LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité formulée par mémoire spécial reçu le 21 mai 2013 et présentée par :
1°/ Mme Annick X..., épouse Y..., domiciliée ..., 75016 Paris,
2°/ Mme Hélène X..., épouse Z..., domiciliée..., 29000 Crozon,
3°/ M. Louis X..., domicilié... 75116 Paris,
4°/ M. Henri X..., domicilié... 06250 Mougins,
5°/ M. Olivier X..., domicilié..., 75016 Paris,
6°/ M. Stéphane X...,
7°/ Mme Emmanuelle X...,
tous deux domiciliés..., 06250 Mougins,
à l'occasion du pourvoi formé par eux contre l'arrêt rendu le 21 novembre 2012 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 1), dans le litige les opposant :
1°/ à l'Agent judiciaire du Trésor public, actuellement Agent judiciaire de l'Etat, domicilié Bâtiment Condorcet, télédoc 331, 6 rue Louise Weiss, 75703 Paris cedex,
2°/ à la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, dont le siège est case 433, 263 rue de Paris, 93514 Montreuil cedex,
3°/ à l'Association contre toute révision de l'ordonnance n° 45-68 du 16 janvier 1945 (Esprit de renaissance), dont le siège est 47 avenue Mathurin Moreau, 75019 Paris,
4°/ à l'association Fédération nationale des déportés et internés (RESI FNDIRP), dont le siège est 10 rue Leroux, 75116 Paris,
5°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, Palais de justice, 34 quai des Orfèvres, 75001 Paris,
défendeurs à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique de ce jour ;
Sur le rapport de M. Gallet, conseiller, les observations de Me Spinosi, avocat des consorts X..., de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT et de l'Association contre toute révision de l'ordonnance n° 45-68 du 16 janvier 1945 (Esprit de résistance), de la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat de l'Agent judiciaire de l'Etat, l'avis de M. Legoux, avocat général, et après en avoir immédiatement délibéré conformément à la loi ;
Attendu que Mme Y..., Mme Z..., MM. Louis, Henri, Olivier et Stéphane X... et Mme Emmanuelle X... (les consorts X...), agissant en qualité d'ayants cause de Jean-Louis X..., lui-même héritier, avec Christiane C..., de leur aïeul Louis X..., ont assigné, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, l'Agent judiciaire du Trésor, devenu Agent judiciaire de l'Etat, aux fins de voir constater que l'ensemble de l'opération de confiscation des biens ayant appartenu à Louis X..., composée de l'ordonnance du 16 janvier 1945 modifiée par celle du 18 juillet 1945, des neuf arrêtés d'application et des mesures d'exécution, a constitué une voie de fait, de condamner en conséquence l'Agent judiciaire de l'Etat à réparer l'intégralité du préjudice matériel subi par Jean-Louis X... et Christiane C... et par eux-mêmes depuis la mort de leurs auteurs, et à payer une somme d'un euro en réparation du préjudice moral de Jean-Louis X... et Christiane C... ; qu'à cette occasion, ils ont proposé que soit transmise une question prioritaire de constitutionnalité ; que, par arrêt du 21 novembre 2012, la cour d'appel de Paris a confirmé les ordonnances par lesquelles le juge de la mise en état avait fait droit au déclinatoire de compétence déposé par le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, et à l'exception d'incompétence soulevée par l'Agent judiciaire de l'Etat, avait dit la juridiction judiciaire incompétente et avait dit n'y avoir lieu de statuer sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité ;
Attendu qu'à l'occasion du pourvoi qu'ils ont formé à l'encontre de cet arrêt, les consorts X... demandent à la Cour de cassation de saisir le Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :
« Les dispositions des anciens articles 1er, 2, 3 et 4 de l'ordonnance n° 45-68 du 16 janvier 1945 portant nationalisation des usines X... portent-elles atteinte au droit de propriété, ainsi qu'au droit au recours, au principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel l'autorité judiciaire est garante de la propriété, au principe de légalité des délits et des peines, au principe de nécessité des peines, au principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère, au principe du respect des droits de la défense, au principe de la personnalité des peines et au principe de la présomption d'innocence ? » ;
Attendu que, présenté par un mémoire spécial, motivé et distinct du mémoire ampliatif produit au soutien du pourvoi, le moyen tiré de l'atteinte alléguée aux droits et libertés, ainsi énumérés, garantis par la Constitution, est recevable en la forme ; que les dispositions de l'ordonnance n° 45-68 du 16 janvier 1945 modifiée, qui sont au fondement de l'action en responsabilité engagée contre l'Etat, sont effectivement applicables au litige, au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Mais attendu, d'abord, que la question, en tant qu'elle se fonde sur les normes constitutionnelles relatives aux droits et libertés qu'elle invoque, n'est pas nouvelle, au sens des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 en sa rédaction issue de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 ; qu'ensuite, en ce qu'elle tend à faire juger que les dispositions contestées de l'ordonnance du 16 janvier 1945 caractérisent une voie de fait justifiant la compétence du juge judiciaire pour connaître de l'action en responsabilité dirigée contre l'Etat, par dérogation au principe de séparation des autorités administrative et judiciaire posé par l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, elle est inopérante, donc dépourvue de caractère sérieux, dès lors que l'ordonnance n° 45-68 du 16 janvier 1945 est un texte de valeur législative pris par le Gouvernement provisoire de la République française dans l'exercice de son pouvoir législatif dans un domaine réservé au législateur et, partant, ne saurait relever de la notion de voie de fait, seulement applicable à un acte ou une décision de l'administration ;
D'où il suit qu'il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;
PAR CES MOTIFS :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux juillet deux mille treize ;
Où étaient présents : M. Charruault, président, M. Gallet, conseiller rapporteur, M. Gridel, conseiller doyen, M. Legoux, avocat général, Mme Laumône, greffier de chambre.