LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° G 23-84.716 F-D
N° 01493
MAS2
10 DÉCEMBRE 2024
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 DÉCEMBRE 2024
M. [H] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 30 mai 2023, qui, pour diffamation publique, l'a condamné à 300 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Doumic-Seiller, avocat de M. [H] [R], les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de M. [N] [P] et de l'Office public de l'habitat du Nord, et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 novembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [N] [P] et l'Office public de l'habitat du Nord (l'OPH du Nord, dit Partenord Habitat) ont fait citer M. [H] [R] devant le tribunal correctionnel des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire, un dépositaire de l'autorité publique ou un citoyen chargé d'un service public, pour avoir notamment mis en ligne, le 4 avril 2021, sur son compte Facebook, les propos suivants : « Logements insalubres : Le candidat sortant doit démissionner de Partenord Habitat, souvent condamné pour la mise en location de logements insalubres et inadaptés. »
3. Les juges du premier degré ont déclaré M. [R] coupable de diffamation publique pour ces propos et ont prononcé sur les intérêts civils.
4. M. [R] et les parties civiles ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [R] coupable de diffamation envers l'Office Public de l'Habitat du Nord, alors :
« 1°/ que la liberté d'expression protégée notamment par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ne peut faire l'objet d'une limitation qu'à la condition d'être nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but légitime poursuivi ; que l'ingérence doit être examinée à la lumière de l'ensemble de l'affaire, y compris la teneur des propos reprochés au prévenu et le contexte dans lequel celui-ci les a tenus, notamment lorsqu'il s'agit d'un débat d'intérêt général ou politique ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a porté une atteinte excessive à la liberté d'expression et n'a pas légalement justifié sa décision en écartant la bonne foi de M. [R], sans égard pour le contexte d'intérêt général dans lequel se sont inscrits ses propos, méconnaissant ainsi les articles 6 et 10 de la convention européenne des droits de l'homme, 29 et 31 de la loi du 29 juillet 1881 ;
3°/ que de surcroît, s'agissant de la démonstration d'une base factuelle suffisante, M. [R] avait produit, outre les deux décisions de condamnations de l'OPH du Nord pour locations de logements insalubres, de nombreuses autres pièces, dont notamment une décision de la préfecture du Nord reconnaissant le caractère inadapté d'un logement de l'OPH Partenord et de plusieurs autres articles de presse faisant état de condamnations de l'OPH Partenord ainsi qu'un jugement du tribunal de proximité de Roubaix; qu'en refusant à M. [R] le bénéfice de la bonne foi aux motifs que la production de deux décisions portant condamnation de l'OPH Nord ne constituaient pas une base factuelle suffisante, sans examiner les éléments de preuve, articles de presse et décisions versés aux débats par ce dernier, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :
7. La liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du premier de ces textes.
8. Il se déduit du second que, si c'est au seul auteur d'imputations diffamatoires qui entend se prévaloir de sa bonne foi d'établir les circonstances particulières qui démontrent cette exception, celle-ci ne saurait être légalement admise ou rejetée par les juges qu'autant qu'ils analysent les pièces produites par le prévenu et énoncent précisément les faits sur lesquels ils fondent leur décision.
9. Pour refuser le bénéfice de la bonne foi à M. [R], l'arrêt retient que la problématique des logements insalubres mis en location constitue un sujet d'intérêt général et que les propos incriminés s'inscrivent dans un but légitime d'information.
10. Les juges relèvent que, pour autant, les propos litigieux sont imprudents et ne disposent pas d'une base factuelle suffisante dès lors qu'il est seulement communiqué par le conseil du prévenu un article de la Voix du Nord du 19 juillet 2017 qui fait état d'une condamnation par la cour d'appel de Douai de l'OPH du Nord et d'un autre arrêt de cette même juridiction du 16 avril 2015 portant condamnation du même OPH, ce qui limite à deux le nombre de condamnations, le terme « souvent » étant dès lors tout à fait inadapté à la réalité décrite, ainsi que le soutient l'OPH du Nord.
11. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
12. En effet, la cour d'appel qui constatait que le prévenu avait produit des articles de presse d'où il résultait que l'OPH du Nord avait été condamné au moins deux fois pour la location de logements insalubres ne pouvait exclure que les propos reposaient sur une base factuelle suffisante.
13. Il s'ensuit que la cassation est encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner le deuxième grief.
Portée et conséquence de la cassation
14. La cassation sera limitée aux condamnations prononcées à l'encontre de M. [R] à raison des propos tenus envers l'OPH du Nord, toutes autres dispositions étant expressément maintenues.
15. Elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 30 mai 2023, mais en ses seules dispositions relatives aux condamnations prononcées à l'encontre de M. [R] à raison des propos tenus envers l'OPH du Nord, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
RAPPELLE que, du fait de la présente décision, le jugement de première instance perd toute force exécutoire en ce qui concerne la déclaration de culpabilité prononcée contre M. [R] à raison des propos tenus envers l'OPH du Nord ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix décembre deux mille vingt-quatre.