LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
NL4
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 avril 2021
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 302 F-D
Pourvoi n° T 19-22.517
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 AVRIL 2021
La société Sade - compagnie générale de travaux d'hydraulique, société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° T 19-22.517 contre l'arrêt rendu le 28 juin 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 11), dans le litige l'opposant à la société Orange, société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Sade - compagnie générale de travaux d'hydraulique, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Orange, et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 février 2021 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2019), la société Sade - compagnie générale de travaux d'hydraulique (la société) a réalisé des travaux d'excavation dans une rue de la commune de Brest.
2. Soutenant que des dommages avaient été causés à son réseau, à cette occasion, la société Orange a formé une requête en injonction de payer des dommages-intérêts à son encontre. La société a formé opposition et soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence soulevée, alors :
« 1°/ qu'hormis le cas où le préjudice invoqué trouve sa cause déterminante dans l'action d'un véhicule, la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de l'action en réparation des dommages survenus à l'occasion de la réalisation de travaux publics, fût-elle dirigée contre la personne privée ayant exécuté ces travaux ; qu'en ayant retenu la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire, en déduisant que le dommage en cause trouvait sa cause déterminante dans l'action d'un véhicule utilisé par la société, de la simple preuve de « l'implication » d'un engin de chantier appartenant à la société, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et ainsi violé la loi des 16 et 24 août 1790, ensemble le décret de fructidor an III et l'article 1er de la loi n° 57-1424 du 31 décembre 1957 ;
2°/ que la réparation des dommages de travaux publics relève de la compétence des juridictions de l'ordre administratif ; qu'en ayant énoncé que la société ne faisait pas la preuve du caractère de « travaux publics » des travaux au cours desquels avait pu survenir le dommage dont la société Orange demandait la réparation, quand elle avait elle-même relevé qu'il s'agissait de travaux d'adduction d'eau réalisés sous la chaussée publique, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales qui se déduisaient de ses propres constatations au regard de l'article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII et du principe jurisprudentiel selon lequel les dommages de travaux publics relèvent de la compétence des tribunaux de l'ordre administratif ;
3°/ que les dommages de travaux publics relevant, par principe, de la compétence des juridictions de l'ordre administratif, il incombe à la partie qui entend se prévaloir de la dérogation tirée de l'action déterminante d'un véhicule terrestre à moteur, d'établir que ses conditions sont réunies ; qu'en ayant fait peser le risque de la preuve sur la société, et non sur la société Orange qui se prévalait de la compétence dérogatoire tirée de l'action déterminante d'un véhicule, la cour d'appel a violé l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article 1er de la loi n° 57-1424 du 31 décembre 1957, et par dérogation à l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790, les tribunaux judiciaires sont seuls compétents pour statuer sur toute action en responsabilité tendant à la réparation des dommages de toute nature causés par un véhicule quelconque. Il s'en déduit que, dans le cas d'un dommage survenu à l'occasion de la réalisation de travaux publics, cette attribution de compétence s'applique dès lors que le dommage trouve sa cause déterminante dans l'action d'un véhicule et non dans la conception ou l'exécution de l'opération de travaux publics prise dans son ensemble.
5. Après avoir constaté que les travaux en cause étaient réalisés en sous-sol par la société avec divers engins et que les dommages avaient été occasionnés à un câble enterré à une profondeur d'un mètre, l'arrêt retient qu'est établie l'implication d'un véhicule de chantier utilisé par celle-ci et que le dommage trouve sa cause déterminante dans l'action de ce véhicule.
6. De ces constatations et énonciations, procédant de son appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel, qui n'a pas fait peser sur la société la charge de la preuve, n'a pu qu'en déduire que la juridiction judiciaire était compétente pour connaître du litige.
7. Le moyen, qui critique en sa deuxième branche des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Sade - compagnie générale de travaux d'hydraulique aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit avril deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP L. Poulet-Odent, avocat aux Conseils, pour la société Sade - compagnie générale de travaux d'hydraulique
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris, en ce qu'il s'était déclaré compétent ;
AUX MOTIFS QU'au-delà du moyen soutenu tenant à la compétence du juge administratif en matière de dommages de travaux publics, la société Orange soutient à bon droit, en l'absence de toute production en ce sens par la société Sade, que l'appelante ne fait pas la preuve du caractère de "travaux publics" des travaux au cours desquels a pu survenir le dommage dont réparation est demandée par la société Orange. En revanche la société Orange sollicite à juste titre pour fonder son action en indemnisation l'application de l'article 1 de la Loi du 31 décembre 1957, lequel dispose que : « Par dérogation à l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire, les tribunaux de l'ordre judiciaire sont seuls compétents pour statuer sur toute action en responsabilité tendant à la réparation des dommages de toute nature causés par un véhicule quelconque. Cette action sera jugée conformément aux règles du droit civil, la responsabilité de la personne morale de droit public étant, à l'égard des tiers, substituée à celle de son agent, auteur des dommages causés dans l'exercice de ses fonctions. La présente disposition ne s'applique pas aux dommages occasionnés au domaine public ». La société Orange justifie la réalisation de travaux par la société Sade selon une déclaration d'intention de travaux publics (DICT) à compter du 26 septembre 2016, au cours desquels lequel un câble du réseau dont elle est propriétaire exploitant a été endommagé le 6 octobre 2016.En effet, le récépissé de la DT /DICT délivré le 30 août 2016 comportant les plans en annexe, mentionne la présence d'au moins un réseau concerné "TL", exploité par Orange. La société intimée établit la réalité du dommage en cause, laquelle résulte d'une déclaration de sinistre faite par la société appelante elle-même le 6 octobre 2016 à 12h16, le sinistre portant sur un câble enterré cuivre, ce qui établit la matérialité des faits à l'adresse des travaux, et au jour du sinistre.L'implication de la société Sade résulte notamment et suffisamment de la déclaration de sinistre effectuée par cette société et peut lui être opposée. La caractéristique de travaux réalisés en sous-sol (alimentation en eau potable selon mention apportée à la DICT) au cours desquels les dommages ont été occasionnés à un câble enterré à une profondeur d'un mètre, au moyen de techniques mentionnées à la DICT, soit la mise en oeuvre de divers engins par la société Sade, sont suffisantes à faire la preuve de l'implication d'un véhicule utilisé par la société Sade lors de la survenance du dommage, en l'absence de démonstration contraire par cette société qui conteste l'implication d'un véhicule de type engin de chantier. Il en résulte qu'il est établi suffisamment que le dommage en cause trouve sa cause déterminante dans l'action d'un véhicule utilisé par la société Sade lors de la réalisation du dommage, de sorte que c'est à bon droit que le premier juge a déclaré compétent le tribunal de commerce de Paris. Les moyens tenant à la méconnaissance des règles d'ordre public et au renversement de la charge de la preuve par le premier juge, sont écartés ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE Attendu que SADE a déclaré le 6 octobre 2016 à SOS CABLES, qui est un service permettant de signaler un endommagement de ses équipements, avoir partiellement sectionné un câble enterré en cuivre au [...] ; que SADE ne conteste pas avoir fait cette déclaration ; Qu'ORANGE expose avoir établi un constat le 17 octobre 2016 d'un dommage sur ses câbles enterrés au [...] , et avoir ensuite procédé aux réparations et adressé à SADE la facture de réparation d'un montant de 6 171 €;Après 3 relances restées sans réponse de SADE, ORANGE l'a mis en demeure de lui régler la somme de 6 171,80 G, une première fois par lettre RAR datée du 20 mars 2017, et une seconde fois par lettre RAR datée du 14 août 2017 ; que ces mises en demeure étant restées infructueuses, ORANGE a saisi le tribunal de céans ; Attendu que l'article I de la Loi du 31 décembre 1957 dispose que « Par dérogation à l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 sur l'organisation judiciaire, les tribunaux de l'ordre judiciaire sont seuls compétents pour statuer sur toute action en responsabilité tendant à la réparation des dommages de toute nature causés par un véhicule quelconque.
Cette action sera jugée conformément aux règles du droit civil, la responsabilité de la personne morale de droit public étant, à l'égard des tiers, substituée à celle de son agent, auteur des dommages causés dans l'exercice de ses fonctions » : Attendu que le tribunal de commerce de Paris est compétent si le dommage a été causé par un véhicule au sens de l'article 1 de la loi du 31 décembre 1957 ; qu'une pelleteuse se déplaçant de façon autonome, sur roue ou chenilles, est considérée comme un véhicule au sens de cet article de loi ; que dans le cas où ce n'est pas un véhicule qui a causé le dommage le tribunal administratif est compétent ; Attendu que la charge de la preuve de l'incompétence du tribunal de Paris revient à SADE dans la mesure où c'est SADE qui soulève l'incompétence ; Attendu qu'il est constant que le câble endommagé est situé sous la chaussée ; qu'il est situé selon ORANGE à une profondeur de l'ordre d'un mètre ; que seul le creusement d'une tranchée peut expliquer que SADE ait endommagé le câble ; Attendu qu'à la question posée par le juge chargé d'instruire l'affaire lors de l'audience du 6 novembre 2018 sur la manière dont la tranchée a été creusée, à la pioche ou au moyen d'une pelleteuse, le conseil de SADE a répondu ne pas savoir et que SADE ne le savait pas non plus ; Que SADE ne rapporte en conséquence pas la preuve qu'aucune pelleteuse se déplaçant de façon autonome n'a été utilisée pour creuser la tranchée ;
1°) ALORS QUE hormis le cas où le préjudice invoqué trouve sa cause déterminante dans l'action d'un véhicule, la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de l'action en réparation des dommages survenus à l'occasion de la réalisation de travaux publics, fût-elle dirigée contre la personne privée ayant exécuté ces travaux ; qu'en ayant retenu la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire, en déduisant que le dommage en cause trouvait sa cause déterminante dans l'action d'un véhicule utilisé par la société Sade, de la simple preuve de « l'implication » d'un engin de chantier appartenant à l'exposante, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et ainsi violé la loi des 16 et 24 août 1790, ensemble le décret de fructidor an III et l'article 1er de la loi n° 57-1424 du 31 décembre 1957 ;
2°) ALORS QUE la réparation des dommages de travaux publics relève de la compétence des juridictions de l'ordre administratif ; qu'en ayant énoncé que la société Sade ne faisait pas la preuve du caractère de « travaux publics »des travaux au cours desquels avait pu survenir le dommage dont la société Orange demandait la réparation, quand elle avait elle-même relevé qu'il s'agissait de travaux d'adduction d'eau réalisés sous la chaussée publique, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales qui se déduisaient de ses propres constatations au regard de l'article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII et du principe jurisprudentiel selon lequel les dommages de travaux publics relèvent de la compétence des tribunaux de l'ordre administratif ;
3°) ALORS QUE les dommages de travaux publics relevant, par principe, de la compétence des juridictions de l'ordre administratif, il incombe à la partie qui entend se prévaloir de la dérogation tirée de l'action déterminante d'un véhicule terrestre à moteur, d'établir que ses conditions sont réunies ; qu'en ayant fait peser le risque de la preuve sur la société Sade, et non sur la société Orange qui se prévalait de la compétence dérogatoire tirée de l'action déterminante d'un véhicule, la cour d'appel a violé l'article 1353 du code civil.