LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Mme Chafia X...
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 5-12, en date du 18 mai 2011, qui, pour escroqueries, escroqueries aggravées en récidive, tentative d'escroquerie et émission de chèques malgré interdiction, l'a condamnée à seize mois d'emprisonnement dont huit mois avec sursis et mise à l'épreuve, à cinq ans d'interdiction de l'activité de voyante et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires en demande et en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 132-10, 313-1, 313-2 du code pénal, 384 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, excès de pouvoirs ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné Mme X... du chef d'escroquerie aggravée, en état de récidive légale, à une peine de seize mois d'emprisonnement dont huit mois avec sursis assortis d'une mise à l'épreuve d'une durée de trois ans, a prononcé à son encontre une interdiction d'exercer l'activité de voyante pendant cinq ans et l'a condamnée à verser à Mmes Y... et Z..., partie civiles, des dommages-intérêts en réparation des préjudices matériels et moraux prétendument subis par ces dernières ;
" aux motifs que Mme A... avait été en relation avec Mme X... de septembre 2007 au 4 juillet 2008 ; que née le 12 juillet 1921, veuve, retraitée, elle avait appelé une voyante par téléphone, par hasard, et était ainsi entrée en contact avec Mme X..., qui selon ses dires n'avait pas fait de « travaux » de voyance pour elle mais avait créé une complicité se concrétisant par de nombreux appels téléphoniques ; que l'étude de la téléphonie montrait ainsi que c'était Mme X... qui appelait systématiquement Mme A... ; qu'elle s'était également rendue à Cannes sur le lieu de résidence de Mme A... et l'avait rencontrée en bas de sa résidence ; que mMme A... déclarait qu'elle lui avait prêté de l'argent car Mme X... l'avait émue en lui parlant de ses problèmes familiaux et de ses enfants en souffrance ; n'en n'ayant pas, vivant seule, elle en avait été particulièrement émue, avait eu pitié et expliquait aussi qu'elle était fragile à cette époque, venant notamment d'avoir un infarctus ; qu'elle lui avait fait cinq chèques pour lui prêter de l'argent ; que les recherches montraient aussi que Mme X... avait également bénéficié de la carte bancaire de Mme A... à hauteur de 23 545 euros, et que cette dernière ignorait et ne comprenait pas car elle ne se souvenait pas d'avoir donné sa carte pour des achats ou des versements ; que, cependant tel que précisait l'encart publicitaire, une première somme de 65 euros était demandée aux clients pour débuter la consultation ; que les coordonnées utiles de la carte de Mme A... avaient donc nécessairement été communiquées à cette occasion ; que sur les cinq chèques, quatre étaient débités pour un montant de 15 950 euros, et la carte bancaire utilisée à dix-huit reprises pour un montant de 23 545 euros ;
" aux motifs que Mme B..., née le 31 mai 1927, veuve, vivant seule, contactait « D... » au téléphone après avoir vu un encart publicitaire dans le journal « Nous deux » ; qu'elle avait été en contact avec elle du 29 avril 2008 au 28 juillet 2008 ; que le relevé des communications téléphoniques montrait des échanges soutenus entre les deux femmes ; que Mme B... déclarait avoir été, à cette période, dans un état de particulière vulnérabilité, qu'elle décrivait comme un état de détresse affective et morale ; qu'elle précisait ne jamais avoir rencontré sa voyante, et n'avoir eu que des contacts téléphoniques avec elle ; que « D... » lui avait certifié avec assurance que l'homme sur lequel elle avait jeté son dévolu allait venir avec elle, et qu'ils pourraient vivre une histoire ensemble ; qu'elle lui avait notamment expliqué que pour ses travaux intensifs réalisés parallèlement au temps passé au téléphone, elle se livrait à des rituels occultes et qu'à cette fin elle faisait venir des produits spécifiques des Etats-Unis ; que Mme B... admettait qu'elle avait commencé au fil du temps à avoir des doutes mais « pour tout dire » elle avait « un peu honte » ; que pendant cette période, Mme B... adressait 7 195 euros à madame X... et ce que cette dernière ne contestait pas ; que madame B... percevait une pension mensuelle de 1 552 euros ;
" aux motifs que Mme Y..., née le 16 décembre 1948, célibataire, sans enfant, sur le point de prendre sa retraite, indiquait que désemparée par la rupture de son ami, elle avait consulté par téléphone une voyante nommée « D... » après avoir vu une publicité dans le magazine « Maxi » de juin 2008 ; qu'elle avait été en relation avec la prévenue du 19 au 22 juin 2008 ; qu'après lui avoir exposé son désarroi et son souhait de voir revenir son ami, « D... » l'avait rassurée et convaincue que « moyennant finances » elle était capable de faire revenir son compagnon vers elle, mais que la somme nécessaire était de 25 000 euros ; que Mme Y... avait cru que les pouvoirs de sa voyante étaient accrus par la magie et le mysticisme allégués puis, réalisait avoir été abusée, son ami ne revenant pas, et sa dépression ayant été prise en charge entre-temps par son médecin ; qu'au total elle avait versé à Mme X... 10 065 euros ;
" aux motifs que Mme Z..., née le 10 décembre 1937, faisait appel à « D... » après avoir lu une publicité dans un magazine ; qu'elle avait été en contact avec elle du 10 juillet 2008 au 18 août 2008 ; qu'elle lui avait téléphoné car, victime d'un vol, elle voulait voir ses soupçons contre ses proches confirmés ; que Mme Z... précisait que lorsqu'elle avait fait cette demande elle était dans un état de stress très avancé et ajoutait qu'au début elle y avait cru mais qu'elle s'était rendu compte que c'était du « baratin » ; qu'elle avait ensuite eu un traitement médical en raison de son état et avait pu reprendre ses esprits ; qu'elle remettait cependant à Mme X... deux chèques de 2 500 euros, un de 1 400 euros et un de 2 000 euros, par carte bancaire 65 euros, en espèces 650 euros, soit un total de 9 115 euros ;
" aux motifs que Mme C..., née le 12 août 1935, divorcée, en retraite, vivant seule, déclarait qu'elle avait relevé le numéro de téléphone d'une voyante dans une annonce, l'avait appelée car elle croyait qu'elle lui apporterait des « tas de choses », lui raconterait des choses agréables sur sa vie future ; qu'elle était en relation avec Mme X... courant juin et juillet 2008 ; que Mme C... confondait les euros et les francs, et n'avait pas conscience de l'importance des sommes en cause, comme le constataient les enquêteurs ; qu'elle avait fait au total neuf chèques à madame X..., qui en a déposé six sur son compte en banque ; que, toutefois, les banques soit rejetaient ces chèques, soit recréditaient le compte de Mme C..., celle-ci ne subissait pas de préjudice du fait de l'émission de ces neuf chèques, dont le montant total atteignait la somme exorbitante de 300 000 euros ; qu'elle versait aussi par carte bancaire la somme de 7 010 euros ;
" et aux motifs qu'il est reproché à Mme X... d'avoir dans le cadre de séances de voyance par téléphone, à l'aide de photos ou de cartes, pratiqué des actes présentés comme permettant d'enlever les mauvaises énergies et réalisé des séances de divination, et ainsi trompé Mmes A..., B..., Z..., Y... et C... pour les déterminer à lui remettre des fonds, avec cette circonstance qu'elles étaient particulièrement vulnérables en raison de leur âge, d'une maladie, d'une infirmité, une déficience physique ou psychique apparente et ce, en état de récidive légale, pour avoir été condamnée le 22 octobre 2006 par le tribunal correctionnel d'Orléans pour des faits identiques ou assimilés ; que les victimes précitées qui entraient en contact téléphoniquement avec la prévenue par le biais d'une publicité parue dans la presse féminine pour un acte de voyance « illimité » au prix de 65 euros, se sont vu ainsi soutirer des sommes d'argent substantielles, la prévenue leur ayant laissé croire, de manière récurrente, que possédant des pouvoirs imaginaires, et grâce à des « travaux » qu'elle réaliserait pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et par le biais de rituels de magie pratiqués à distance, souvent à partir d'une photo communiquée à cette fin, elle pouvait retrouver notamment l'affection d'un être cher, identifier un voleur, bâtir une relation sentimentale ainsi qu'il a été développé ci-dessus ; qu'en effet, au terme de plusieurs communications téléphoniques avec les victimes lui ayant permis d'obtenir des informations personnelles, la prévenue avait à l'évidence décelé, outre les « espérances » des victimes, leur état de détresse sentimentale et psychologique, associé dans certains cas à un grand âge, les ayant amenées à recourir à ses services, et à lui remettre des fonds dont les montants dépassaient leurs capacités financières, pour la plupart ; qu'il est incontestable que ces agissements constituent des manoeuvres frauduleuses au sens de l'article 313-1 du code pénal, aggravées par la circonstance que les victimes étaient en état de faiblesse, certaines d'entre elles étant en outre âgées de plus de 80 ans ;
" 1°) alors que les manoeuvres frauduleuses supposent un mensonge corroboré par un élément extérieur destiné à lui donner force et crédit ; qu'en constatant que la prévenue avait laissé croire à ses clientes qu'elle possédait des pouvoirs imaginaires et qu'elle pouvait, grâce à des rituels de magie pratiqués à distance, souvent à partir d'une photo communiquée à cette fin, retrouver l'affection d'un être cher, identifier un voleur ou bâtir une relation sentimentale sans caractériser le moindre élément extérieur au mensonge ainsi proféré sur l'existence de pouvoirs surnaturels, la cour d'appel a violé l'article 313-1 du code pénal ;
" 2°) alors que le fait pour l'auteur du mensonge de déceler et d'exploiter chez ses interlocuteurs une prédisposition à croire en ce mensonge ne constitue pas un élément extérieur de nature à caractériser une manoeuvre frauduleuse ; qu'en entendant caractériser les manoeuvres frauduleuses par la circonstance que la prévenue aurait, en plus d'avoir menti sur l'existence de pouvoirs imaginaires, décelé et exploité un état de détresse sentimentale et psychologique associé dans certains cas à un grand âge, la cour d'appel a violé l'article 313-1 du code pénal ;
" 3°) alors que la particulière vulnérabilité de la victime doit trouver sa cause dans l'âge, une maladie, une infirmité, une déficience physique ou psychique ou un état de grossesse ; qu'un état de détresse sentimentale ou psychologique ne constitue pas, en lui-même, une déficience physique ou psychique et ne peut caractériser un état de vulnérabilité que s'il trouve lui-même sa cause dans une déficience de cette nature ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que Mmes B..., Y... et Z... ont prétendu se trouver dans une situation de « détresse affective et morale » pour la première, « désemparée par la rupture de son ami » pour la seconde et « en étant de stress très avancé » pour la troisième ; qu'en déduisant l'état de vulnérabilité de ces seules situations de détresse sentimentale et psychologique sans rapport avec une déficience physique ou psychique, ni avec toute autre cause visée par la loi, la cour d'appel a violé l'article 313-2 du code pénal ;
" 4°) alors qu'en se bornant à relever que pour certaines interlocutrices de Mme X... leur grand âge était associé à l'état de détresse sentimentale et psychologique, sans constater que cet âge ait placé, à lui seul, les intéressées dans une particulière vulnérabilité, la cour d'appel a violé l'article 313-2 du code pénal ;
" 5°) alors qu'en tenant pour acquise la situation de détresse prétendue dont Mmes B..., Y... et Z... se sont contentées de faire état devant les enquêteurs afin de justifier de leur crédulité sans se prononcer sur la réalité de ces dires ni apprécier, elle-même, la situation concrète dans laquelle ces personnes se trouvaient, la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision ;
" 6°) alors que, s'agissant des faits prétendument commis à l'égard de madame C..., l'état de vulnérabilité doit exister à la date des faits ; qu'il résulte des motifs de l'arrêt que les enquêteurs ont constaté, par eux-mêmes, que Mme C... confondait les euros et les francs et n'avait pas conscience de l'importance des sommes versées à Mme X... ; qu'en se déterminant ainsi sur un état de vulnérabilité existant à une date postérieure à celle des faits visés par la prévention, sans constater le moindre élément permettant de retenir que cette vulnérabilité existait à la date desdits faits, la cour d'appel a violé l'article 313-2 du code pénal ;
" 7°) alors que la particulière vulnérabilité de la victime doit avoir été apparente ou connue de la personne poursuivie ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que, selon les enquêteurs, Mme C... confondait les euros et les francs et n'avait pas conscience de l'importance des sommes en cause ; qu'en se bornant à constater que la prévenue avait décelé un état de détresse chez ses clientes, faits étrangers la situation de Mme C..., la cour d'appel, qui a ainsi omis de constater que les difficultés que rencontrait Mme C... pour décerner l'importance des sommes qu'elle versait à la prévenue était apparente ou connue de cette dernière, a violé l'article 313-2 du code pénal ;
" 8°) alors que, s'agissant des faits prétendument commis à l'égard de Mme A..., la prévention vise le fait pour la prévenue d'avoir employé des manoeuvres frauduleuse en recourant à des séances de voyance par téléphone, en réalisant des actes permettant d'enlever les mauvaises énergies et des séances de « divination » ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que c'est par hasard que Mme A... est entrée en contact avec la prévenue, que cette dernière n'avait réalisé aucune prestation de voyance et que c'est en raison de la pitié ressentie par Mme A... face aux difficultés personnelles et familiales de Mme X..., et non en rémunération des services occultes, que l'intéressée lui avait remis des fonds ; qu'en condamnant la prévenue pour un mensonge portant, non pas sur l'existence de pouvoirs imaginaires visés par la prévention, mais sur des difficultés personnelles et familiales étrangères aux termes de sa saisine, la cour d'appel a violé l'article 384 du code de procédure pénale et a excédé ses pouvoirs ;
" 9°) alors qu'à supposer que relève de la prévention le fait pour Mme X... de s'être fait remettre par Mme A..., lors de la première conversation qu'elle a eue avec l'intéressée, un numéro de carte bancaire au moyen duquel elle aurait, par la suite, prélevé la somme de 65 euros ainsi que des fonds sans autorisation, la cour d'appel, en omettant de constater le moindre élément extérieur de nature à conférer force et crédit au mensonge sur l'existence de pouvoirs de divination ni un état de vulnérabilité qui aurait été apparent ou connu de la prévenue lors de cette première conversation, a violé les articles 313-1 et 313-2 du code pénal ;
" 10°) alors qu'à supposer que les faits constatés puissent recevoir la qualification d'abus d'un état d'ignorance et de faiblesse, la cour d'appel, en retenant un état de récidive légale du fait d'une condamnation antérieure du chef d'escroquerie, délit distinct et non assimilé au délit précité, a violé l'article 132-10 du code pénal " ; Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit d'escroquerie sur personne particulièrement vulnérable, dont elle a déclaré la prévenue coupable ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme que la demanderesse devra payer à chacune des parties civiles, au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Ract-Madoux conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.