Sur le pourvoi formé par :
1°) M. Germinal Z..., demeurant à Troyes (Aube) ...) Le Syndicat C.F.D.T. Textile de l'Aube, dont le siège est à Troyes (Aube) ..., contre un arrêt rendu le 11 juillet 1980 par la Cour d'appel de Dijon qui a renvoyé M. André X..., demeurant à Troyes (Aube), ..., des fins de la poursuite pour entrave à l'exercice du droit syndical, mis hors de cause la société Devanlay et Recoing, civilement responsable dont le siège est à Troyes (Aube) ..., et débouté, M. Z... et le syndicat C.F.D.T. Textile de l'Aube, parties civiles, de leurs prétentions. M. Z... et le Syndicat C.F.D.T. Textile de l'Aube se sont pourvus en cassation contre un arrêt rendu le 12 janvier 1979 par la Cour d'appel de Reims, qui, après avoir relaxé M. X... des préventions d'entrave à l'exercice du droit syndical et au fonctionnement régulier du comité d'entreprise et les a déboutés de leurs demandes de réparations civiles.
Cet arrêt a été cassé le 15 janvier 1980 par la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation dans ses dispositions civiles.
La cause et les parties ont été renvoyées, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, devant la Cour d'appel de Dijon, qui, par arrêt du 11 juillet 1980, prononçant dans la même affaire et entre les mêmes parties procédant en la même qualité, a statué dans le même sens que la Cour d'appel de Reims et s'est fondée, en droit, sur des motifs qui sont en contradiction avec la doctrine de l'arrêt de cassation.
Un pourvoi ayant été formé contre l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon, l'attaquant par le même moyen que celui ayant provoqué la cassation de l'arrêt de la Cour d'appel de Reims, Monsieur le Premier Président a, par ordonnance du 16 juin 1982, renvoyé la cause et les parties devant l'Assemblée Plénière.
M. Z... et le Syndicat C.F.D.T. Textile de l'Aube invoquent, devant l'Assemblée Plénière, le moyen unique de cassation suivant :
"Violation des articles L. 412-15 et L. 461-2 du Code de travail, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé le prévenu des fins de la poursuite du chef d'entrave à l'exercice du droit sndical, constitué par l'action en résolution judiciaire du contrat du travail du délégué syndical exposant qu'il avait engagée, aux motifs qu'au moment où il avait engagé cette action devant le Conseil de prud"hommes, le prévenu pouvait estimer que, devant le rejet de sa requête par l'Inspecteur du travail, il tenait de l'article 1184 du Code civil que le législateur s'est jusqu'à présent refusé à déclarer inapplicable au contrat de travail des délégués le droit de suivre la voie judiciaire ; que, par ailleurs, eu égard aux divergences de doctrine et de jurisprudence qui caractérisaient, la matière de l'époque (juillet 1977) où a été engagée l'action prud"homale, il n'est pas établi qu'il ait eu conscience d'accomplir l'acte interdit par l'article L. 461-2 du Code de travail, alors que les dispositions législatives soumettant à l'assentiment préalable du comité d'entreprise ou à la décision conforme de l'Inspecteur du travail le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, ont institué au profit de tels salariés et dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun qui interdit par suite à l'employeur de poursuivre par d'autres moyens la résiliation du contrat de travail ; qu'en l'espèce, il résulte des propres énonciations de l'arrêt attaqué que le prévenu avait volontairement saisi au mois de juillet 1977 le Conseil de prud"hommes d'une action en résiliation du contrat de travail du délégué syndical exposant ; que ce fait suffisait à caractériser l'élément intentionnel à l'infraction, peu important l'erreur de droit éventuelle du prévenu" ;
Ce moyen a été formulé dans un mémoire déposé au secrétariat-greffe de la Cour de cassation par Me Jean-Guillaume Nicolas, avocat de M. Z... et du syndicat C.F.D.T. Textile de l'Aube. Un mémoire en défense et un mémoire complémentaire ont été produits par Me Labbé, avocat de M. X... et de la Société Devanlay et Recoing.
Sur quoi, LA COUR, statuant en Assemblée Plénière, Sur le rapport de M. le Conseiller Bargain, les observations de la société civile professionnelle Nicolas et Masse-Dessen, avocat de M. Z... et du Syndicat C.F.D.T. Textile de l'Aube, de Me Labbé, avocat de M. X... et de la Société Devanlay et Recoing, les conclusions de M. Cabannes, Premier Avocat général, et après en avoir délibéré en la Chambre du conseil ;
Sur le moyen unique ; Vu les articles L. 412-15 et L. 461-2 du Code du travail dans leur rédaction antérieure aux lois des 4 août et 28 octobre 1982 ;
Attendu que selon le premier de ces textes, le licenciement d'un délégué syndical ne peut intervenir qu'après avis conforme de l'Inspecteur du travail ou de l'autorité qui en tient lieu ; Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation, et qui n'avait à statuer que sur les seuls intérêts civils, que M. X... André, Directeur général de la Société Devanlay et Recoing, n'ayant pu obtenir l'avis conforme de l'Inspecteur du travail pour licencier M. Soler Y..., délégué du Syndicat C.F.D.T. Textile de l'Aube, à qui il reprochait une faute professionnelle, a engagé devant le Conseil de prud"hommes une action tendant à la résiliation judiciaire du contrat de travail ; qu'à la suite de ce fait, M. Z... et le Syndicat C.F.D.T. Textile de l'Aube l'ont fait citer directement devant la juridiction répressive pour entrave à l'exercice du droit syndical ;
Attendu que, pour débouter les parties civiles de leur demande de réparation, l'arrêt, qui relève l'existence de l'élément matériel de l'infraction, retient que, lorsque M. X... a saisi la juridiction prud"homale, il pouvait estimer, devant le refus qui lui avait été opposé par l'Inspecteur du travail, qu'il avait respecté les exigences du Code du travail et penser qu'il tenait de l'article 1184 du Code civil, que le législateur s'était jusqu'à présent refusé à déclarer inapplicable au contrat de travail des délégués, le droit de suivre la voie judiciaire ; que par ailleurs, eu égard aux divergences de doctrine et de jurisprudence qui caractérisaient la matière à l'époque prud"homale, il n'est pas établi qu'il ait eu conscience de violer la loi, ni la volonté de tourner les dispositions légales protectrices des délégués syndicaux ; Attendu, cependant, que la protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun dont bénéficie le délégué syndical exclut que soit poursuivie par la voie judiciaire la résiliation de son contrat de travail ; qu'en exerçant une telle action, l'employeur commet le délit prévu par l'article L. 461-2 du Code du travail, dont l'élément intentionnel se déduit du caractère volontaire des agissements constatés ; D'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé les textes susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en ce que l'arrêt a débouté les parties civiles de leurs prétentions, l'arrêt rendu le 11 juillet 1980, par la Cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties, au même et semblable état où elles étaient avant ledit arrêt, et, pour être fait droit les renvoie devant la Cour d'appel d'Amiens, à ce désignée par délibération spéciale prise en la Chambre du Conseil ;