Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C...B...F...et la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner le centre hospitalier de Bastia à réparer les conséquences dommageables de l'infection dont M. B...F...a été victime à la suite d'une intervention chirurgicale pratiquée dans cet établissement le 19 avril 2000. Par un jugement n° 0901009 du 17 juin 2010, le tribunal administratif a rejeté leurs demandes.
Par un arrêt n° 10MA03389 du 22 octobre 2012, la cour administrative d'appel de Marseille, avant de statuer sur l'appel de M. B...F...contre ce jugement, a sollicité un avis technique. Par un arrêt n° 10MA03389 du 2 avril 2013, la cour a annulé le jugement et condamné le centre hospitalier de Bastia à verser 57 239,03 euros à M. B...F...et 106 137,17 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse.
Par une décision n° 368990 du 11 février 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, sur pourvoi du centre hospitalier de Bastia, annulé l'arrêt du 2 avril 2013 en tant que, d'une part, il fixait le montant des indemnités dont il mettait le versement à M. B...F...et à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse à la charge du centre hospitalier de Bastia au titre des pertes de revenus, de l'incidence professionnelle du dommage et de la pension d'invalidité et en tant que, d'autre part, il omettait de prendre en compte la provision de 10 000 euros que l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Bastia du 23 février 2007 avait condamné le centre hospitalier de Bastia à verser à M. B...F...et a renvoyé l'affaire devant la Cour dans la limite de la cassation prononcée.
Par un arrêt n° 15MA01064 du 22 février 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a, à la demande de M. A...B...et Mmes D...et E...B..., déclarant reprendre l'instance engagée par M. B...F...décédé, condamné le centre hospitalier de Bastia à verser aux consortsB..., en leur qualité d'ayants droit de M. B...F..., la somme de 19 296,17 euros, sous déduction de la provision de 10 000 euros accordée par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Bastia du 23 février 2007, et à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse la somme totale de 48 681,39 euros portant intérêts à compter du 28 mai 2010.
Procédure devant le Conseil d'Etat :
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 avril et 22 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier de Bastia demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de limiter à 31 398, 99 euros la somme allouée à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse et de déduire de l'indemnité allouée aux consorts B...la provision de 10 000 euros accordée par le juge des référés à M. B...F....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Charles Touboul, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier de Bastia, à Me Blondel, avocat des consortsB..., et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse.
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, lors d'une intervention chirurgicale pratiquée le 19 avril 2000 au centre hospitalier de Bastia, M. B... F...a contracté une infection qui a nécessité plusieurs périodes d'hospitalisation ainsi que trois reprises chirurgicales et entraîné une invalidité permanente évaluée à 10 % ; que, par un jugement du 17 juin 2010, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de M. B... F...tendant à la condamnation du centre hospitalier de Bastia a réparer ses préjudices ; que, sur appel de l'intéressé, la cour administrative d'appel de Marseille, par un arrêt du 2 avril 2013, a retenu l'existence d'une infection nosocomiale, révélant une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service hospitalier, et condamné l'établissement à verser 57 239,03 euros à M. B...F...et 106 137,17 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse ; que, par une décision n° 368990 du 11 février 2015, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, faisant droit au pourvoi du centre hospitalier, a annulé cet arrêt en tant qu'il fixait le montant des indemnités accordées à la victime et à la caisse primaire au titre des pertes de revenus, de l'incidence professionnelle du dommage et de la pension d'invalidité versée par la caisse et en tant qu'il omettait de prendre en compte une provision de 10 000 euros allouée à M. B...F...par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Bastia du 23 février 2007 ; que, statuant à nouveau dans la limite de la cassation prononcée, la cour administrative d'appel de Marseille a, par un arrêt du 22 février 2016, condamné le centre hospitalier à verser à M. A... B...et Mmes D...B...et E...B..., ayants droit de la victime décédée en cours d'instance, la somme de 19 296,17 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse la somme de 48 681,39 euros portant intérêts à compter du 28 mai 2010 ; que le centre hospitalier de Bastia se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
2. Considérant, d'une part, qu'en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2006 relative au financement de la sécurité sociale, le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu'il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ; que le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale : " L'assuré a droit à une pension d'invalidité lorsqu'il présente une invalidité réduisant dans des proportions déterminées, sa capacité de travail ou de gain, c'est-à-dire le mettant hors d'état de se procurer, dans une profession quelconque, un salaire supérieur à une fraction de la rémunération normale perçue dans la même région par des travailleurs de la même catégorie, dans la profession qu'il exerçait avant la date de l'interruption de travail suivie d'invalidité ou la date de la constatation médicale de l'invalidité si celle-ci résulte de l'usure prématurée de l'organisme " ; qu'eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par ces dispositions législatives et à son mode de calcul, en fonction du salaire, fixé par l'article R. 341-4 du code de la sécurité sociale, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité ; que, dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice ;
4. Considérant que, pour se conformer aux règles rappelées ci-dessus, il appartenait aux juges du fond de déterminer, en premier lieu, si l'incapacité permanente conservée par M. B... F...en raison des fautes commises par le centre hospitalier de Bastia entraînait des pertes de revenus professionnels et une incidence professionnelle et, dans l'affirmative, d'évaluer ces postes de préjudice sans tenir compte, à ce stade, du fait qu'ils donnaient lieu au versement d'une pension d'invalidité ; que, pour déterminer ensuite dans quelle mesure ces préjudices étaient réparés par la pension, il y avait lieu de regarder cette prestation comme réparant prioritairement les pertes de revenus professionnels et, par suite, comme ne réparant tout ou partie de l'incidence professionnelle que si la victime ne subissait pas de pertes de revenus ou si le montant de ces pertes était inférieur au capital représentatif de la pension ; que, dès lors qu'il avait été définitivement jugé que les fautes commises par le centre hospitalier engageaient son entière responsabilité, le montant intégral des pertes de revenus et de l'incidence professionnelle devait être mis à sa charge ; que la victime devait se voir allouer, le cas échéant, une somme correspondant à la part de ces postes de préjudice non réparée par la pension, évaluée ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le solde étant versé à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse ;
5. Considérant que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel a retenu, pour la période comprise entre la consolidation des conséquences de l'infection nosocomiale, acquise le 12 février 2009, et le décès de M. B...F..., survenu le 10 septembre 2014, que l'invalidité permanente résultant de l'infection n'avait pas entraîné une incapacité de travail à l'origine de pertes de revenus professionnels mais qu'elle avait eu une incidence professionnelle évaluée à 10 000 euros ; que la cour a ensuite constaté que la caisse primaire avait, au cours de la même période, versé à la victime une rente d'invalidité dont la moitié, soit 27 282, 40 euros, était, selon le médecin conseil, en relation avec l'infection nosocomiale ; qu'elle en a déduit que les ayants droit de la victime ne pouvaient prétendre à aucune indemnité au titre de l'incidence professionnelle, entièrement réparée par la rente d'invalidité, mais que le centre hospitalier devait rembourser à la caisse la somme de 27 282, 40 euros ; qu'en statuant ainsi, alors que la caisse ne pouvait exercer son recours subrogatoire que dans la limite des préjudices subis par la victime, la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit par suite être annulé en tant qu'après avoir évalué les préjudices professionnels subis par M. B...F...du fait de l'infection nosocomiale il condamne le centre hospitalier de Bastia à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse la somme de 27 282,40 euros ;
6. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; qu'il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond ;
7. Considérant qu'il résulte de l'arrêt du 22 février 2016 de la cour administrative d'appel de Marseille, devenu définitif sur ce point, que, pendant la période postérieure à la consolidation des conséquences de l'infection nosocomiale, M. B...F...n'a pas subi de pertes de revenus professionnels du fait de cette infection mais a en revanche subi une incidence professionnelle évaluée à 10 000 euros ; qu'ainsi, l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier de Bastia au titre des préjudices professionnels doit être fixée à 10 000 euros ;
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse a versé à M. B...F...une rente d'invalidité dont la moitié, soit 27 282, 40 euros au cours de la période postérieure à la date de consolidation, avait pour objet de réparer les conséquences professionnelles de l'invalidité résultant de l'infection nosocomiale ; que le préjudice subi par la victime, évalué à 10 000 euros, s'étant ainsi trouvé entièrement réparé, ses ayants droit ne peuvent prétendre à aucune part de l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier ; que cette indemnité doit être entièrement allouée à la caisse primaire ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Bastia doit être condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse la somme de 10 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 mai 2010, date d'enregistrement au greffe du tribunal administratif de sa demande de remboursement de ses débours par le centre hospitalier ; que cette somme s'ajoute à celle de 21 398, 99 euros que la cour a allouée à cette même caisse par son arrêt du 22 février 2016, définitif sur ce point, en remboursement des indemnités journalières qu'elle a versées pour la période comprise entre le 21 avril 2004 et le 29 mars 2007 ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge du centre hospitalier de Bastia qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 22 février 2016 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Bastia est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse la somme de 31 398,99 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 mai 2010.
Article 3 : Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse et les consorts B...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier de Bastia, à M. A...B...et Mmes D...et E...B...et à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Corse.