CASSATION sans renvoi sur les pourvois formés par :
- X..., Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre correctionnelle, en date du 18 février 1999, qui, dans la procédure suivie contre eux du chef de blessures involontaires, a constaté l'extinction de l'action publique par l'amnistie, a déclaré irrecevable l'exception d'incompétence, et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé pour X..., pris de la violation des articles 1, 2, 3, 520, 593 du Code de procédure pénale, de l'article 1382 du Code civil et de la loi des 16 et 24 août 1790, défaut de motif et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable, pour avoir été soulevé tardivement, le déclinatoire de compétence au profit de la juridiction administrative, en ce qu'il a condamné le docteur X..., in solidum avec le docteur Y..., à verser à Z... une provision de 200 000 francs à valoir sur son préjudice corporel et en ce qu'il a ordonné une expertise médicale afin de déterminer l'étendue de ce préjudice ;
" aux motifs que dans une note en délibéré en date du 21 décembre 1998, Y... a décliné la compétence de la juridiction de l'ordre judiciaire au profit du tribunal administratif, motif pris que les faits qui lui sont imputés par Z... s'analysent, pour le cas où ils seraient établis, en des fautes de service dont seul le service public hospitalier doit répondre devant le juge administratif ; que ce déclinatoire de compétence, qui n'a pas été soulevé in limine litis à l'audience mais tardivement dans une note en délibéré, est manifestement irrecevable ; qu'il résulte clairement du dossier d'instruction et des expertises effectuées que les docteurs Y... et X... sont responsables du préjudice corporel dont a souffert le jeune Z... ; qu'il est en effet établi que ce patient, admis au Centre hospitalier de Saint-Pierre le 3 février 1993 pour une fracture de l'extrémité inférieure du radius, a dû être amputé le 10 février 1993 suite à une gangrène gazeuse imputable aux négligences fautives et conjuguées de ces deux praticiens ; qu'ainsi, l'instruction a démontré que le docteur X... n'avait pas donné d'instructions écrites prescrivant une antibiothérapie après l'admission du jeune Z... dans son service, ni n'avait contrôlé sa mise en oeuvre de sorte que, manifestement, eu égard au fait que la fracture était ouverte, une faute lourde de conséquence a été commise à ce stade ; que pour ce qui concerne le docteur Y..., l'instruction a permis d'établir que malgré ses dénégations, il avait vu le patient le 7 février 1993 et sous-estimé la situation médicale de ce dernier, n'ayant même pas pris connaissance de son dossier médical, de sorte que les négligences apportées au traitement de la lésion et les retards accumulés ont eu pour conséquence de rendre indispensable l'amputation ; que force est d'ailleurs de constater que les faits reprochés à ces deux praticiens ont été considérés comme suffisamment graves pour justifier leur renvoi devant une juridiction pénale et que si la loi d'amnistie du 3 août 1995 a rendu toute condamnation pénale impossible, elle n'a pas pour autant exonéré les auteurs de ces faits de leur obligation d'en réparer les conséquences dommageables ;
" alors que les tribunaux judiciaires ne sont compétents pour apprécier la responsabilité civile de l'agent d'un service public que lorsqu'ils relèvent à la charge de celui-ci une faute personnelle détachable de ses fonctions ; qu'à défaut, seules les juridictions de l'ordre administratif sont compétentes pour connaître de l'action en indemnisation exercée par la victime ; qu'en pareil cas, l'incompétence de la juridiction répressive est d'ordre public, de sorte qu'elle doit être relevée d'office par cette juridiction et qu'elle peut être proposée pour la première fois devant la Cour de Cassation ; qu'en se déclarant néanmoins compétente pour connaître de l'action en responsabilité exercée à l'encontre du docteur X..., après avoir relevé que celui-ci avait agi en qualité de praticien hospitalier et sans constater qu'il aurait commis une faute détachable de ses fonctions, motif pris de ce que l'exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative avait été invoquée tardivement, la cour d'appel a violé le principe susvisé " ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour Y..., pris de la violation de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, des articles 385, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable le déclinatoire de compétence soulevé par le docteur Y... ;
" au motif que ce déclinatoire de compétence n'a pas été soulevé in limine litis mais tardivement dans une note en délibéré ;
" alors que les règles de compétence étant d'ordre public, leur violation peut être invoquée à toute phase de la procédure ; qu'ainsi l'exception d'incompétence soulevée en cause d'appel par le docteur Y... était recevable ; qu'en déclarant le contraire, la cour d'appel a méconnu le principe précédemment rappelé et violé les textes visés au moyen " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu la loi des 16 et 24 août 1790 ;
Attendu que l'agent d'un service public n'est personnellement responsable des conséquences dommageables de l'acte délictueux qu'il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Z..., admis à l'hôpital public de Saint-Pierre pour une fracture ouverte du bras, a été atteint de gangrène et a dû être amputé ;
Que X... et Y..., médecins de cet hôpital, ont été poursuivis pour blessures involontaires ;
Que, par arrêt du 27 août 1998, la cour d'appel a constaté l'extinction de l'action publique par application de la loi d'amnistie du 3 août 1995 et a renvoyé l'affaire à une audience ultérieure en ce qui concerne les intérêts civils ;
Qu'après débats sur leur responsabilité civile, les prévenus ont, par notes en délibéré, décliné la compétence de la juridiction correctionnelle, les faits reprochés constituant, selon eux, des fautes de service relevant de la compétence exclusive de la juridiction administrative ;
Attendu que, pour déclarer cette exception irrecevable et les prévenus responsables des lésions subies par Z..., les condamner au paiement d'une indemnité provisionnelle et ordonner une expertise médicale, l'arrêt, après avoir constaté que l'incompétence de la juridiction correctionnelle n'a pas été invoquée avant toute défense au fond, relève que la gangrène, qui a nécessité l'amputation, est due aux négligences des deux praticiens, X... n'ayant ni prescrit par écrit une antibiothérapie, ni contrôlé sa mise en oeuvre, et Y... n'ayant pas pris connaissance du dossier médical et ayant mal apprécié l'état du patient ;
Mais attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il ressort que les fautes dont les prévenus, agents du service public hospitalier, ont été déclarés responsables ne peuvent être considérées comme détachables de leurs fonctions, et alors que l'exception d'incompétence, touchant à l'ordre public, peut être opposée en tout état de la procédure, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Et attendu que, les prévenus étant dégagés de toute responsabilité civile personnelle, il n'y a plus rien à juger devant les juridictions de l'ordre judiciaire ; que la cassation doit être prononcée sans renvoi ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 18 février 1999 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.