Vu, enregistrée à son secrétariat le 27 juillet 2022, l'expédition du jugement du 21 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, saisi des demandes d'indemnisation formées par la société d'exploitation agricole Ferme de Vauroisy et M. B... A... contre la société Réseau de transport d'électricité (RTE), a renvoyé au Tribunal, en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à la société d'exploitation agricole Ferme de Vauroisy, à M. B... A..., à la société RTE et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui n'ont pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
Vu le code de l'énergie ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent Jacques, membre du Tribunal,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... et la société civile d'exploitation agricole Ferme de Vauroisy (SCEA) sont propriétaires de parcelles de terres situées sur le territoire de la commune de Montfaverger-Moronvilliers, survolées par une ligne à très haute tension. La société Réseau de transport d'électricité (RTE), gestionnaire du réseau public de transport d'électricité, ayant décidé de mettre cette ligne à double circuit, le préfet de la Marne a, par un arrêté du 27 mai 2015, établi des servitudes d'ancrage, d'appui, de passage, d'abattage d'arbres et d'occupation temporaire sur des parcelles appartenant à M. A..., dont certaines sont données à bail de longue durée à la SCEA. Ayant demandé à la société RTE de les indemniser de leurs préjudices, M. A... et la SCEA ont, devant le refus opposé par celle-ci, saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne pour obtenir la réparation des différents préjudices résultant de la reconstruction de la ligne. Par jugement du 21 juillet 2022, ce tribunal a considéré que les demandes d'indemnisation des préjudices instantanés, du préjudice visuel subi par M. A... et du préjudice patrimonial lié à la perte de la valeur vénale des propriétés posaient des questions de compétence soulevant des difficultés sérieuses, qu'il a décidé de renvoyer au Tribunal des conflits.
2. Aux termes de l'article L. 323-4 du code de l'énergie : " La déclaration d'utilité publique investit le concessionnaire, pour l'exécution des travaux déclarés d'utilité publique, de tous les droits que les lois et règlements confèrent à l'administration en matière de travaux publics. Le concessionnaire demeure, dans le même temps, soumis à toutes les obligations qui dérivent, pour l'administration, de ces lois et règlements. La déclaration d'utilité publique confère, en outre, au concessionnaire le droit : 1° D'établir à demeure des supports et ancrages pour conducteurs aériens d'électricité, soit à l'extérieur des murs ou façades donnant sur la voie publique, soit sur les toits et terrasses des bâtiments, à la condition qu'on y puisse accéder par l'extérieur, étant spécifié que ce droit ne pourra être exercé que sous les conditions prescrites, tant au point de vue de la sécurité qu'au point de vue de la commodité des habitants, par les décrets en Conseil d'Etat prévus à l'article L. 323-11. Ces décrets doivent limiter l'exercice de ce droit au cas de courants électriques tels que la présence de ces conducteurs d'électricité à proximité des bâtiments ne soient pas de nature à présenter, nonobstant les précautions prises conformément aux décrets des dangers graves pour les personnes ou les bâtiments ; 2° De faire passer les conducteurs d'électricité au-dessus des propriétés privées, sous les mêmes conditions et réserves que celles spécifiques au 1° ci-dessus ; 3° D'établir à demeure des canalisations souterraines, ou des supports pour conducteurs aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ; 4° De couper les arbres et branches d'arbres qui, se trouvant à proximité des conducteurs aériens d'électricité, gênent leur pose ou pourraient, par leur mouvement ou leur chute, occasionner des courts-circuits ou des avaries aux ouvrages ".
3. Aux termes de l'article L. 323-6 du même code : " La servitude établie n'entraîne aucune dépossession. La pose d'appuis sur les murs ou façades ou sur les toits ou terrasses des bâtiments ne peut faire obstacle au droit du propriétaire de démolir, réparer ou surélever. La pose des canalisations ou supports dans un terrain ouvert et non bâti ne fait pas non plus obstacle au droit du propriétaire de se clore ou de bâtir ".
4. L'article L. 323-7 de ce code dispose que : " Lorsque l'institution des servitudes prévues à l'article L. 323-4 entraîne un préjudice direct, matériel et certain, elle ouvre droit à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit. L'indemnité qui peut être due à raison des servitudes est fixée, à défaut d'accord amiable, par le juge judiciaire ".
5. En application de ces dispositions, si les conséquences des dommages purement accidentels causés par les travaux de construction, de réparation ou d'entretien des ouvrages relèvent de la compétence des juridictions administratives, en revanche, les juridictions judiciaires sont seules compétentes pour connaître des dommages qui sont les conséquences certaines, directes et immédiates des servitudes instituées au profit des concessionnaires de distribution d'énergie, tels que la dépréciation de l'immeuble, les troubles de jouissance et d'exploitation, la gêne occasionnée par le passage des préposés à la surveillance et à l'entretien.
6. Les dommages causés aux cultures et aux jachères par les travaux de reconstruction de la ligne et ceux causés par la création de pistes sur l'exploitation afin de permettre l'exécution de ces travaux présentent un caractère accidentel et relèvent, en conséquence, de la compétence de la juridiction administrative.
7. Les parcelles dont la SCEA est propriétaire n'étant pas grevées de la servitude, le préjudice patrimonial invoqué par cette société, tiers par rapport à l'ouvrage public, du fait de la perte de valeur vénale de ces parcelles n'est pas la conséquence certaine, directe et immédiate de la servitude. Par suite, seule la juridiction administrative est compétente pour en connaître.
8. En revanche, le préjudice patrimonial subi par M. A... en raison de la perte de valeur vénale des parcelles dont il est propriétaire constitue une conséquence certaine, directe et immédiate de la servitude, y compris pour les parcelles non grevées, qui constituent, avec les parcelles traversées par l'emprise de la servitude, une unité foncière d'un seul tenant. Il en va de même pour le préjudice visuel subi par le propriétaire. L'indemnisation de ces préjudices relève donc de la compétence de la juridiction judiciaire.
D E C I D E :
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Article 1er : La juridiction administrative est compétente pour statuer sur les demandes de M. A... et de la SCEA en réparation de leurs préjudices instantanés correspondant aux dégâts causés aux cultures et aux jachères par les travaux de reconstruction de la ligne et aux dommages causés par la création de pistes ayant permis l'accès aux constructions ainsi que sur la demande présentée par la SCEA en réparation de son préjudice patrimonial.
Article 2 : La juridiction judiciaire est compétente pour statuer sur la demande de M. A... en indemnisation de son préjudice visuel et de son préjudice patrimonial lié à la perte de valeur vénale des parcelles dont il est propriétaire.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A..., à la SCEA et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.