIN et de la société civile professionnelle BARADUC, DUHAMEL et RAMEIX, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires en demande et en défense et les observations complémentaires produits, notamment celles formulées par la société Allianz Iard après communication des conclusions l'avocat général ;
Sur le pourvoi formé par la société Allianz Iard :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
Sur le pourvoi formé par le Bureau central français :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le 23 juillet 2012, M. Sergio X..., conduisant un ensemble routier articulé tracteur et semi-remorque immatriculé en Italie, s'est arrêté à l'entrée d'un carrefour giratoire pour laisser la priorité aux véhicules s'y trouvant ; qu'il a ensuite redémarré et a heurté, renversé puis écrasé une motocyclette arrêtée devant lui, sur laquelle se trouvaient M. Francis Y..., assuré auprès de la société Allianz, et sa passagère Mme Habiba Z... ; que M. X... a été poursuivi pour blessures involontaires ; que le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable, l'a condamné à certaines peines, l'a reconnu intégralement responsable des conséquences dommageables de l'accident, a mis hors de cause la société Allianz, a ordonné des expertises médicales, a alloué aux deux parties civiles des provisions et a déclaré le jugement commun au Bureau central français ; que les parties, à l'exception de la société Allianz, ont relevé appel de cette décision ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 470-1 du code de procédure pénale, 3 et 4 de la loi du 5 juillet 1985 ;
"en ce que l'arrêt attaqué, après avoir renvoyé M. X... des fins de la poursuite, a dit entier le droit à réparation de M. Y... et de Mme Z..., ordonné une expertise, condamné M. X... à payer diverses sommes à titre de provision à M. Y... et Mme Z... et dit que l'arrêt est opposable au Bureau central français ;
"aux énonciations que régulièrement cité par acte remis à sa personne, M. Francis Y... n'a pas comparu, ne s'est pas fait représenter et n'a pas fait valoir de motif d'excuse (…) ; que l'avocat de Mme Habiba Z... a oralement développé ses conclusions demandant à la cour de confirmer le jugement déféré et de condamnation M. X... à lui payer la somme de 4 000 euros à titre d'indemnité par application de l'article 475-1 du code de procédure pénale ; (…) que l'avocat de la société Allianz a développé ses conclusions demandant à la cour de confirmer le jugement déféré, dire que la responsabilité de l'accident incombe à M. X..., de la mettre hors de cause, et, en cas de relaxe, de débouter M. X... et le Bureau central français de leurs demandes contre elle et de les condamner à lui rembourser la somme de 130 000 euros qu'elle a versée à Mme Z... ;
"et aux motifs que l'enquête puis l'instruction ont démontré que, de son poste surélevé de conduite, la visibilité vers l'avant est masquée par un angle mort commençant à 40 centimètres du pare-brise et se terminant à 4,85 mètres ; que la motocyclette est un modèle particulièrement surbaissé ; que M. X... n'avait donc aucune possibilité de la voir, que l'on ne saurait lui reprocher d'avoir fait un écart vers la droite en entendant le bruit causé par le choc du haut du camion contre une branche d'arbre et qu'il n'est donc pas établi qu'il avait manqué de prudence ou fait preuve de négligence ou d'inattention, ou encore avait manqué à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ; qu'il convient donc de réformer le jugement déféré et de renvoyer M. X... des fins de la poursuite ;
"aux motifs que M. X... reconnaît sa responsabilité et demande par conclusions à la cour de faire application de l'article 470-1 du code de procédure pénale ; que, sur les demandes de Mme Z..., il n'est pas démontré ni même allégué que Mme Z... ait commis une faute inexcusable qui ait été la cause exclusive du dommage au sens de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985 ; que son droit à réparation est donc entier ; que c'est à juste titre que le tribunal correctionnel de Grasse a ordonné une expertise médicale ; (…) que Mme Z... a été grièvement blessée, sa jambe droite ayant été broyée par la roue du camion au niveau du bassin, sans possibilité de prothèse ; que le docteur B..., médecin-conseil de la société d'assurances, a conclu que son état de santé n'est pas consolidé, que le déficit fonctionnel permanent ne sera pas inférieur à 50 %, les souffrances endurées et le préjudice esthétique ne seront pas inférieurs à cinq sur une échelle de sept, et qu'elle sera dans la nécessité de se faire assister par une tierce personne ; que, dans cet état, le tribunal correctionnel de Grasse a fait une exacte appréciation du montant de la provision à accorder à Mme Z... ; (…) que, selon l'article 509 du code de procédure pénale, l'affaire est dévolue à la cour dans la limite fixée par l'appel et par la qualité de l'appelant ; qu'en conséquence la cour, saisie des demandes de Mme Z..., ordonnera la réouverture des débats à une de ses prochaines audiences, sur le droit à réparation de M. Y... ; (…) qu'il est soutenu qu'en remontant une file de véhicule aux commandes de sa moto, M. Y... a commis une faute de nature à exclure ou limiter son droit à réparation au sens de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 ; mais (…) que l'accident a eu lieu alors qu'il était à l'arrêt devant le camion et non alors qu'il remontait la file de véhicules ; qu'il n'y a donc aucun lien entre ce fait et l'accident, et que son droit à réparation est entier ;
"alors que si la juridiction correctionnelle, qui prononce une relaxe pour une infraction non intentionnelle, demeure compétente pour accorder, en application des règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des pièces ayant fondé la poursuite, c'est à la condition que la partie civile ou son assureur ait formulé une demande en ce sens avant la clôture des débats ; qu'en l'espèce, il ressort de la procédure que devant la cour d'appel, Mme Z... s'était bornée à demander la confirmation du jugement de première instance sur l'action publique et l'octroi d'une provision sans envisager l'hypothèse d'une relaxe de M. X... ni invoquer les dispositions de l'article 470-1 du code de procédure pénale, M. Y... n'était ni présent, ni représenté et la société Allianz, assureur de M. Y..., s'était limitée à réclamer le remboursement de la somme de 130 000 euros avancée par elle ; qu'en disant entier le droit à réparation de M. Y... et Mme Z... sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 et en condamnant, après l'avoir renvoyé des fins de la poursuite, M. X... à payer à ces derniers les sommes de 5 000 euros et 350 000 euros à titre de provision à valoir sur leur réparation définitive, quand elle n'était saisie d'aucune demande de réparation par les parties civiles ou leur assureur, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que la société Allianz a sollicité dans ses conclusions écrites l'application à titre subsidiaire de l'article 470-1 du code de procédure pénale et que Maître Mir, avocat de Mme Z..., en a fait de même oralement à l'audience de la cour d'appel, la référence faite dans l'arrêt à l'article 475-1 dudit code résultant d'une erreur purement matérielle ;
D'où il suit que le moyen manque en fait ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 388-1, 470-1, 591 et 593 du code de procédure pénale et 1er de la loi du 5 juillet 1985 ;
"en ce que l'arrêt attaqué a dit entier le droit à réparation de Mme Z..., ordonné une expertise, condamné M. X... à lui payer une provision à valoir sur la réparation définitive de son préjudice, mis hors de cause la société Allianz et dit que l'arrêt est opposable au Bureau centrale français ;
"aux motifs qu'il est constant que le 23 juillet 2012 en fin d'après-midi, M. X..., conduisant un ensemble routier articulé tracteur et semi-remorque, s'est arrêté à l'entrée d'un carrefour giratoire pour laisser la priorité aux véhicules s'y trouvant, et que, la voie étant libre, il s'est avancé et a alors heurté, renversé puis écrasé une motocyclette arrêtée devant lui, sur laquelle se trouvaient M. Y... et sa passagère Mme Z..., causant au premier une incapacité de travail de cinq jours et à la seconde une incapacité de travail de 180 jours ;
"et aux motifs que seul l'assureur du prévenu ou du civilement responsable peut être appelé en intervention au sens de l'article 388-1 du code de procédure pénale, et qu'il convient de mettre la société Allianz hors de cause ;
"alors que lorsqu'il apparaît que des tiers responsables doivent être mis en cause, la juridiction correctionnelle renvoie l'affaire, par une décision non susceptible de recours, devant la juridiction civile compétente ; que le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation est tenu d'indemniser les victimes ; qu'est nécessairement impliqué dans l'accident, au sens de ce texte, tout véhicule terrestre à moteur qui a été heurté, qu'il soit à l'arrêt ou en mouvement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que l'ensemble routier conduit par M. X... a heurté, renversé puis écrasé la motocyclette conduite par M. Y... sur laquelle se trouvait Mme Z... ; qu'en statuant sur l'indemnisation de cette dernière et en mettant hors de cause la société Allianz, assureur de M. Y..., quand il ressortait de ses propres constatations que la motocyclette conduite par M. Y..., dont Mme Z... était la passagère, était également impliquée dans l'accident de la circulation, ce qui justifiait le renvoi de l'affaire devant la juridiction civile, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu qu'il appartient aux seuls juges du fond d'apprécier, au vu des éléments de fait qui leur sont soumis par les parties, si des tiers responsables doivent être mis en cause, leur décision à cet égard n'étant susceptible, selon l'article 470-1, alinéa 2, du code de procédure pénale, d'aucun recours ;
D'où il suit que le moyen est irrecevable ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 459, 512 et 593 du code de procédure pénale et 4 de la loi du 5 juillet 1985 ;
"en ce que l'arrêt attaqué a dit entier le droit à réparation de M. Y..., condamné M. X... à lui payer une provision à valoir sur la réparation définitive de son préjudice, mis hors de cause la société Allianz et dit que l'arrêt est opposable au Bureau centrale français ;
"aux motifs que l'enquête puis l'instruction ont démontré que, de son poste surélevé de conduite, la visibilité vers l'avant est masquée par un angle mort commençant à 40 centimètres du pare-brise et se terminant à 4,85 mètres ; que la motocyclette est un modèle particulièrement surbaissé ; que M. X... n'avait donc aucune possibilité de la voir, que l'on ne saurait lui reprocher d'avoir fait un écart vers la droite en entendant le bruit causé par le choc du haut du camion contre une branche d'arbre et qu'il n'est donc pas établi qu'il avait manqué de prudence ou fait preuve de négligence ou d'inattention, ou encore avait manqué à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ; qu'il convient donc de réformer le jugement déféré et de renvoyer M. X... des fins de la poursuite ;
"et aux motifs que sur le droit à réparation de M. Y... (…) il est soutenu qu'en remontant une file de véhicule aux commandes de sa moto, M. Y... a commis une faute de nature à exclure ou limiter son droit à réparation au sens de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 ; mais (…) que l'accident a eu lieu alors qu'il était à l'arrêt devant le camion et non alors qu'il remontait la file de véhicules ; qu'il n'y a donc aucun lien entre ce fait et l'accident, et que son droit à réparation est entier ;
"1°) alors que la faute commise par le conducteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis ; qu'en écartant toute faute de M. Y... à l'origine de l'accident, tout constatant qu'il avait remonté une file de véhicules aux commandes de sa moto avant de se placer à environ un mètre devant un camion dont le conducteur, en raison d'un angle mort, ne pouvait le voir, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"2°) alors que les juges du fond ont l'obligation de répondre aux moyens péremptoires de nature à influer sur la solution du litige ; que dans ses conclusions, le bureau central français soutenait, sur la base des constatations effectuées par les services de gendarmerie faisant apparaître qu'une personne de 1,80 m, placé en ligne droite du camion, à 1,50 m du poids lourd, n'est plus visible et ne devient visible qu'à 5 m de la cabine du poids lourd, que c'est la manoeuvre du conducteur de la moto qui était venu se placer à environ 1 m devant le camion, qui était la cause directe de l'accident, le conducteur du camion ne pouvant le voir dans ces conditions ; qu'en se bornant à relever que l'accident avait eu lieu à un moment où la motocyclette était à l'arrêt devant le camion, pour en déduire que M. Y... n'avait commis aucune faute de conduite, sans répondre aux conclusions du bureau central français qui faisait valoir que le conducteur de la motocyclette s'était placé trop près devant le camion qu'il venait de doubler, ce qui avait provoqué l'accident, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu que, pour exclure l'existence d'une faute de la part de M. Y... de nature à limiter ou exclure son droit à indemnisation, l'arrêt prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu que par ces énonciations, exemptes d'insuffisance comme de contradiction et répondant suffisamment aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 2 000 euros la somme que le Bureau central Français devra payer à la société Allianz Iard au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
REJETTE la demande formée par le Bureau central français au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux novembre deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.