LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
DB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 septembre 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 551 F-D
Pourvoi n° D 22-10.211
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 13 SEPTEMBRE 2023
1°/ La société Mes ampoules gratuites (MAG), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ M. [Y] [Z], domicilié [Adresse 2], agissant en qualité de représentant légal de la société Mes ampoules gratuites,
ont formé le pourvoi n° D 22-10.211 contre l'arrêt rendu le 18 novembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige les opposant à la société Franco-Germanique Industrie und Handel Gmbh (FGIH), dont le siège est [Adresse 3] (Allemagne), défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de la société Mes ampoules gratuites et de M. [Z], ès qualités, de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Franco-Germanique Industrie und Handel Gmbh (FGIH), et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 juin 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 novembre 2021), un partenariat mis en oeuvre entre la société Franco-Germanique Industrie und Handel Gmbh (la société FGIH) et le groupe Février, se composant de plusieurs sociétés dont la société Mes ampoules gratuites (la société MAG), a donné lieu à plusieurs litiges à l'occasion desquels la société FGIH a demandé un accès aux informations dont la publication est légalement obligatoire afférentes à l'ensemble du groupe Février.
2. Le 21 septembre 2017, une cour d'appel a condamné en référé la société MAG à publier, pour les exercices 2013 à 2015, les comptes annuels, les comptes consolidés et le rapport sur la gestion du groupe, sous astreinte. L'arrêt a été signifié à la société MAG le 26 décembre 2017.
3. Le 17 décembre 2019, un juge de l'exécution a liquidé l'astreinte à une certaine somme. La société MAG a fait appel du jugement.
4. Début 2020, les parts sociales de la société MAG ont été cédées à la société anglaise JCE UK Consulting Limited, qui a ensuite procédé, le 23 avril 2020, à sa dissolution anticipée sans liquidation, par transmission universelle de son patrimoine (TUP). Le 6 juillet 2020, la société FGIH a formé opposition à la TUP.
5. Le 26 mai 2020, la société FGIH a assigné la société MAG aux fins d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, ou subsidiairement de redressement judiciaire. Par un jugement du 25 mars 2021, un tribunal a rejeté la demande de sursis à statuer de la société MAG, constaté l'état de cessation des paiements de cette société depuis le 17 décembre 2019, renvoyé l'affaire devant la chambre du conseil du 14 avril 2021 « afin qu'il soit statué sur la demande d'ouverture ». Le jugement a été frappé d'appel par la société MAG et M. [Z], en qualité de dirigeant de la société MAG.
Recevabilité du pourvoi contestée par la défense
6. La société FGIH soulève l'irrecevabilité du pourvoi formé par la société MAG et M. [Z] contre l'arrêt du 18 novembre 2021 sur le fondement des articles 607 et 608 du code de procédure civile, au motif que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement sans mettre fin à l'instance.
7. Aux termes de l'article 606 du même code, les jugements en dernier ressort qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être frappés de pourvoi en cassation comme les jugements qui tranchent en dernier ressort tout le principal.
8. L'arrêt attaqué qui, confirmant le jugement, rejette la demande de sursis à statuer, constate l'état de cessation des paiements de la société MAG depuis le 17 décembre 2019 et renvoie l'affaire devant la chambre du conseil du tribunal afin qu'il soit statué sur la demande d'ouverture de la procédure collective de cette société, tranche dans son dispositif une partie du principal, le constat de l'état de cessation des paiements du débiteur concerné étant une condition de fond de l'ouverture de sa liquidation judiciaire ou de son redressement judiciaire.
9. Le pourvoi est donc recevable.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
11. La société MAG et M. [Z], en sa qualité de représentant légal de cette société, font grief à l'arrêt de confirmer le jugement ayant rejeté leur demande de sursis à statuer, constaté l'état de cessation des paiements de la société MAG depuis le 17 décembre 2019 et renvoyé l'affaire à une audience ultérieure, alors :
« 2°/ qu'en toute hypothèse, pour la détermination de l'état de cessation des paiements, définie comme l'impossibilité, pour un débiteur, de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, doit être exclue du passif exigible une dette incertaine, telle une dette litigieuse résultant d'une décision faisant l'objet d'un recours devant la cour d'appel ; que le retrait du rôle est une simple mesure d'administration judiciaire qui laisse subsister l'instance laquelle peut être reprise ultérieurement ; qu'il en résulte qu'une instance d'appel en cours seulement suspendue par une mesure de retrait du rôle fait obstacle à la prise en compte de la dette constatée par le jugement frappé d'appel dans la détermination du passif exigible du débiteur ; qu'en jugeant au contraire que la dette de la société MAG retenue par le jugement de liquidation de l'astreinte du 17 novembre 2019 devait être prise en compte pour déterminer son passif et l'état de cessation des paiements aux motifs que l'appel formé contre ce jugement avait été radié, la cour d'appel a violé les articles L. 631-1 et L. 640-1 du code de commerce, ensemble l'article 383 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en toute hypothèse, pour la détermination de la date de cessation des paiements, définie comme l'impossibilité, pour un débiteur, de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, doit être exclue du passif exigible une dette incertaine, telle une dette litigieuse résultant d'une décision faisant l'objet d'un recours devant la cour d'appel, cette décision eût-elle été assortie de l'exécution provisoire ; qu'en retenant, par motifs adoptés, que la dette de la société MAG consacrée par le jugement de liquidation de l'astreinte du 17 novembre 2019 devait être prise en compte pour déterminer son passif exigible et l'état de cessation des paiements aux motifs qu'il avait été régulièrement signifié, la cour d'appel a violé les articles L. 631-1 et L. 640-1, alinéa 1er, du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 631-1 et L. 640-1, alinéa 1er, du code de commerce, et 383 du code de procédure civile :
12. Pour la détermination de la date de cessation des paiements , définie par le premier de ces textes comme l'impossibilité, pour un débiteur, de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, doit être exclue du passif exigible une dette incertaine, telle la dette litigieuse résultant d'une décision faisant l'objet d'une voie de recours ordinaire, cette décision eût-elle été assortie de l'exécution provisoire.
13. Selon le dernier texte susvisé, la radiation du rôle, simple mesure d'administration judiciaire, laisse subsister l'instance qui peut être reprise ultérieurement.
14. Pour constater l'état de cessation des paiements de la société MAG, l'arrêt relève qu'à la date où la cour d'appel statue, l'appel formé par cette société contre le jugement du 17 novembre 2019 ordonnant la liquidation de l'astreinte et la condamnant à payer à la société FGIH la somme de 181 000 euros, a été radié et ne peut donc plus être considéré comme pendant devant la cour d'appel, et retient qu'en l'état, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que le jugement de liquidation de l'astreinte du 17 novembre 2019 devait être pris en compte pour déterminer le passif de la société MAG et que, pour faire face à ce passif exigible, la société MAG ne justifie d'aucun actif disponible.
15. En statuant ainsi, alors que le jugement du 19 septembre 2019 ayant été frappé d'un appel toujours en cours en dépit de la mesure de radiation, la créance au titre de la liquidation de l'astreinte, litigieuse et donc dépourvue de caractère certain, ne pouvait être incluse dans le passif exigible retenu, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation n'atteint pas les chefs de dispositif de l'arrêt déclarant l'appel de M. [Z] irrecevable, écartant des pièces produites par la société FGIH, et rejetant la demande de nullité du jugement, qui ne sont pas critiqués. Elle n'atteint pas davantage le chef de dispositif confirmant le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer formée par la société MAG, qui ne se rattache pas, par un lien de dépendance nécessaire, aux chefs de dispositif cassés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
Déclare le pourvoi recevable ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il constate l'état de cessation des paiements de la société Mes ampoules gratuites depuis le 17 décembre 2019 et renvoie l'affaire devant la chambre du conseil du tribunal afin qu'il soit statué sur la demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire ou subsidiairement de redressement judiciaire à l'encontre de cette société, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 18 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Franco-Germanique Industrie und Handel Gmbh (FGIH) aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Franco-Germanique Industrie und Handel Gmbh (FGIH) et la condamne à payer à la société Mes ampoules gratuites (MAG) et à M. [Z], en qualité de représentant légal de cette société, la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille vingt-trois.