LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er mars 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 206 F-D
Pourvoi n° E 21-15.452
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER MARS 2023
M. [V] [X], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-15.452 contre l'arrêt rendu le 13 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Mission interim publicité, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Véolia environnement services tertiaires à l'industrie et l'automobile (Vestalia), dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de Me Isabelle Galy, avocat de M. [X], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Véolia environnement services tertiaires à l'industrie et l'automobile (Vestalia), de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Mission interim publicité, après débats en l'audience publique du 11 janvier 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 janvier 2021), suivant deux contrats de mission conclus du 4 septembre 2013 au 20 décembre 2013 et du 2 janvier 2014 au 1er août 2014, la société Mission interim (l'entreprise de travail temporaire) a mis M. [X] à la disposition de la société Vestalia (l'entreprise utilisatrice), respectivement en qualité de chargé de mission pour une durée hebdomadaire de travail de 35 h, puis en qualité de responsable méthode pour une durée hebdomadaire de travail de 37 heures.
2. Revendiquant l'accomplissement des heures supplémentaires au sein de l'entreprise utilisatrice, le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 8 janvier 2016 de demandes dirigées contre l'entreprise de travail temporaire en paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et de diverses indemnités.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à la condamnation de l'entreprise de travail temporaire à lui payer une certaine somme à titre d'heures supplémentaires, outre les congés payés afférents, et de ses demandes de dommages-intérêts pour dépassement de la durée hebdomadaire de travail et du non-respect du temps de repos quotidien et pour travail dissimulé, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que pour débouter M. [X] de sa demande au titre des heures supplémentaires, la cour d'appel a relevé qu'il produisait le relevé d'heures de son dernier jour de mission cosigné par lui-même et le représentant de Vestalia, M. [W], portant la mention manuscrite de 450 heures supplémentaires cumulées durant la mission, mais que M. [W] avait remis une attestation selon laquelle cette mention n'y figurait pas lorsqu'il a signé le document ; que la cour d'appel a considéré que ce relevé devait être écarté, de même que le tableau des heures supplémentaires produit par M. [X], trop imprécis et affaibli par des anomalies, ainsi que les deux attestations produites, trop vagues ou non pertinentes ; qu'en statuant ainsi la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
4. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
5. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
6. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
7. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt retient, d'abord, que
le relevé d'heures établi au dernier jour de mission produit par celui-ci et co-signé par le représentant de l'entreprise utilisatrice comporte des mentions relatives au nombre d'heures qui auraient été effectuées sur l'ensemble de la mission mais qu'une attestation de ce même représentant indique que les heures supplémentaires auraient eu vocation à être reportées sur chaque relevé d'heures hebdomadaires et non sur un relevé correspondant à la seule dernière semaine, alors même que des bulletins de paie portent mention d'heures supplémentaires.
8. Il relève encore que si le salarié produit, à l'appui de sa demande, un tableau des heures effectuées semaine après semaine avec le calcul de la rémunération correspondante due, ce tableau est imprécis et ne donne pas l'horaire par jour, contenant en outre, aux dires des deux sociétés, des anomalies. Enfin, il observe que les deux attestations versées par le salarié contiennent des témoignages trop vagues ou non pertinents pour démontrer un surcroît d'heures supplémentaires de l'ordre de celui revendiqué par le salarié.
9. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [X] de ses demandes en paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre les congés payés afférents, de dommages-intérêts pour non-respect de la durée hebdomadaire de travail maximale et du temps de repos quotidien, d'une indemnité pour travail dissimulé, le condamne aux dépens et au versement de sommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 13 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Mission interim publicité aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Mission interim publicité et Vestalia et condamne la société Mission interim publicité à payer à M. [X] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Isabelle Galy, avocat aux Conseils, pour M. [X]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [X] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande tendant à voir condamner la société Mission interim à lui payer la somme de 14 102,55 euros à titre d'heures supplémentaires outre les congés payés afférents, et de l'AVOIR débouté de ses demandes de dommages-intérêts pour dépassement de la durée hebdomadaire de travail et du non-respect du temps de repos quotidien, et pour travail dissimulé,
1°) ALORS QU'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que pour débouter M. [X] de sa demande au titre des heures supplémentaires, la cour d'appel a relevé qu'il produisait le relevé d'heures de son dernier jour de mission cosigné par lui-même et le représentant de Vestalia, M. [W], portant la mention manuscrite de 450 heures supplémentaires cumulées durant la mission, mais que M. [W] avait remis une attestation selon laquelle cette mention n'y figurait pas lorsqu'il a signé le document ; que la cour d'appel a considéré que ce relevé devait être écarté, de même que le tableau des heures supplémentaires produit par M. [X], trop imprécis et affaibli par des anomalies, ainsi que les deux attestations produites, trop vagues ou non pertinentes ; qu'en statuant ainsi la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;
2°) ALORS QU'en écartant le relevé d'heures de la dernière semaine de mission de M. [X] portant la mention manuscrite : « 450 h : cumul d'heures supp couvrant la mission » signé par son responsable M. [W], au motif que ce dernier contestait dans une attestation avoir signé le relevé comportant cette mention, sans répondre aux conclusions d'appel de M. [X] faisant valoir que le relevé d'heures produit par la société Vestalia portait la même mention manuscrite des heures supplémentaires, que cette société ne versait pas aux débats le relevé d'heures de cette période sans cette mention manuscrite, et qu'elle n'avait pas porté plainte pour faux, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et violé l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
M. [X] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande tendant à voir condamner la société Mission Interim à lui payer des dommage-sintérêts pour non-respect de la durée hebdomadaire maximale et le temps de repos quotidien, ALORS QUE la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur ; qu'en retenant que les décomptes d'heures fournis par M. [X] ne permettaient pas à l'intéressé de calculer précisément le dépassement de la durée du temps de travail et du non-respect du temps de repos quotidien, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil, en sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 en sa rédaction applicable en l'espèce.