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15/07/2024 | FRANCE | N°493840

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 15 juillet 2024, 493840


Vu la procédure suivante :



M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris de suspendre la destruction de ses gamètes conservées au centre d'études et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) de l'hôpital Cochin. Par une ordonnance n° 2408501 du 13 avril 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant en application de l'article L. 522-3 du code de justice adminis

trative, a rejeté cette demande.



Par un pourvoi sommaire ...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris de suspendre la destruction de ses gamètes conservées au centre d'études et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) de l'hôpital Cochin. Par une ordonnance n° 2408501 du 13 avril 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant en application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 avril et 10 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 ;

- l'arrêté du 26 octobre 2021 fixant la limite d'âge pour la conservation des gamètes et des tissus germinaux recueillis ou prélevés en application de l'article L. 2141-11 du code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Leduc, Vigand, avocat de M. A... et au cabinet François Pinet, avocat de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) "

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Paris que, par courrier du 2 janvier 2024, le centre d'études et de conservation des œufs et du sperme de l'hôpital Cochin (Assistance publique - Hôpitaux de Paris) a indiqué à M. A... qu'en application de l'article L. 2141-11 du code de la santé publique, il serait mis fin à la conservation de ses gamètes dans un délai de trois mois à compter de la date d'envoi du courrier, dès lors qu'il avait atteint l'âge de soixante ans ou plus. M. A... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 13 avril 2024, prise en application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de la mesure mettant fin à la conservation de ses gamètes.

Sur le cadre juridique du litige :

3. Aux termes de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique dans sa rédaction résultant de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique : " L'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. (...) / Les conditions d'âge requises pour bénéficier d'une assistance médicale à la procréation sont fixées par décret en Conseil d'Etat, pris après avis de l'Agence de la biomédecine. Elles prennent en compte les risques médicaux de la procréation liés à l'âge ainsi que l'intérêt de l'enfant à naître. (...) " Aux termes de l'article L. 2141-11 du même code : " I.- Toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d'altérer la fertilité ou dont la fertilité risque d'être prématurément altérée peut bénéficier du recueil ou du prélèvement et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d'une assistance médicale à la procréation, en vue de la préservation ou de la restauration de sa fertilité ou en vue du rétablissement d'une fonction hormonale (...). / Lorsque la personne atteint un âge ne justifiant plus l'intérêt de la conservation et en l'absence du consentement prévu aux 1° ou 2° du III, il est mis fin à cette conservation. Cette limite d'âge est fixée par un arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis de l'Agence de la biomédecine. (...) "

4. Pour l'application de ces dispositions, l'article R. 2141-36 du code de la santé publique précise les conditions d'âge pour bénéficier d'un prélèvement ou recueil de ses gamètes en vue d'une assistance médicale à la procréation ou d'un prélèvement ou recueil de gamètes ou de tissus germinaux effectué en application de l'article L. 2141-11 de ce code en vue d'une assistance médicale à la procréation ultérieure, à savoir jusqu'au quarante-troisième anniversaire pour le prélèvement d'ovocyte et jusqu'au soixantième anniversaire pour le recueil de spermatozoïdes. L'article R. 2141-38 du même code précise quant à lui les conditions d'âge permettant de bénéficier de l'insémination artificielle, de l'utilisation de gamètes ou de tissus germinaux recueillis, prélevés ou conservés à des fins d'assistance médicale à la procréation ainsi que du transfert d'embryons, soit jusqu'à son quarante-cinquième anniversaire chez la femme qui a vocation à porter l'enfant et jusqu'à son soixantième anniversaire chez le membre du couple qui n'a pas vocation à porter l'enfant. Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article 1er de l'arrêté du 26 octobre 2021 fixant la limite d'âge pour la conservation des gamètes et des tissus germinaux recueillis ou prélevés en application de l'article L. 2141-11 du code de la santé publique : " La limite d'âge mentionnée au IV de l'article L. 2141-11 du code de la santé publique au-delà de laquelle la conservation des gamètes et tissus germinaux à des fins d'assistance médicale à la procréation n'est plus justifiée est la même que celle prévue aux 1° et 2° de l'article R. 2141-38 du même code pour leur utilisation ".

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

5. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

6. M. A... soutient que les dispositions de l'article L. 2141-11 du code de la santé publique sont entachées d'incompétence négative, dans des conditions ayant pour effet de porter atteinte à l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, au principe de sécurité juridique et au droit de mener une vie familiale normale protégé par le dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, faute de déterminer elles-mêmes l'âge limite ne justifiant plus l'intérêt de la conservation des gamètes. Il résulte toutefois des dispositions mêmes de l'article L. 2141-11 du code de la santé publique que c'est en vue de la réalisation ultérieure d'une assistance médicale à la procréation au bénéfice de la personne dont la prise en charge médicale est susceptible d'altérer la fertilité ou dont la fertilité risque d'être prématurément altérée qu'elles ouvrent à celle-ci la possibilité de bénéficier du recueil ou du prélèvement et de la conservation de ses gamètes. L'intérêt de leur conservation est donc justifié, en l'absence du consentement de la personne à ce qu'ils fassent l'objet d'un don ou d'une recherche, tant que les conditions, notamment d'âge, permettant la réalisation ultérieure d'une telle assistance médicale à la procréation au bénéfice de la personne dont les gamètes sont conservés demeurent satisfaites. A ce titre, l'article L. 2141-2 du même code soumet le bénéfice d'une assistance médicale à la procréation à des conditions d'âge, renvoyées à un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de l'Agence de la biomédecine, dont il précise qu'elles doivent prendre en compte " les risques médicaux de la procréation liés à l'âge ainsi que l'intérêt de l'enfant à naître ". Dès lors qu'il a défini l'objectif en vu duquel est autorisée la conservation des gamètes, c'est-à-dire la réalisation ultérieure d'une assistance médicale à la procréation au bénéfice de la personne dont les gamètes sont conservés, et qu'il a subordonné par ailleurs le bénéfice d'une telle assistance médicale à la procréation à des conditions d'âge, en définissant de façon précise les critères de leur fixation, le législateur pouvait, sans méconnaître sa compétence, renvoyer au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la détermination de l'âge limite de conservation des gamètes. Le grief, qui n'est pas nouveau, ne présente ainsi, en tout état de cause, pas un caractère sérieux.

7. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article L. 2141-11 du code de la santé publique porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et de l'erreur de droit qu'aurait commise le juge des référés du tribunal administratif en en faisant application doit être écarté.

Sur les autres moyens du pourvoi :

8. En premier lieu, d'une part, les dispositions critiquées de l'article L. 2141-11 du code de la santé publique se bornant, comme il a été dit ci-dessus, à prévoir qu'il est mis fin à la conservation des gamètes lorsque la personne atteint un âge ne justifiant plus l'intérêt de cette conservation, c'est-à-dire lorsque les conditions de la réalisation ultérieure d'une assistance médicale à la procréation au bénéfice de cette personne ne sont plus satisfaites, elles ne peuvent, par elles-mêmes, être regardées comme portant une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique ainsi que des travaux parlementaires de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique que le législateur a subordonné, pour des motifs d'intérêt général, le recours à une technique d'assistance médicale à la procréation à des conditions d'âge fixées par décret en Conseil d'Etat pris après avis de l'Agence de la biomédecine, en prenant en compte les risques médicaux de la procréation liés à l'âge ainsi que l'intérêt de l'enfant à naître. Cette condition revêt une dimension non seulement biologique, tenant le cas échéant à l'efficacité des techniques mises en œuvre, mais également sociale, justifiée par des considérations tenant à l'intérêt de l'enfant, parmi lesquelles la place de celui-ci dans les générations familiales, et aux limites dans lesquelles la solidarité nationale doit prendre en charge l'accès à une technique d'assistance médicale à la procréation. Le principe d'une condition d'âge pour recourir à l'assistance médicale à la procréation, qui entre dans la marge d'appréciation dont dispose chaque Etat, et la fixation de cet âge par l'article R. 2141-38 du code de la santé publique au soixantième anniversaire chez le membre du couple qui n'a pas vocation à porter l'enfant ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les stipulations de l'article 8 de cette convention. Les dispositions de l'article L. 2141-11-1 du code de la santé publique, qui interdisent l'exportation de gamètes conservés en France s'ils sont destinés à être utilisés, à l'étranger, à des fins qui sont prohibées sur le territoire national et visent ainsi à faire obstacle à tout contournement des dispositions de l'article L. 2141-2 du même code, ne méconnaissent pas davantage les exigences nées de l'article 8 de cette convention, pas plus que ne les méconnaissent les articles L. 2141-2, L. 2141-11 et L. 2141-11-1 du code de la santé publique combinés.

10. En deuxième lieu, l'article R. 2141-38 du code de la santé publique, auquel renvoie l'arrêté du 26 octobre 2021, ne saurait être regardé comme entaché d'incompétence en ce qu'il fixe, en application de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, les conditions d'âge requises pour bénéficier d'une assistance médicale à la procréation. Pour les motifs indiqués au point précédent, il ne méconnaît pas davantage le droit à une vie familiale normale protégé par le dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

11. Par suite, le juge des référés du tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit en n'écartant pas l'application des dispositions citées aux points 8 et 9, au motif de leur illégalité, pour rejeter les conclusions de la demande de M. A..., tendant à la suspension de l'exécution de la mesure mettant fin à la conservation de ses gamètes sur le fondement de l'article L. 2141-11 du code de la santé publique, sur les termes desquelles il ne s'est pas mépris.

12. Il n'a, au surplus, entaché son ordonnance d'aucune dénaturation en estimant, eu égard à l'engagement pris auprès du conseil de M. A... par le centre d'études et de conservation des œufs et du sperme de l'hôpital Cochin et versé à l'instruction de ne pas détruire ses gamètes, devant s'entendre comme un engagement de l'informer de tout changement à venir sur ce point, que le requérant ne pouvait être regardé comme justifiant de l'existence d'une urgence particulière telle qu'exigée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque, laquelle n'est, contrairement à ce qu'il soutient, pas entachée d'irrégularité pour avoir été prise par application des dispositions de l'article L. 522-3 du code de justice administrative. Son pourvoi doit en conséquence être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A....

Article 2 : Le pourvoi de M. A... est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et à l'Agence de la biomédecine.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 juillet 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Vincent Mazauric, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Eric Buge, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 15 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Eric Buge

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 493840
Date de la décision : 15/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 15 jui. 2024, n° 493840
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric Buge
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq
Avocat(s) : CABINET FRANÇOIS PINET ; SCP LEDUC, VIGAND

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:493840.20240715
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