COUR DE CASSATION 14 CRD 066 Audience publique du 19 mai 2015 Prononcé au 16 juin 2015
La commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Straehli, président, Mme Vérité et M. Béghin, conseillers référendaires, en présence de Mme Le Dimna, avocat général et avec l'assistance de Mme Boudalia, greffier, a rendu la décision suivante :
ACCUEIL du recours formé par l'Agent judiciaire de l'Etat, contre la décision du premier président de la cour d'appel de Paris en date du 2 juin 2014 qui a alloué à M. Mohamed X... une indemnité de 14 000 euros en réparation de son préjudice moral sur le fondement de l'article 149 du code précité ainsi que la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 19 mai 2015, l'avocat du demandeur ne s'y étant pas opposé ;
Vu les conclusions de Me Crépin avocat au barreau d'Amiens représentant M. X... ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'État ;
Vu les conclusions du procureur général près la Cour de cassation ;
Vu les conclusions en réponse de l'agent judiciaire de l'État ;
Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire de l'État et à son avocat, un mois avant l'audience ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Vérité, les observations de Me Crépin, avocat représentant M. X..., celles de Me Lécuyer, avocat représentant l'agent judiciaire de l'État, les conclusions de Mme l'avocat général Le Dimna, le demandeur ou son avocat ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,
Attendu que M. X... a été mis en examen et placé en détention le 2 novembre 2006, puis remis en liberté sous contrôle judiciaire le 13 juillet 2007 ;
Que par un arrêt de la chambre de l'instruction de Paris du 14 janvier 2008, devenu définitif, tous les actes de procédure, en ce compris l'enquête de flagrance initiale qui avait conduit à l'ouverture de l'information, ont été annulés ;
Que le reliquat du dossier, qui a été transmis au procureur de la République, a été classé sans suite le 11 avril 2008 ;
Que par requête du 13 mai 2013, M. X... a sollicité, sur le fondement des articles 149 et suivants du code de procédure pénale, la réparation du préjudice moral résultant de la détention provisoire qu'il a subie ;
Que par ordonnance du 2 juin 2014, le premier président de la cour d'appel de Paris a déclaré le recours recevable et a alloué à M. X... la somme de 14 000 euros ;
Que l'Agent judiciaire de l'Etat a formé un recours, et conclut à l'irrecevabilité de la requête en indemnisation ; Qu'il fait valoir que la créance indemnitaire de M. X... est prescrite en application des dispositions de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Que M. X... conclut au rejet du recours et demande de se voir allouer la somme de 25 100 euros en réparation de son préjudice, outre la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Que l'avocat général conclut à la recevabilité de la requête ; Qu'il relève que le préjudice a été surévalué, et observe que devant le premier président l'Agent judiciaire de l'Etat proposait, à titre subsidiaire, la somme de 10 000 euros ;
Que l'Agent judiciaire de l'État a déposé des conclusions en réplique ;
Vu les articles 149 à 150 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement lié à la privation de liberté ;
Sur la recevabilité du recours :
Attendu qu'il n'est pas discuté par l'Agent judiciaire de l'Etat et l'avocat général que la Commission reconnaît le droit à indemnisation du préjudice causé par la détention d'une personne privée de la possibilité d'obtenir une décision de non lieu, de relaxe ou d'acquittement à l'issue d'une procédure définitivement annulée lorsqu'il est établi que l'action publique ne sera pas reprise ;
Que l'ensemble des actes de procédure concernant M. X... ont été annulés par la chambre de l'instruction le 14 janvier 2008 et que le reliquat des pièces du dossier a été classé sans suite le 11 avril 2008 ;
Que M. X... n'ayant pas reçu notification du délai de l'article 149-2 du code de procédure pénale, le délai de six mois pour former recours n'a pas couru ;
Sur la prescription :
Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 que les créances sont prescrites au profit de l'Etat dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ;
Qu'il résulte de l'article 3 de cette loi que la prescription ne court pas contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ;
Que pour s'opposer au recours de l'Agent judiciaire de l'Etat M. X... fait valoir qu'il n'a pas été informé de son droit à demander réparation et qu'il ne lui appartenait pas de vérifier l'étendue du droit à réparation consacré par l'article 149 du code de procédure pénale ; Qu'il précise que ce n'est que le 4 janvier 2013 que le parquet d'Amiens a informé la juridiction qu'aucune poursuite n'avait été reprise suite à l'arrêt du 14 janvier 2008 ;
Attendu toutefois, que l'absence de notification à l'intéressé de la possibilité de former un recours en indemnisation ne constitue pas un empêchement à agir résultant de l'ignorance légitime de l'existence de la créance, et n'a d'effets que sur la recevabilité du recours au regard du délai de six mois dans lequel il doit être formé ;
Que le 29 septembre 2008, le juge d'instruction saisi a informé le conseil de M. X... de l'annulation de "l'intégralité de la procédure y compris le réquisitoire introductif" et de la transmission du "reliquat des pièces dudit dossier à M. le procureur de la République d'Amiens", l'invitant expressément à s'en rapprocher ;
Qu'informé de cette annulation, M. X... n'établit ni n'allègue avoir, comme il y avait pourtant été invité, effectué de démarche pour s'enquérir du devenir du reliquat des pièces de la procédure, de sorte qu'il ne peut être regardé comme ayant légitimement ignoré sa créance ;
Qu'il est à cet égard sans portée que le parquet d'Amiens ait confirmé, suite à la requête en indemnisation présentée par un coprévenu et la demande de transmission du dossier pénal, qu'il avait été procédé à ce classement ;
Que les actes concernant M. X... ayant été définitivement annulés le 14 janvier 2008 et le reliquat des pièces du dossier classé sans suite le 11 avril 2008, l'intéressé devait saisir le premier président avant le 31 décembre 2012, soit dans le délai de quatre ans à compter du premier jour de l'année 2009, qui suit celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ;
Que la demande d'indemnisation ayant été présentée postérieurement à ce délai, la créance de M. X... est prescrite ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Attendu que l'issue du recours commande de rejeter la demande formée à ce titre ;
PAR CES MOTIFS :
ACCUEILLE le recours et statuant à nouveau ;
REJETTE la demande d'indemnisation formée par M. X... ;
REJETTE la demande formée par M. X... au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 16 juin 2015 par le président de la commission nationale de réparation des détentions ;
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier présent lors des débats et du prononcé.