LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 décembre 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 732 F-D
Pourvoi n° K 23-16.684
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 4 DÉCEMBRE 2024
1°/ La société [Y], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [Y], agissant en qualité de liquidateur de la société Escale beauté,
2°/ la société Ingenierie Holding Management, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ M. [V] [D],
4°/ Mme [U] [R],
tous deux domiciliés [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° K 23-16.684 contre l'arrêt rendu le 8 mars 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige les opposant à la société Fitness Park Development, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée Mov'in, défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sabotier, conseiller, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat des sociétés [Y], ès qualités, et Ingenierie Holding Management, de M. [D], de Mme [R] et de la SARL Gury & Maitre, avocat de la société Fitness Park Development, après débats en l'audience publique du 15 octobre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Sabotier, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1.Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 mars 2023, rectifié par arrêt du 28 juin 2023), le 13 février 2006, la société Mov'in, aux droits de laquelle est venue la société Fitness Park Development, a conclu avec la société Spa bien-être, aux droits de laquelle est venue la société Escale beauté, un contrat de réservation de zone géographique d'une durée de six mois portant promesse de licence relativement à la marque « Lady Moving ». Le 26 octobre 2011, après trois avenants prolongeant la durée de la réservation, dont le dernier est daté du 30 septembre 2010, le contrat de « licence de marque » a été signé.
2. Le 20 mai 2014, la société Escale beauté, M. [D], son gérant, ainsi que la société Ingenierie Holding Management (la société IHM) et Mme [R], ses associés, ont assigné la société Fitness Park Development aux fins d'obtenir l'annulation des contrats conclus ainsi que le paiement de diverses sommes.
3. Après avoir fait l'objet d'une procédure de sauvegarde le 21 juillet 2014, convertie en redressement judiciaire le 20 mars 2019, la société Escale beauté a été mise en liquidation judiciaire le 27 septembre 2019, la société [Y] étant désignée aux fonctions de liquidateur.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais, sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. Les sociétés [Y], ès qualités, et IHM, ainsi que M. [D] et Mme [R] font grief à l'arrêt de constater la violation de l'exclusivité territoriale du contrat de réservation du 30 septembre 2010, de déclarer la société Fitness Park Development seule responsable et de la condamner à payer à la société Escale beauté la somme de 164 400 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi que celle de 154 640 euros au titre du remboursement des frais de dépose des éléments du concept « Lady Moving », outre une somme à titre d'indemnité de procédure à chacun des défendeurs, alors « que les informations précontractuelles délivrées doivent être sincères et pertinentes ; que la qualité de l'information délivrée s'apprécie à la date de conclusion du contrat ; qu'en retenant, pour écarter la nullité, que les informations relatives à des procédures judiciaires n'ont pas été communiquées à la société Escale beauté parce qu'elles sont postérieures à la communication du document d'information précontractuelle, le 3 septembre 2010, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le nombre conséquent de procédures de liquidation judiciaire ouvertes contre des membres du réseau entre la date de communication du document d'information précontractuelle, le 3 septembre 2010, et la date de signature du contrat, le 26 octobre 2011, près de quatorze mois plus tard, ne rendait pas les informations contenues dans le document d'information précontractuelle obsolètes à la date de signature du contrat, et n'obligeait pas la société Mov'in à communiquer ces informations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 330-3 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 330-3 du code de commerce :
5. Selon ce texte, toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause. Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités. Ledit document ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours minimum avant la signature du contrat.
6. Pour infirmer le jugement, mais seulement en ce qu'il a constaté la violation de l'exclusivité territoriale prévue au contrat de réservation du 30 septembre 2010, déclaré la société Fitness Park Development seule responsable, et condamné cette société à payer à la société Escale beauté la somme de 164 400 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi que celle de 154 640 euros au titre du remboursement des frais de dépose des éléments du concept « Lady Moving », outre une somme à titre d'indemnité de procédure à chacun des défendeurs, l'arrêt constate, d'abord, que le document d'information précontractuelle (DIP) a été communiqué à la société Escale beauté le 3 septembre 2010, soit bien avant la signature du contrat du 26 octobre 2011, de sorte que le délai prévu à l'article L. 330-3 du code de commerce a été respecté.
7. Il ajoute que les informations relatives à des procédures judiciaires engagées par des membres du réseau à l'encontre de la société Fitness Park Development sont postérieures à la transmission du DIP, tandis que ce document mentionnait l'existence de liquidations judiciaires subies par certains exploitants du réseau.
8. L'arrêt en déduit qu'il n'est pas démontré que l'état du réseau a été dissimulé au futur cocontractant.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si, entre la date de transmission du DIP et la date de signature du contrat « de licence de marque », la situation du réseau ne s'était pas trouvée modifiée dans des conditions telles que le franchisé ne se serait pas engagé, en particulier s'il avait été informé du nombre réel de sortie du réseau au 30 septembre 2011 par suite du prononcé de liquidations judiciaires et de la procédure judiciaire engagée le 18 mars 2011 par des membres du réseau à l'encontre de la société Fitness Park Development, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et, sur ce moyen, pris en sa neuvième branche
Enoncé du moyen
10. Les sociétés [Y], ès qualités, et IHM, ainsi que M. [D] et Mme [R] font le même grief à l'arrêt, alors « que l'article L. 330-3 du code de commerce impose au franchiseur de fournir à l'autre partie un document, donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause ; que cette obligation de loyauté porte tout autant sur les informations qu'il doit communiquer que sur celles qu'il a spontanément transmises ; qu'en retenant, pour écarter la nullité du contrat, que l'erreur sur la rentabilité du concept d'une franchise ne peut conduire à la nullité du contrat pour vice du consentement du franchisé si elle ne procède pas de données établies et communiquées par le franchiseur, cependant qu'il résulte de ses propres constatations que les bilans prévisionnels avaient été fournis par la société Mov'in, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé, ensemble l'article 1116 du code civil dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 330-3 du code de commerce et 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
11. Il résulte du premier de ces textes que si les comptes prévisionnels ne figurent pas dans les éléments devant se trouver dans le document d'information précontractuelle, ils doivent, lorsqu'ils sont communiqués, présenter un caractère sérieux.
12. Aux termes du second, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
13. Pour écarter le moyen selon lequel la société Escale beauté aurait été victime d'un dol, après avoir constaté que les bilans prévisionnels communiqués par la société Fitness Park Development étaient des « prévisionnels-types non contractuels », l'arrêt retient encore que la société Escale beauté, qui avait la volonté de s'installer dans un centre commercial, ne démontre pas qu'elle aurait contracté à des conditions différentes si elle avait eu connaissance d'informations plus précises et exactes. Il ajoute qu'il doit être pris en considération qu'il s'agit d'un « concept nouveau sur un marché nouveau ».
14. En statuant ainsi, après avoir constaté qu'au titre de la fourniture du DIP, la société Fitness Park Development avait transmis des bilans prévisionnels inexacts, n'avait pas révélé le nombre exact de sorties du réseau à la suite de liquidations judiciaires et n'avait pas révélé la procédure judiciaire engagée par certains membres à son encontre, ce dont il se déduisait l'omission d'informations révélatrices du risque élevé d'échec de l'ouverture du centre, lesquelles, si la société Escale beauté les avait connues, étaient de nature à la dissuader de contracter, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable la demande de la société Fitness Park Development (anciennement Mov'in) à l'encontre de M. [D] et Mme [R] et la demande de condamnation de la société Fitness Park Development (anciennement Mov'in) pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 8 mars 2023, et rectifié le 28 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Fitness Park Development aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Fitness Park Development et la condamne à payer à la société [Y], en sa qualité de liquidateur de la société Escale beauté, à la société Ingenierie Holding Management, à M. [D] et Mme [R], la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille vingt-quatre.