LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 1147 et 1382 du code civil ;
Attendu que le notaire, tenu de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la validité et l'efficacité des actes auxquels il prête son concours ou qu'il a reçu mandat d'accomplir, doit, sauf s'il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution, dont, quelles que soient ses compétences personnelles, le client concerné se trouve alors déchargé ;
Attendu que quatre sociétés civiles immobilières, constituées par les consorts X..., la SCI du 57 rue de l'architecte Cordonnier, la SCI Vanhoenacker, la SCI du 25 rue Saint-Jacques et la SCI du 8 place Jacques Febvrier, ayant sollicité auprès de la CBC Banque le refinancement des prêts immobiliers qui leur avaient été antérieurement consentis, ont chargé Mme Y..., notaire, de la réitération en la forme authentique des offres de prêt de la banque qui prévoyaient, chacune, outre le cautionnement solidaire des associés, l'inscription d'hypothèques sur chacun des immeubles correspondants ; que les échéances étant restées impayées, les procédures de saisies immobilières ont révélé l'existence d'inscriptions hypothécaires de rang préférable à celles de la CBC Banque, les fonds prêtés, remis directement aux SCI, n'ayant pas été utilisés pour désintéresser les créanciers hypothécaires antérieurement inscrits ; que, dans ces conditions, la CBC Banque a fait assigner Mme Y... en réparation de ses préjudices, laquelle a appelé en garantie les consorts X... ;
Attendu que pour débouter la CBC Banque de ses prétentions, l'arrêt retient qu'il n'avait pas été précisé que les fonds avaient été remis au notaire à charge pour lui de désintéresser les créanciers déjà inscrits, que, outre qu'il était juridiquement impossible de prendre les inscriptions tant que les précédents créanciers n'avaient pas été désintéressés, ce qui supposait une mise à disposition préalable des fonds, les offres ne précisaient pas que le notaire devrait remettre les fonds à ces autres créanciers plutôt qu'aux sociétés débitrices, et que la CBC Banque ne pouvait ignorer, en tant que professionnelle du crédit, le risque qu'elle prenait en signant les actes de prêt sans mandater le notaire pour désintéresser les autres créanciers avec les fonds prêtés, aux lieu et place des SCI ;
Qu'en se déterminant ainsi, après avoir relevé que les actes versés aux débats ne laissaient aucun doute sur l'intention de la CBC Banque de voir ses créances garanties par une hypothèque de premier rang pour trois des quatre prêts consentis et qu'il n'était pas douteux, à la lecture des bons pour grosse, que la CBC Banque entendait confier au notaire le soin de procéder aux formalités de radiation des hypothèques, comme en témoignait le versement de provisions à cet effet, ce dont il résultait l'obligation pour le notaire d'effectuer toutes les diligences nécessaires, y compris l'affectation des fonds qu'il avait reçus pour un montant suffisant à l'apurement des créances antérieures garanties, à l'inscription des hypothèques dont il avait été chargé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
Dit n'y avoir lieu à mettre hors de cause les consorts X... ;
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 avril 2009, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile. rejette les demandes des consorts X... et de Mme Y...; condamne Mme Y... à payer à la société CBC Banque la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois mars deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils pour la société CBC Banque.
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté la Société CBC BANQUE de l'intégralité de ses prétentions ;
AUX MOTIFS QUE si les actes versés aux débats ne laissent aucun doute sur l'intention de la CBC BANQUE de voir ses créances garanties par une hypothèque de premier rang pour trois des quatre prêts consentis, il convient cependant de rappeler que l'inscription d'une hypothèque de premier rang suppose la radiation de toutes inscriptions antérieures qui la primeraient et qu'une telle radiation implique elle-même de payer préalablement les créanciers déjà inscrits ; que dans cette perspective, le rôle de chacune des parties doit être précisément défini ; qu'or les attestations intitulées « bon pour grosse » signées par Maître Corinne Y... le 27 mai 1999 pour être remises « aux Services Crédits après la signature de l'acte », ainsi qu'il y est précisé, ne définissent qu'en termes très généraux les obligations du notaire, invité à attester « qu'il a vérifié les titres antérieurs, la situation hypothécaire et fiscale, et qu'il a constaté qu'ils ne contiennent aucune disposition pouvant nuire à CBC BANQUE SA, qu'il prendra avec diligence toutes dispositions pour que l'inscription soit prise au bureau des hypothèques le plus rapidement possible et, en tout cas, dans la quinzaine de l'acte sur les biens repris dans l'acte (et) pour fournir à CBC BANQUE SA, dans les trois mois, la grosse de l'acte avec les bordereaux, les certificats hypothécaires et les extraits cadastraux, qu'il a été provisionné pour tous les frais de cet acte et pour les formalités hypothécaires et qu'en conséquence il décharge CBC BANQUE de toute obligation à ce sujet » ; que s'il n'est pas douteux, à la lecture de ces bons pour grosse, que la CBC BANQUE entendait confier au notaire le soin de procéder aux formalités de radiation des hypothèques, comme en témoigne le versement de provisions à cet effet, il n'y est cependant nulle part précisé que les fonds ont été remis au notaire à charge pour lui de désintéresser les créanciers déjà inscrits ; que les offres de prêts établies par CBC BANQUE ne le prévoient pas davantage, même à l'article « Dates et conditions de la mise à disposition des fonds » ; que certes, il y est stipulé que la mise à disposition des fonds est subordonnée à la constitution des garanties prévues dans l'offre, dont une inscription hypothécaire de premier rang ou de troisième rang, selon la SCI ; mais qu'outre qu'il était juridiquement impossible de prendre lesdites inscriptions tant que les précédents créanciers n'étaient pas désintéressés, ce qui supposait une mise à disposition préalable des fonds, les offres ne précisent pas que le notaire devait remettre les fonds à ces autres créanciers plutôt qu'aux sociétés débitrices ; que de plus, les actes rédigés par le notaire, et qui ne sont pas en eux-mêmes critiqués : - rappellent exactement la situation hypothécaire de chacun des immeubles ; - énoncent que « les crédités (…) garantissent que dans les quinze jours de la signature des présentes, l'hypothèque au profit de la banque sera inscrite en premier rang », laissant entendre qu'il appartenait a minima aux sociétés emprunteuses de faire le nécessaire pour désintéresser les créanciers précédemment inscrits ; - ont pour objet « une ouverture de crédit qui sera, pendant toute sa durée, maintenue à la disposition des crédités », impliquant, ici encore, que le notaire n'avait pas à disposer des fonds en lieu et place des SCI contractantes ; qu'aussi la CBC BANQUE, même si elle n'est pas, à la différence du notaire, une professionnelle du droit, ne pouvait-elle ignorer, en tant que professionnelle du crédit, le risque qu'elle prenait en signant ces actes sans mandater le notaire pour désintéresser les autres créanciers avec les fonds prêtés, en lieu et place des SCI ; qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement querellé et de débouter la banque de l'intégralité de ses prétentions ;
1°/ ALORS QUE le notaire est tenu de s'assurer de l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours et doit, sauf dispense expresse des parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution ; que la Cour d'appel, qui ne constate pas l'existence d'une telle dispense et relève, d'une part, que la banque avait l'intention non équivoque « de voir ses créances garanties par une hypothèque de premier rang pour trois des quatre prêts consentis », et d'autre part, qu'il n'était pas douteux qu'elle avait entendu « confier au notaire le soin de procéder aux formalités de radiation des hypothèques », ne pouvait exonérer le notaire de toute responsabilité bien que les fonds aient été remis aux emprunteurs et que les hypothèques existantes n'aient pas été radiées, sans violer l'article 1147 Code civil ;
2°/ ALORS QUE le notaire devait à tout le moins alerter la banque des risques existants quant à l'impossibilité de prendre les inscriptions hypothécaires litigieuses en l'absence de mise à disposition préalable des fonds en vue de désintéresser les créanciers précédemment inscrits ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a méconnu le manquement commis par le notaire à son obligation d'information et de conseil et violé l'article 1147 du Code civil ;
3°/ ALORS QUE le notaire voit peser sur lui une obligation d'assurer l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours, quelles que soient les conséquences personnelles du client ; qu'en affirmant, pour la débouter de l'intégralité de ses demandes, que la banque « ne pouvait ignorer, en tant que professionnelle du crédit, le risque qu'elle prenait en signant ces actes sans mandater le notaire pour désintéresser les autres créanciers avec les fonds prêtés, en lieu et place des SCI », la Cour d'appel a violé derechef l'article 1147 Code civil.