Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 3
ARRÊT DU 02 JUIN 2014
(n° 14/ 90 , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/12086
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Avril 2012 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 09/09198
APPELANTE
Mademoiselle [I] [X] assistée de sa curatrice, Madame [P] [X], née le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 3] (AISNE), de nationalité française, et ce suivant décision rendue le 7 septembre 1988 par le Juge des Tutelles du Tribunal d'Instance de LOCHES
demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Marie-catherine VIGNES de la SCP GALLAND - VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
Assistée de Me Jean-Louis CHALANSET, avocat au barreau de PARIS, toque : M 1109 substituant Me Philippe LEBOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : C731
INTIMÉES
SA AXA FRANCE IARD, prise en la personne de ses représentants légaux
dont le siège social est [Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151
Assistée de Me Quiterie LE JOSNE, avocat plaidant pour Me Jérôme CHARPENTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1216
CPAM D'INDRE ET LOIRE, prise en la personne de ses représentants légaux
dont le siège social est [Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Défaillante
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Avril 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Régine BERTRAND-ROYER, Présidente
Madame Catherine COSSON, Conseillère, entendue en son rapport
Madame Marie-Brigitte FREMONT, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Nadia DAHMANI
ARRÊT : RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Régine BERTRAND-ROYER, présidente et par Mme Hanifa DEFFAR, greffier présent lors du prononcé.
****
Le 2 décembre 1983, Mlle [I] [X], âgée de 13 ans, piéton, a été victime d'un accident de la circulation dans la survenance duquel était impliqué le véhicule conduit par Monsieur [Y] [U] et assuré par l'UAP aux droits de laquelle est venue la société Axa France.
Mlle [X] a fait l'objet de plusieurs expertises médicales confiées au docteur [E] lequel aux termes de son dernier rapport daté du 3 mars 1993, a conclu comme suit :
- la victime a présenté un traumatisme crânien avec coma stade II d'emblée, mydriase aréactive bilatérale, décérébration, hématome intra-cérébral occipital, oedème cérébral et important hydrôme résiduel frontal, un traumatisme abdominal avec fractures du bassin et gigantesque hématome rétro-péritonéal, une fracture fermée de la diaphyse fémorale droite, une fracture ouverte, très importante, stade III, de la jambe gauche,
- il est survenu des complications pulmonaires, infectieuses, osseuses, urinaires et oculaires,
- la consolidation peut être fixée au 3 mars 1993,
- il persiste les séquelles suivantes : 1° séquelles neurologiques avec comitialité, troubles mnésiques et didactiques, troubles du comportement, troubles cérébelleux avec très importante désorientation temporo-spatiale, 2° séquelles ophtalmologiques avec paralysie de la 3ème paire crânienne, strabisme divergent et diplopie, 3° séquelles orthopédiques avec limitation des mouvements de la hanche, du genou et de la cheville droits, instabilité très importante du genou droit, atrophie musculaire de la cuisse droite, raccourcissement de 15mm du membre inférieur gauche, marche en rotation externe du pied droit, douleurs résiduelles au niveau des deux membres inférieurs, gêne importante à l'accroupissement,
- l'IPP est de 70 %
- tierce personne à titre viager à raison de 8 heures par jour,
- des réserves doivent être émises car la comitialité nécessite un traitement et une surveillance de très longue durée ; au niveau de la jambe gauche, il existe un foyer évolutif que l'on retrouve cliniquement et à la scintigraphie ; il peut exister une pseudarthrose à ce niveau et même un foyer infectieux qui pourront nécessiter une ou plusieurs interventions chirurgicales dans l'avenir ; une récidive d'ostéite est toujours possible au niveau du fémur droit.
Le préjudice de Mlle [X] a été réparé par arrêt du 14 février 1995 de la cour d'appel d'Orléans.
Invoquant une aggravation de son état, Mlle [X] assistée de sa curatrice, Madame [X], a sollicité du tribunal de grande instance de Paris la désignation d'un médecin expert. Par jugement du 16 février 2010, la 19ème chambre civile de cette juridiction a ordonné une expertise médicale et commis pour y procéder le docteur [K].
L'expert a déposé un rapport daté du 25 août 2011.
Par jugement du 30 avril 2012, la 19ème chambre civile a condamné la société AXA FRANCE IARD à payer à Mlle [X] :
- la somme de 279.542 € en capital au titre de son préjudice,
- une rente trimestrielle et viagère au titre de la tierce personne d'un montant de 5.400 € payable à compter du 30 avril 2012,
- la somme de 2.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'exécution provisoire a été ordonnée à concurrence des deux tiers de l'indemnité allouée et en totalité en ce qui concerne la rente et les frais irrépétibles, la société AXA FRANCE IARD a été condamnée aux dépens et le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile a été accordé à Maître [V] [S].
Mademoiselle [X], assistée de sa curatrice Madame [P] [X], a interjeté appel.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 25 janvier 2013, elle demande à la cour de lui allouer les sommes figurant dans le tableau ci-dessous. Elle précise solliciter l'indemnisation d'une tierce personne complémentaire à hauteur de 16 heures sur 24 et l'application du barème Gazette du Palais des 4 et 5 mai 2011. Elle considère que l'existence du préjudice sexuel étant reconnue par l'expert, ce préjudice qui n'a pas été réparé par les décisions précédentes, doit être indemnisé. Elle réclame la condamnation de la société AXA FRANCE IARD aux dépens dont distraction au profit de la SCP GALLAND-VIGNES en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions signifiées le 22 mai 2013, la société AXA FRANCE IARD soutient qu'il n'existe pas d'aggravation des besoins en tierce personne, que lorsque l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans a été rendu, il était déjà connu que Mlle [X] faisait l'objet d'une assistance permanente de ses parents, que la situation à ce titre n'a pas évolué et que la demande d'indemnisation complémentaire au titre des besoins en tierce personne est irrecevable au regard de l'autorité de la chose jugée. A titre subsidiaire, si la cour confirmait une aggravation des besoins en tierce personne, elle ne pourrait retenir que 8 heures par jour. En ce qui concerne le préjudice sexuel, elle prétend que l'action est prescrite s'agissant d'un préjudice initial dont l'indemnisation n'a pas été sollicitée dans les 10 ans suivant la date de la consolidation initiale.
demandes
offres
Préjudices patrimoniaux
Temporaires
tierce personne du 23.09.03 au 7.07.10
550.416 €
à titre subsidiaire
146.664 €
Permanents
tierce personne du 7.07.10 au 7.11.11
121.920 €
tierce personne à compter du 7 novembre 2011
2.637.800,16 €
tierce personne du 8.07.10 au 8.12.12
à titre subsidiaire
52.200 €
tierce personne à compter du 9 décembre 2012
à titre subsidiaire rente trimestrielle viagère de
5.400 €
Préjudices extra patrimoniaux
Temporaires
déficit fonctionnel temporaire partiel
200 €
142 €
souffrances
10.000 €
8.000 €
Permanents
déficit fonctionnel permanent
60.000 €
45.000 €
préjudice esthétique
5.000 €
2.000 €
préjudice sexuel
50.000 €
subsidiairement 30.000 €
Article 700 du code de procédure civile
4.000 €
réduction des sommes qui pourraient être allouées
Par lettre du 31 mai 2013, la CPAM de Loir-et-Cher a indiqué qu'elle n'avait pas de créance à faire valoir.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :
Il ressort du rapport du docteur [K] les éléments suivants :
- au plan orthopédique, il y a une aggravation de la situation sur le plan arthrosique tant du genou droit que du genou gauche avec douleurs plus prononcées du coté droit et une limitation fonctionnelle qui s'est majorée par rapport aux constatations de 1993 ; il existe également une aggravation sur le plan de la statique axiale du fait des atteintes des deux membres inférieurs et des troubles de la fonction locomotrice ayant abouti progressivement au fil des ans à l'apparition de discopathies L4-L5 et L5-S1,
- au plan neurologique, il n'y a pas eu de modification en tant que telle,
- au plan neuropsychologique, apparition d'une composante dépressive constituant une modification de l'état de 1993,
- au plan ophtalmologique, la cataracte bilatérale apparue n'est pas imputable à l'accident,
- découverte d'une hépatite C en 2003 vraisemblablement imputable aux multiples transfusions sanguines réalisées et pour lesquelles tous les donneurs n'ont pas été retrouvés ; la situation est actuellement stable et ne nécessite pas la mise en route d'un traitement spécifique,
- période de perte de gains professionnels du 23 au 30 septembre 2003,
- déficit fonctionnel temporaire total le 23 septembre 2003 (hospitalisation pour la ponction hépatique)
- déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 85 % du 24 au 30 septembre 2003,
- souffrance : 3/7
- consolidation le 7 juillet 2010,
- déficit fonctionnel permanent : aggravation de 10 % par rapport au taux initial de 70 %,
- préjudice esthétique : majoration d'un demi point du taux initial de 4/7 du fait de la majoration de la boiterie,
- préjudice d'agrément non significativement modifié compte tenu des atteintes qui limitaient déjà très fortement les activités sportives ou ludiques,
- lors de l'évaluation initiale, le préjudice sexuel et d'établissement n'avait pas été évoqué alors qu'il est incontestable ; l'aggravation n'a pas entraîné d'atteinte spécifique complémentaire en elle-même en ce domaine,
- le retentissement professionnel est resté identique,
- assistance non médicalisé, non spécialisée : 8 h actives par jour, 8 heures de présence humaine de sécurité par jour, soit une accentuation imputable à l'aggravation retenue.
Au vu de ces éléments et de l'ensemble des pièces versées aux débats, le préjudice corporel en aggravation de Mlle [I] [X] qui était âgée de 32 ans à la première manifestation de l'aggravation et de 40 ans à la consolidation de son état en aggravation, sera indemnisé comme suit.
Préjudices patrimoniaux
- tierce personne
Mlle [X] soutient que son besoin en tierce personne est de 24h/24. Elle explique que si l'expert a fait état de la possibilité pour elle de rester de courtes périodes sans surveillance particulière, évoquant notamment pour la période nocturne une surveillance discontinue, cette présence discontinue n'est pas synonyme d'absence de tierce personne puisqu'il n'est pas possible à une tierce personne salariée d'interrompre les tâches de surveillance pendant un court laps de temps.
La société AXA FRANCE IARD prétend au regard du rapport de l'expert qu'il n'y a pas eu d'aggravation des besoins en tierce personne de la victime, ces derniers restant de 8 heures par jour d'assistance active et d'une surveillance parentale constante le reste du temps, que dès lors Mlle [X] ne peut profiter de la procédure d'aggravation pour tenter d'obtenir ce qu'elle avait demandé devant la cour d'appel d'Orléans en 1995 et qui lui avait été refusé et qu'au visa des articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile, la demande est irrecevable. Subsidiairement, si la cour confirmait une aggravation des besoins en tierce personne, elle fait valoir qu'il ne peut être retenu que 8 heures par jour de surveillance, la victime pouvant être laissée seule de façon discontinue 8 heures par jour.
Le docteur [E], expert ayant rendu le rapport sur la base duquel le préjudice initial a été indemnisé, avait considéré que l'état de santé de Mlle [X], qui avait alors 22 ans, nécessitait l'assistance d'une tierce personne 8 heures par jour de façon définitive. La cour d'appel d'Orléans pour retenir ce même nombre d'heures, a précisé qu'il ressortait du rapport motivé de l'expert qu'[I] [X] disposait d'une autonomie certaine et que la présence d'une personne à ses cotés n'avait pour raison d'être que de l'aider pour l'ensemble des actes et gestes quotidiens qu'elle ne pouvait accomplir ou dont elle ne prenait pas l'initiative.
Ainsi, la cour d'appel d'Orléans n'a pas admis le raisonnement de la victime qui faisait valoir que son état justifiait une assistance 24 heures sur 24 et il ne peut être considéré que la nécessité d'un encadrement de jour comme de nuit était connue. Dès lors, il y a lieu de rechercher si l'aggravation de l'état de santé de l'intéressée justifie l'accroissement de son besoin en assistance.
En l'occurrence, l'aggravation porte sur les séquelles neuropsychologiques avec apparition d'un état anxieux et dépressif, les séquelles orthopédiques avec une majoration de l'atteinte fonctionnelle des membres inférieurs et du squelette axial comportant notamment une mobilité réduite limitant le périmètre de marche, et une contamination par le virus de l'hépatite C découverte en 2003.
Pour retenir une augmentation du besoin en tierce personne de 8 heures par jour, le docteur [K] a expliqué que la désorientation temporo-spatiale présentée par la victime avait pour conséquence qu'elle se perdait et n'était en mesure ni de sortir seule, hors trajets habituels, codifiés et bien tracés, ni d'être laissée seule de façon permanente. Cependant, au regard des séquelles imputables décrites ci-dessus, cette désorientation, qualifiée par le docteur [E], en 1993, de très importante, n'est pas une conséquence de l'aggravation retenue. En effet, l'expert a précisé, après évaluations effectuées par Madame [G] en janvier 2007, que sur le plan des performances neuro-psychologiques, l'état de Mlle [X] pouvait être considéré comme globalement stable, sous réserve de la composante dépressive pour laquelle un suivi spécialisé n'a pas été mis en oeuvre.
Dans ces conditions, Mlle [X] ne démontre pas le bien fondé de sa demande qu'elle porte sur la période antérieure ou postérieure à la consolidation. Ses demandes sont rejetées et le jugement infirmé.
Préjudices extra-patrimoniaux
Le premier juge a par une motivation précise et circonstanciée que la cour fait sienne exactement évalué les chefs de demande suivants, de sorte que les indemnités les compensant, sont confirmées :
- déficit fonctionnel temporaire ..............................................................................142 €
- souffrances ...........................................................................................................8.000 €
- déficit fonctionnel permanent ............................................................................45.000 €
- préjudice esthétique .............................................................................................2.000 €
En ce qui concerne le préjudice sexuel dont la réparation est sollicitée, la société AXA FRANCE IARD relève avec raison qu'il s'agit d'un préjudice initial dont l'indemnisation n'avait pas été sollicitée. La consolidation de l'état de santé de Mlle [X] ayant été fixée au 3 mars 1993 et le délai de prescription de 10 ans applicable ayant couru à compter de la date de consolidation, il s'ensuit que l'action, en ce qui concerne ce préjudice, est prescrite depuis le 4 mars 2003. Le jugement qui a alloué de ce chef la somme de 30.000 € est en conséquence infirmé.
Mlle [X] recevra en réparation de son préjudice corporel en aggravation, une indemnité totale de 55.142,00 euros, en deniers ou quittances.
Le surplus de la décision mérite confirmation.
Sur les autres demandes
Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel au bénéfice de Mademoiselle [X]. Les dépens d'appel sont mis à sa charge.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement rendu le 30 avril 2012 par le tribunal de grande instance de Paris à l'exception de ses dispositions relatives au droit à indemnisation, à l'indemnité allouée en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant,
Condamne la société AXA FRANCE IARD à payer à Mademoiselle [I] [X] assistée de sa curatrice, Madame [P] [X], la somme de 55.142,00 (cinquante cinq mille cent quarante deux) euros en réparation de son préjudice corporel en aggravation, en deniers ou quittances, provisions et somme versée en vertu de l'exécution provisoire non déduites, ladite somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence des sommes allouées par celui-ci,
Dit la demande relative au préjudice sexuel irrecevable comme prescrite,
Rejette la demande présentée, en cause d'appel, par Mademoiselle [I] [X] en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mademoiselle [I] [X] assistée de sa curatrice, Madame [P] [X], aux dépens d'appel,
Dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande, pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du CPC,
Dit que copie du présent arrêt sera adressé par les soins du greffe au juge des tutelles du tribunal d'instance de Loches.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE