LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 juillet 2009), que la société Renault a confié à la société Compagnie d'Affrètement et de Transport (la société CAT), commissionnaire, l'organisation du transport, depuis ses sites de Douai et Maubeuge, de véhicules destinés à être commercialisés ; que la société CAT a confié l'organisation de ces transports à la société de Transport de Véhicules Automobiles (la société STVA), commissionnaire intermédiaire, qui a signé divers contrats de transport avec la SNCF pour effectuer le transfert des véhicules depuis Douai et Maubeuge jusqu'à Le Boulou ; que les wagons chargés des véhicules pris en charge entre les 21 et 30 juillet 2004 sont restés stationnés en gare de triage de Nîmes, où des véhicules ont été endommagés par leur exposition à un orage de grêle le 3 août 2004 ; que la société Renault, la société Axa Corporate Solutions Assurances et la société Tokio Marine Europe Insurance Ltd (les assureurs) ont assigné les société CAT, STVA et la SNCF aux fins de les voir condamner à payer à la société Renault la somme de 23 000 euros en indemnisation de la franchise restée à sa charge, et aux assureurs la somme de 350 987 euros sur le fondement d'une quittance subrogative ; que la société CAT a appelé la société STVA et la SNCF en garantie, la société STVA appelant la SNCF aux mêmes fins ;
Attendu que la SNCF fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée in solidum avec les sociétés CAT et STVA à payer une certaine somme aux assureurs et à la société Renault, de l'avoir condamnée in solidum avec la société CAT à garantir la société STVA et de l'avoir condamnée à garantir la société CAT, alors, selon le moyen :
1°/ qu'en matière de transport ferroviaire, le tarif a pour objet de déterminer d'avance et forfaitairement les conséquences de la faute,même lourde, du chemin de fer ; qu'en appliquant la notion de faute lourde pour exclure la mise en oeuvre de l'accord limitant la responsabilité de la SNCF à l'égard des sociétés STVA et CAT, la cour d'appel a violé les articles 1134 du code civil et L. 133-1 du code de commerce ;
2°/ que la faute lourde du transporteur suppose son incapacité à assurer sa mission ; qu'il résulte des propres constatations de la cour d'appel qu'il n'existait aucun moyen de protéger les trains contre la violence de l'orage ; qu'en retenant une faute lourde du fait de la survenance de l'avarie pendant le transport, peu important que celui-ci ait été retardé par la prise en charge de trop nombreux wagons, la cour d'appel a violé l'article L. 133-1 du code de commerce ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté que les sociétés CAT et STVA et la SNCF avaient conclu un accord après-vente européen avec stipulation de ce que le chemin de fer participait à raison de cinquante pour cent du coût des dommages, la cour d'appel a exactement retenu que la SNCF ne pouvait se prévaloir des clauses contractuelles de limitation de responsabilité qu'en l'absence d'une faute lourde dans l'exécution de sa mission ;
Attendu, d'autre part, que l'arrêt relève d'abord qu'il ressort du rapport d'expertise que le trafic de fret quotidien entre Nîmes et Le Boulou se limite à un train d'une longueur maximum de 750 mètres motrice comprise, soit de 26 et 28 wagons, et a été au cours du mois de juillet 2004 insuffisant pour assurer jour par jour l'acheminement, dans le délai requis, des 69 wagons affrétés spécialement par la société STVA et, que la SNCF a maintenu ceux-ci immobilisés, sans protection particulière, en gare de triage de Nîmes, où ils se trouvaient depuis plusieurs jours quand ils ont subi l'orage de grêle du 3 août vers 18 heures 30 ; que l'arrêt relève encore que certains bulletins météorologiques émis sur Nîmes plusieurs fois par jour entre le lundi 2 et le mercredi 4 août 2004 font état d'averses orageuses sur les Cévennes avec débordement en plaine et d'une possible violence de ces orages, le bulletin du mardi à 12 heures annonçant spécialement des orages parfois accompagnés de chutes de grêles ; que l'arrêt constate enfin que la SNCF n'allègue pas avoir pris la moindre initiative entre 12 heures et 18 heures 30 pour éviter la survenance du dommage ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que la SNCF avait commis une faute lourde ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel formé par les sociétés Renault, Axa Corporate Solutions Assurances et Tokio Marine Europe Insurance limited :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la SNCF aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer la somme de 2 500 euros à la société STVA, la somme de 2 500 euros à la société CAT, et la somme globale de 2 500 euros aux sociétés Renault, Axa Corporate Solutions et Tokio Marine Europe Insurance ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Odent, avocat aux Conseils pour la SNCF.
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné in solidum la SNCF et les sociétés CAT et STVA à payer une certaine somme aux sociétés AXA, Tokio Marine Europe Insurance et RENAULT, d'AVOIR condamné in solidum la SNCF et la société CAT à garantir la société STVA et d'AVOIR condamné la SNCF à garantir la société CAT ;
AUX MOTIFS QU'il est constant entre les parties que l'orage du 3 août 2004 a présenté une intensité particulière, les grêlons ayant causé les dommages étant décrits comme ayant la taille de balles de tennis ; aucun bâchage n'était susceptible de permettre d'éviter voire simplement de limiter sensiblement l'impact de telles masses et la SNCF ne disposant pas de la possibilité matérielle de mettre 5 trains complets de marchandise à l'abri, aucune mesure habituelle pour prévenir les dommages matériels ou en éviter la survenance n'a pu être prise au moment de la survenance de cet événement climatique (…) ; que la SNCF a accepté de prendre en charge à destination du Boulou le 23 juillet un train de 22 wagons, le 27 juillet un total de 40 wagons et le 30 juillet un ensemble de 7 wagons, alors même que le train quotidien entre Nîmes et Le Boulou ne permettait pas l'évacuation au jour le jour de ces wagons pour assurer la livraison dans le délai requis, sans pour autant organiser en temps utile de convoi supplémentaire pour permettre l'acheminement en continuité des trains de véhicules vers leur destination finale, et a maintenu ceux-ci immobilisés, sans protection particulière, en gare de triage de Nîmes, où ils se trouvaient depuis plusieurs jours lorsqu'ils ont subi l'orage (…) ; que la CAT, la STVA et la SNCF ont conclu un accord après vente européen applicable aux envois remis par la CAT de tous véhicules transportés sur wagons STVA ; cet accord, qui couvre notamment toutes avaries extérieures aux véhicules, prévoit les modalités de calcul et de remboursement des dommages, avec stipulation de ce que le chemin de fer participe à raison de 50 % du coût des dommages ; que la SNCF ne peut se prévaloir de la limitation de garantie ainsi prévue, en raison de sa faute dénotant son inaptitude à accomplir la mission telle qu'elle l'avait acceptée (…) ; qu'en effet l'indemnisation sollicitée à son encontre n'est pas celle des conséquences d'un retard de livraison, mais d'avaries subies lors d'un transport dont elle avait la charge, pour lequel elle ne peut prétendre au bénéfice d'une limitation de son obligation à garantie des dommages en raison d'une faute lourde qui n'est pas caractérisée par un simple retard de livraison ; qu'elle doit en conséquence être tenue à garantie pour la totalité de la charge des dommages réparables ;
ALORS D'UNE PART QU'en matière de transport ferroviaire, le tarif a pour objet de déterminer d'avance et forfaitairement les conséquences de la faute, même lourde, du chemin de fer ; qu'en appliquant la notion de faute lourde pour exclure la mise en oeuvre de l'accord limitant la responsabilité de la SNCF à l'égard des sociétés STVA et CAT, la cour d'appel a violé les articles 1134 du code civil et L 133-1 du code de commerce ;
ALORS D'AUTRE PART, SUBSIDIAIREMENT, QUE la faute lourde du transporteur suppose son incapacité à assurer sa mission ; qu'il résulte des propres constatations de la cour d'appel qu'il n'existait aucun moyen de protéger les trains contre la violence de l'orage ; qu'en retenant une faute lourde du fait de la survenance de l'avarie pendant le transport, peu important que celui-ci ait été retardé par la prise en charge de trop nombreux wagons, la cour d'appel a violé l'article L 133-1 du code de commerce.