LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 juillet 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 318 F-D
Pourvoi n° N 22-24.019
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024
M. [B] [L], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 22-24.019 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Z] [O],
2°/ à Mme [E] [O],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
3°/ à la Ville de [Localité 4], représentée par son maire en exercice domicilié en cette qualité [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
M. et Mme [O] ont formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Les demandeurs au pourvoi provoqué invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gallet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [L], de la SCP Foussard et Froger, avocat de la Ville de [Localité 4], de Me Occhipinti, avocat de M. et Mme [O], après débats en l'audience publique du 30 avril 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Gallet, conseiller référendaire rapporteur, M. David, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 septembre 2022), la Ville de [Localité 4] a assigné en la forme des référés, sur le fondement des articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation, M. et Mme [O] et M. [L], respectivement propriétaires et locataire d'un appartement constituant le lot n° 53 de l'immeuble situé [Adresse 3] à [Localité 4], afin de les voir condamner au paiement d'une amende civile, pour l'avoir loué de manière répétée, pour de courtes durées, à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
3. M. [L] fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement d'une amende civile, alors :
« 2°/ que l'amende civile est une sanction ayant le caractère d'une punition, même lorsqu'elle n'est pas prononcée par une juridiction répressive, de sorte qu'elle doit respecter le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, les exigences des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, de l'article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment le principe à valeur constitutionnelle de personnalité des peines qui exige que le quantum de l'amende prévue par l'article L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation soit déterminé en considération de la connaissance, par l'intéressé, du changement d'usage illicite ; qu'en l'espèce, en condamnant M. [L] à une amende civile de 25 000 euros, sans établir, par motifs propres ou adoptés, que l'intéressé ait agi en connaissance du prétendu usage d'habitation du bien qu'il louait, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation, ensemble les articles et principes précités ;
3°/ que lorsque l'infraction sanctionnée par l'article L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation est constatée par les juges du fond, ceux-ci doivent fixer le montant de l'amende en fonction de l'objectif d'intérêt général, des revenus procurés par les locations illicites et de la bonne foi dont l'intéressé a fait preuve ; qu'en l'espèce, en condamnant M. [L] à une amende de 25 000 euros lorsqu'elle relevait, par motifs adoptés, que celui-ci avait procédé à diverses consultations et recherches faisant état d'un usage commercial du bien, ce qui caractérisait sa bonne foi, la cour d'appel, qui a pourtant prononcé une amende d'un montant excessivement élevé, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et, partant, a violé l'article susvisé ;
4°/ qu'en condamnant M. [L] à une amende de 25 000 euros sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si M. [L] n'avait pas agi de bonne foi, puisque, sur la base des recherches et consultations qu'il avait réalisées, il pouvait légitimement penser avoir loué un local à usage commercial, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation. »
Réponse de la Cour
4. Le locataire qui sous-loue un local meublé destiné à l'habitation en méconnaissance des dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation est passible d'une condamnation au paiement de l'amende civile prévue à l'article L. 651-2 du même code (3e Civ., 15 février 2023, pourvoi n° 22-10.187, publié).
5. La cour d'appel a, d'abord, constaté que M. [L] était un professionnel de l'immobilier, gérant d'une société de réservation et de conciergerie dont l'activité est la location saisonnière.
6. Elle a, ensuite, retenu, par motifs propres et adoptés, qu'il ne pouvait ignorer la réglementation applicable, et qu'il aurait aisément pu obtenir des propriétaires l'information relative à l'usage du bien avant de procéder aux locations de tourisme.
7. Elle a, enfin, relevé qu'il n'avait pas cessé les locations de courte durée, alors même qu'il avait eu connaissance de la procédure engagée par la Ville de [Localité 4].
8. La cour d'appel a pu déduire de ces constatations et appréciations, écartant en conséquence la bonne foi dont il se prévalait, que M. [L], gestionnaire des locations de courte durée, avait enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation et le condamner au paiement d'une amende civile dont elle a souverainement apprécié le montant.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen relevé d'office
10. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les principes de personnalité et d'individualisation de la peine qui en découlent et les articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation :
11. Selon l'avant-dernier de ces textes, dans certaines communes, le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation est soumis à autorisation préalable.
12. Selon le dernier, toute personne qui enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application de cet article est condamnée à une amende civile.
13. Celle-ci constituant une sanction ayant le caractère d'une punition (3e Civ., 5 juillet 2018, QPC n° 18-40.014 ; 3e Civ., 9 novembre 2022, pourvois n° 21-20.464, 21-20.814, publié), son prononcé est soumis aux principes de personnalité et d'individualisation de la peine, qui font obstacle, en la matière, à toute condamnation in solidum.
14. Pour condamner in solidum les bailleurs, propriétaires indivis du local loué, à payer une amende civile à la Ville de [Localité 4], l'arrêt retient que M. et Mme [O] ont consenti à M. [L] un bail permettant les locations de courte durée, enfreignant ce faisant les dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi provoqué, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum Mme [E] [O] et M. [Z] [O] à payer une amende civile de quinze mille euros, dont le produit sera versé à la Ville de [Localité 4], l'arrêt rendu le 15 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient
avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. [L] et par M. et Mme [O] et condamne M. [L] à payer à la Ville de [Localité 4] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.