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16/05/2025 | FRANCE | N°489577

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 16 mai 2025, 489577


Vu les procédures suivantes :



I - Le comité social et économique de la société Place du marché, M. BM... AG..., M. AY... O..., M. BJ... AE..., Mme CW... BA..., Mme AN... BG..., Mme EC... FF..., Mme FB... EW..., M. R... CZ... et Mme DS... EP... ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 1er février 2023 par laquelle le directeur régional délégué de la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités Auvergne-Rhône-Alpes a homologué le document unilatéral portant plan d

e sauvegarde de l'emploi de la société Place du marché. Par un jugement n° 2302...

Vu les procédures suivantes :

I - Le comité social et économique de la société Place du marché, M. BM... AG..., M. AY... O..., M. BJ... AE..., Mme CW... BA..., Mme AN... BG..., Mme EC... FF..., Mme FB... EW..., M. R... CZ... et Mme DS... EP... ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 1er février 2023 par laquelle le directeur régional délégué de la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités Auvergne-Rhône-Alpes a homologué le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Place du marché. Par un jugement n° 2302236 du 16 juin 2023, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 23LY02181 du 26 septembre 2023, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par le CSE de la société Place du marché et autres contre ce jugement.

Sous le n° 489577, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 22 novembre 2023 et le 21 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le comité social et économique de la société Place du marché et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, de la société Place du marché, de la société MJ Synergie et de la société Marie AW... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

II - M. M... EU..., Mme EH... FV..., Mme EQ... CK..., M. DA... AP..., Mme EO... P..., Mme DO... EV..., M. AT... DW..., M. DQ... AQ..., M. D... CL..., M. CB... DY..., M. EZ... FL..., M. FI... EX..., M. CQ... Q..., M. BB... AR..., Mme AH... AR..., Mme EK... AS..., Mme DX... DZ..., M. BE... S..., M. DM... AU..., M. FG... T..., M. AO... FM..., M. EJ... FM..., M. DI... EY..., Mme CY... AW..., M. FI... CO..., Mme BF... U..., Mme EI... FJ..., M. DA... CR..., M. ET... CS..., Mme AC... EE..., Mme BR... FC..., M. DP... F..., Mme FA... FK..., M. CI... V..., Mme EA... CU..., M. DQ... EG..., Mme BX... BD..., M. T... G..., M. L... X..., Mme FN... FQ..., M. EZ... BH..., M. ET... EL..., M. DK... BI..., M. H... AA..., M. EF... DC..., M. DG... FD..., M. Z... DD..., M. BT... DE..., M. K... DF..., Mme AC... EM..., M. DA... FE..., Mme AX... AB..., Mme BX... BK..., M. EZ... EN..., Mme BP... BL..., M. AV... DH..., M. ET... AF..., M. CI... BS..., M. DQ... AI..., Mme CV... BU..., M. DA... BW..., M. J... DL..., M. E... DN..., Mme AL... BY..., Mme FS... BZ..., M. EJ... CA..., M. DG... ER..., Mme EH... ES..., M. CP... AJ..., Mme FP... BL..., M. AY... CC..., M. DJ... CD..., M. T... AK..., Mme N... AM..., M. BT... CE..., Mme DU... CF..., M. CT... DR..., Mme FR... CG..., Mme AD... CH... et M. ED... DT... ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler pour excès de pouvoir la même décision du directeur régional délégué de la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités Auvergne-Rhône-Alpes du 1er février 2023. Par un jugement n° 2302612 du 16 juin 2023, le tribunal administratif a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 25LY02635 du 7 novembre 2023, la cour administrative d'appel de Lyon a, d'une part, admis l'intervention de Mme Y... W..., Mme FT... A... BC..., Mme FH... D..., Mme FO... BN..., Mme FU... B... C..., Mme CX... BO..., Mme AZ... DV..., M. E... EB..., Mme I... CN... et de Mme EQ... DB... demandant qu'elle fasse droit à l'appel formé par M. EU... et autres contre ce jugement, et, d'autre part, rejeté cet appel.

1° Sous le n° 489581, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés le 22 novembre 2023 et les 21 février et 20 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme W..., Mme BO..., Mme DV..., M. EB..., Mme CN..., Mme DB..., Mme A... BC..., Mme D..., Mme B... C..., et Mme BN... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à l'appel de M. EU... et autres ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, de la société Place du marché, de la société MJ Synergie et de la société Marie AW... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

2° Sous le n° 490747, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 8 janvier, 9 avril et 5 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. EU... et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre solidairement à la charge de l'Etat, de la société MJ Synergie et de la société Marie AW... la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code du travail ;

- le décret n° 2013-1172 du 18 décembre 2013 ;

-le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, Goulet, avocat du comité social et économique de la société Place du marché et autres, de Mme Y... W... et autres, à la SCP Duhamel, avocat de la société MJ Synergie et de la société Marie AW... et au cabinet François Pinet, avocat de M. M... EU... et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que la société Place du marché, qui exerçait une activité de vente et de livraison à domicile de produits alimentaires et qui employait alors mille quatre cent vingt-deux salariés, a été placée en procédure de sauvegarde par jugement du tribunal de commerce de Lyon du 3 novembre 2022, puis en redressement judiciaire le 29 novembre 2022, et enfin en liquidation judiciaire sans poursuite d'activité par jugement du même tribunal de commerce du 13 janvier 2023. La société MJ Synergie et la société Marie AW... ont été désignées en qualité de liquidateurs judiciaires de la société Place du marché. Par une décision du 1er février 2023, le directeur régional délégué de la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités Auvergne-Rhône-Alpes a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Place du marché prévoyant le licenciement de l'ensemble de ses salariés. Le comité social et économique de la société Place du marché et neuf de ses salariés, d'une part, M. EU... et soixante-dix-neuf autres salariés, d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler cette décision d'homologation. Par deux jugements du 16 juin 2023, le tribunal administratif a rejeté leurs demandes. Le comité social et économique de la société Place du marché et autres se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 26 septembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté leur appel formé contre le jugement du tribunal administratif les concernant. En outre, M. EU... et autres, d'une part, Mme W... et neuf autres salariés, d'autre part, se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 7 novembre 2023 par lequel la même cour, après avoir admis l'intervention de Mme W... et autres, a rejeté l'appel formé par M. EU... et autres contre le jugement rendu par le tribunal administratif dans l'instance à laquelle ils étaient parties. Ces trois pourvois présentant à juger des questions communes, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ainsi que, par ailleurs, d'admettre l'intervention présentée par Mme W... et autres au soutien du pourvoi n° 490747.

Sur les " mémoires en défense " produits au nom la société Place du Marché :

2. Les écritures figurant dans les " mémoires en défense " produits sous les nos 489577 et 489584 au nom de la société Place du marché, société en liquidation judiciaire, dont il est constant qu'elles ne sont pas présentées par les liquidateurs judiciaires de cette société, alors que ces derniers, sous les mêmes nos 489577 et 489584, ont eux-mêmes produit des mémoires en défense en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société Place du marché, ne peuvent qu'être écartées.

Sur les arrêts en tant qu'ils se prononcent sur la compétence du signataire de la décision d'homologation :

3. De première part, il résulte des dispositions combinées du II de l'article L. 1233-58 et des articles L. 1233-24-4, L. 1233-57-3, L. 1233-57- 4 et R. 1233-3-4 du code du travail qu'en cas de liquidation judiciaire, le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi élaboré, en l'absence d'accord, par l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur judiciaire, est homologué par le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités dont relève l'établissement en cause, dans un délai de quatre jours à compter de la dernière réunion du comité social et économique.

4. De deuxième part, aux termes du II de l'article R. 8122-2 du même code : " Pour l'exercice des compétences en matière d'actions d'inspection de la législation du travail, le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités peut déléguer sa signature au chef du pôle en charge des questions de travail aux directeurs départementaux de l'emploi, du travail et des solidarités, aux directeurs départementaux de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations et, en Ile-de-France, aux directeurs d'unités départementales. / En accord avec le délégant, ceux-ci peuvent subdéléguer la signature des actes pour lesquels ils ont eux-mêmes reçu délégation aux agents du corps de l'inspection du travail placés sous leur autorité. Le directeur régional peut mettre fin à tout ou partie de cette délégation. Il peut également fixer la liste des compétences qu'il souhaite exclure de la délégation que peuvent consentir ces chefs de service aux agents du corps de l'inspection du travail placés sous leur autorité. " Par ailleurs, l'article 1er du décret du 18 décembre 2013 portant délégation de signature, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que, sans préjudice de l'application des dispositions de l'article R. 8122-2 du code du travail, dans les matières pour lesquelles un texte législatif ou réglementaire lui confie l'exercice d'une compétence propre, le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités peut donner délégation de signature aux chefs de pôle ainsi qu'aux responsables d'unité territoriale et à leurs adjoints.

5. De dernière part, lorsqu'une autorité exerce la suppléance d'une autre autorité, en application d'un texte ou parce qu'elle a vocation, tant par la place qu'elle occupe dans la hiérarchie du service concerné que par le rôle qu'elle y assume, à le faire en cas d'absence ou d'empêchement de l'autorité compétente, les actes administratifs signés par elle et entrant dans le champ de compétence de l'autorité qu'elle supplée ne peuvent être regardés comme entachés d'incompétence lorsqu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions de cette suppléance, et notamment l'absence de l'autorité suppléée, n'étaient pas satisfaites. La seule circonstance que l'acte en cause ne précise pas qu'il est pris au titre de cette suppléance n'est pas de nature à établir que ces conditions n'étaient pas satisfaites.

6. Il ressort des énonciations des arrêts attaqués que Mme BQ..., directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités Auvergne-Rhône-Alpes, a, par arrêté du 19 juillet 2022 publié au recueil des actes administratifs spécial du même jour, accordé une délégation à M. BV... CJ..., directeur régional délégué de cette direction, pour signer les décisions d'homologation des plans de sauvegarde de l'emploi en cas d'absence ou d'empêchement de Mme CM..., directrice régionale adjointe de la même direction, responsable du pôle entreprises, emploi et solidarités. La cour a jugé que si les dispositions du décret du 18 décembre 2013 citées au point 4, qui sont applicables, la décision d'homologation en litige n'entrant pas dans le champ de l'exercice des compétences en matière d'action d'inspection de la législation du travail visées par l'article R. 8122-2 du code du travail, ne permettaient pas à la directrice régionale d'accorder une telle délégation à M. CJ..., dès lors qu'il n'était ni chef de pôle ni responsable d'unité territoriale, il avait néanmoins vocation, tant par la place qu'il occupait dans la hiérarchie de la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités Auvergne-Rhône- Alpes que par le rôle qu'il y assumait, à assurer la suppléance de la directrice régionale en cas d'absence ou d'empêchement de celle-ci pour satisfaire aux nécessités d'un fonctionnement continu du service public, alors que Mme CM..., titulaire d'une délégation régulière, était décédée quelques semaines auparavant et n'avait pas encore été remplacée. Enfin, la cour a estimé qu'il ne résultait pas des pièces des dossiers que la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités n'eût pas été absente ou empêchée lorsque M. CJ... a signé la décision du 1er février homologuant le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Place du marché dont l'adoption doit, ainsi qu'il a été dit au point 3, intervenir dans un délai de quatre jours suivant la dernière réunion du comité social et économique. Par suite, la cour, qui a suffisamment motivé ses arrêts sur ce point, n'a ni dénaturé les pièces des dossiers ni commis d'erreur de droit en jugeant qu'alors même qu'il ne bénéficiait à cet effet d'aucune délégation régulière de la directrice régionale, M. CJ... était compétent pour signer la décision litigieuse.

Sur les arrêts en tant qu'ils se prononcent sur la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique :

7. Il résulte des dispositions combinées du I de l'article L. 1233-58 et des dispositions de l'article L. 1233-30 du code du travail applicables en cas de redressement ou de liquidation judiciaire que, dans cette hypothèse, l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur qui envisage le licenciement d'au moins dix salariés dans une entreprise d'au moins cinquante salariés réunit et consulte le comité social et économique sur l'opération projetée et ses modalités d'application, ainsi que sur le projet de licenciement collectif, notamment sur les mesures sociales d'accompagnement et, le cas échéant, les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail. Aux termes de l'article L. 1233-31 du même code, applicable en cas de liquidation judiciaire en vertu du 5° de l'article L. 1233-58 du même code : " L'employeur adresse aux représentants du personnel, avec la convocation à la première réunion, tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif. / Il indique : / 1° La ou les raisons économiques, financières ou techniques du projet de licenciement ; / 2° Le nombre de licenciements envisagé ; / 3° Les catégories professionnelles concernées et les critères proposés pour l'ordre des licenciements ; / 4° Le nombre de salariés, permanents ou non, employés dans l'établissement ; / 5° Le calendrier prévisionnel des licenciements ; / 6° Les mesures de nature économique envisagées ; / 7° Le cas échéant, les conséquences de la réorganisation en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail ".

8. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'elle est saisie par un employeur, un administrateur ou un liquidateur d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail et fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que la procédure d'information et de consultation du comité social et économique a été régulière. Elle ne peut légalement accorder l'homologation demandée que si le comité a été mis à même d'émettre régulièrement un avis, d'une part, sur l'opération projetée et ses modalités d'application, et d'autre part, sur le projet de licenciement collectif et le plan de sauvegarde de l'emploi. A ce titre, il appartient à l'administration de s'assurer que l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur a adressé au comité tous les éléments utiles pour qu'il formule ses avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation. Parmi tous les éléments utiles qu'il doit lui transmettre pour qu'il formule ses deux avis en toute connaissance de cause, figurent des éléments relatifs à l'identification et à l'évaluation des conséquences de la réorganisation de l'entreprise sur la santé ou la sécurité des travailleurs, ainsi que, en présence de telles conséquences, les actions projetées pour les prévenir et en protéger les travailleurs, de façon à assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale.

9. Il ressort des énonciations des arrêts attaqués que la cour administrative d'appel a relevé qu'était joint à la convocation à la première réunion du comité social et économique tenue le 19 janvier 2023 un document, intitulé " document d'information économique " retraçant l'historique du groupe ainsi que celui de la société, les causes des difficultés et les mesures de redressement prises, la procédure de sauvegarde et la conversion en redressement judiciaire, une analyse des comptes de la période d'observation, une estimation du passif, les perspectives de l'entreprise, les conditions dans lesquelles la décision de mise en liquidation judiciaire avait été prise, une présentation des effectifs et du projet de licenciement pour motif économique ainsi qu'un chapitre consacré à la commission santé, sécurité, conditions de travail, que ce document contenait notamment une prévision de l'évolution de trésorerie entre le 1er décembre 2022 et le 23 février 2023, actualisée au 9 janvier 2023 et comprenait une analyse des risques psycho-sociaux liés aux ruptures des contrats de travail ainsi que le descriptif des mesures mises en œuvre pour accompagner les salariés. La cour a également relevé qu'à la suite de la demande formulée par le comité social et économique que soient communiquées des données supplémentaires portant sur l'état des lieux et les causes de la liquidation, sur les causes de l'échec de la reprise, sur l'attitude des actionnaires repreneurs et sur le plan de sauvegarde de l'emploi, de nouvelles informations ont été fournies avant la réunion au cours de laquelle il était prévu que le comité social et économique émette ses avis, dont la tenue a été reportée de cinq jours, conformément à l'injonction adressée par la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités Auvergne-Rhône-Alpes, afin de permettre à l'expert et aux membres du comité social et économique de prendre connaissance de ces informations. En jugeant, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les documents ainsi communiqués, d'une part, mentionnaient les raisons économiques et financières du projet de licenciement et, d'autre part, comportaient des éléments relatifs à l'identification et à l'évaluation des conséquences de la réorganisation de l'entreprise sur la santé et la sécurité des salariés et sur les actions projetées pour assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale suffisants pour que le comité social et économique puisse formuler ses deux avis en toute connaissance de cause, la cour administrative d'appel, dont l'arrêt est suffisamment motivé sur ce point, dès lors qu'elle n'était pas tenue de répondre à l'argumentation tirée de ce que les représentants du personnel n'avaient pu exercer leurs prérogatives au motif que les informations transmises par l'employeur étaient estampillées " confidentielles ", ni de rechercher si le liquidateur avait répondu à l'ensemble des questions que lui avaient posé les membres du comité social et économique, n'a pas commis d'erreur de droit.

Sur les arrêts en tant qu'ils se prononcent sur le caractère suffisant du plan de sauvegarde de l'emploi :

10. Aux termes du deuxième alinéa du II de l'article L. 1233- 58 du code du travail, par dérogation au 1° de l'article L. 1233-57-3 du même code qui prévoit que l'administration vérifie le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 de ce code en fonction des moyens dont disposent l'entreprise, " sans préjudice de la recherche, selon le cas, par l'administrateur, le liquidateur ou l'employeur, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, des moyens du groupe auquel l'employeur appartient pour l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi, l'autorité administrative homologue le plan de sauvegarde de l'emploi après s'être assurée du respect par celui-ci des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 au regard des moyens dont dispose l'entreprise ". Aux termes de l'article L. 1233-61 du même code : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. / Ce plan intègre un plan de reclassement visant à faciliter le reclassement sur le territoire national des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, notamment celui des salariés âgés ou présentant des caractéristiques sociales ou de qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile. (...) ".

11. Il résulte des dispositions citées au point 10 que, lorsque l'administration est saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail, il lui appartient, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier, dans le cas des entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire, d'une part, que l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur a recherché, pour l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi, les moyens dont disposent l'unité économique et sociale et le groupe auquel l'entreprise appartient et, d'autre part, que le plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas insuffisant au regard des seuls moyens dont dispose l'entreprise. Dans ce cadre, il revient notamment à l'autorité administrative de s'assurer que le plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi est de nature à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité. L'employeur ou le liquidateur doit, à cette fin, avoir identifié dans le plan l'ensemble des possibilités de reclassement des salariés dans l'entreprise. En outre, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, l'employeur, seul débiteur de l'obligation de reclassement, doit avoir procédé à une recherche sérieuse des postes disponibles sur le territoire national pour un reclassement dans les autres entreprises du groupe. Pour l'application de ces dispositions, les moyens du groupe s'entendent, ainsi qu'il est désormais prévu au treizième alinéa de l'article L. 1233-3 du code du travail, de ceux, notamment financiers, dont disposent l'ensemble des entreprises placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce, ainsi que de ceux dont dispose cette entreprise dominante, quel que soit le lieu d'implantation du siège de ces entreprises.

12. En premier lieu, il ressort des énonciations des arrêts attaqués qu'alors que M. EU... et autres soutenaient devant elle que la société Euro Ethnic Foods aurait dû être incluse dans le périmètre du groupe pris en compte pour contrôler le caractère suffisant du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Place du marché, en particulier pour l'établissement du plan de reclassement, la cour administrative d'appel a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que si MM. DK... et FW... FX..., lesquels contrôlaient indirectement la société Place du marché, détenaient également près de 40 % de la société Euro Ethnic Foods, il ne ressortait pas des pièces du dossier, eu égard à la répartition du reste du capital social de cette société, détenu par un unique actionnaire, et en l'absence d'élément démontrant que ces derniers disposeraient du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société, que MM. FX... pourraient être regardés comme contrôlant la société Euro Ethnic Foods au sens des dispositions du code du travail et du code de commerce rappelées aux points 9 et 10. En statuant ainsi, la cour, qui n'était pas tenue d'ordonner une mesure d'instruction pour déterminer si MM. FX... contrôlaient la société Euro Ethnic Foods, n'a pas commis d'erreur de droit ni méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve.

13. En second lieu, en estimant, au titre de son appréciation de la légalité de la décision attaquée en tant qu'elle contrôle le caractère suffisant du plan, qu'il n'y avait pas lieu de se prononcer sur la licéité de la cellule liquidative mise en œuvre par les liquidateurs, représentant un coût évalué à 1,6 millions d'euros, dont la constitution a été autorisée par une ordonnance du 31 janvier 2023 du juge-commissaire à la liquidation de la société Place du marché, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier.

Sur les arrêts attaqués en tant qu'ils se prononcent sur le contrôle du respect par les liquidateurs de leurs obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs :

14. Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : / 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; / 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ".

15. Il résulte de ces dispositions que dans le cadre d'une réorganisation qui donne lieu à l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, y compris pour les sociétés en liquidation judiciaire, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, le respect, par l'employeur ou le liquidateur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. A cette fin, elle doit contrôler tant la régularité de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l'employeur ou le liquidateur est tenu en application de l'article L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée.

16. A ce titre, il appartient notamment à l'administration, dans le cadre du contrôle du contenu du document unilatéral lui étant soumis en vue de son homologation, de vérifier, au vu des éléments d'identification et d'évaluation des risques, des débats qui se sont déroulés au sein du comité social et économique, des échanges d'informations et des observations et injonctions éventuelles formulées lors de l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, dès lors qu'ils conduisent à retenir que la réorganisation présente des risques pour la santé ou la sécurité des travailleurs, si l'employeur ou le liquidateur a arrêté des actions pour y remédier et si celles-ci correspondent à des mesures précises et concrètes, au nombre de celles prévues aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, qui, prises dans leur ensemble, sont, au regard de ces risques, propres à les prévenir et à en protéger les travailleurs.

17. Il ressort des énonciations des arrêts attaqués que la cour administrative d'appel a relevé que les liquidateurs judiciaires, qui ont alerté la médecine du travail par courriel du 3 janvier 2023 et demandé aux cadres de signaler les situations de risques psycho-sociaux éventuels par un courriel du 4 janvier 2023, ont identifié des risques pour la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs du fait du licenciement de l'ensemble des salariés, dont ils ont fait part dans le document d'information adressé au comité social et économique. La cour a également relevé que les liquidateurs ont indiqué dans ce document diverses mesures de nature à prévenir ces risques et à en protéger les travailleurs, comprenant la mise en place d'une plateforme d'écoute et de soutien psychologique permettant de joindre ponctuellement, gratuitement et de manière anonyme, un psychologue 24 heures du 24 et sept jours sur sept ou de prendre rendez-vous avec un psychologue, ainsi que la création d'une adresse de messagerie dédiée aux salariés et la désignation au sein du service social des liquidateurs d'une personne pour répondre à toute question sur la procédure en cours. La cour a encore relevé que, lors de l'examen de la demande d'homologation, l'administration a indiqué qu'avait été faite une demande de prestation de grand licenciement combinant deux dispositifs, la cellule d'appui à la sécurisation professionnelle et l'accompagnement proposé par le contrat de sécurisation professionnelle, et qu'un rendez-vous avec un psychologue était prévu ainsi qu'un à deux entretiens individuels, sur la base du volontariat. La cour a pu en déduire sans erreur de droit ni insuffisance de motivation, par une appréciation souveraine non entachée de dénaturation, que l'administration avait légalement retenu que les mesures ainsi décidées par les liquidateurs étaient, prises dans leur ensemble et au regard de ces risques, propres à les prévenir et à en protéger les travailleurs.

Sur les moyens seulement dirigés contre l'arrêt du 7 novembre 2023 :

18. En premier lieu, en vertu des dispositions combinées du II de l'article L. 1233-58 et du deuxième alinéa de l'article L. 1233-57-4 du code du travail, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, la décision expresse par laquelle l'administration homologue un document unilatéral fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi doit énoncer les éléments de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que les personnes auxquelles cette décision est notifiée puissent à sa seule lecture en connaître les motifs. Si le respect de cette règle de motivation n'implique ni que l'administration prenne explicitement parti sur tous les éléments qu'il lui incombe de contrôler, ni qu'elle retrace dans la motivation de sa décision les étapes de la procédure préalable à son édiction, il lui appartient, toutefois, d'y faire apparaître les éléments essentiels de son examen.

19. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'autorité administrative s'est prononcée dans la décision d'homologation litigieuse sur le périmètre du groupe auquel appartient la société Place du marché, en précisant les sociétés du groupe qui ont été sollicitées par les liquidateurs pour identifier des postes de reclassement et abonder le financement du plan. Par suite, c'est sans dénaturer les pièces du dossier ni entacher son arrêt d'erreur de droit que la cour administrative d'appel a, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, écarté le moyen tiré de ce que la décision d'homologation serait insuffisamment motivée faute de préciser le périmètre du groupe pris en compte pour le reclassement.

20. En second lieu, s'il résulte des dispositions des septième, huitième et neuvième alinéas du II de l'article L. 1233-58 du code du travail qu'il incombe au juge administratif, saisi d'une requête dirigée contre une décision d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi d'une entreprise qui est en liquidation judiciaire, de commencer par se prononcer sur les moyens autres que celui tiré de l'insuffisance de motivation de la décision administrative en réservant, à ce stade, un tel moyen, et de ne se prononcer sur ce dernier que lorsqu'aucun des autres moyens n'est fondé, dès lors que le législateur a attaché à l'annulation pour excès de pouvoir d'une telle décision des effets qui diffèrent selon que cette annulation est fondée sur un moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision en cause ou sur un autre moyen, l'ordre dans lequel les moyens soulevés à l'appui de la demande d'annulation sont examinés est en revanche sans incidence sur la régularité d'une décision juridictionnelle rejetant la demande d'annulation pour excès de pouvoir d'une décision d'homologation d'un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi. Il en va de même en appel, lorsqu'une cour administrative d'appel rejette une requête dirigée contre un jugement rejetant une telle demande. Par suite, la cour administrative d'appel n'a pas méconnu son office en écartant le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision d'homologation attaquée avant d'écarter ceux relatifs à la procédure d'information et de consultation du comité social et économique, au contenu du plan de sauvegarde de l'emploi et aux mesures arrêtées en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs, et de rejeter la requête de M. EU... et autres.

21. Il résulte de tout ce qui précède que, l'intervention de Mme W... et autres pouvant par ailleurs être admise, les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des arrêts qu'ils attaquent. Leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ainsi que celles présentées par la société Place du marché qui n'est pas, en tant que telle, partie au litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par la société MJ Synergie et la société Marie AW..., liquidateurs judiciaires de la société Place du marché.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de Mme W... et autres présentée sous le n° 490747 est admise.

Article 2 : Les pourvois du comité social et économique de la société Place du marché et autres, de Mme W... et autres et de M. EU... et autres sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions présentées tant par la société MJ Synergie et la société Marie AW... que par la société Place du marché au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au comité social et économique de la société Place du marché, à Mme Y... W... et à M. M... EU..., premiers requérants dénommés, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, à la société MJ Synergie et à la société Marie AW..., liquidateurs judiciaires de la société Place du marché et à la société Place du marché.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 489577
Date de la décision : 16/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 16 mai. 2025, n° 489577
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Cabrera
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier
Avocat(s) : CABINET ROUSSEAU, TAPIE ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET ; SCP DUHAMEL

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:489577.20250516
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