La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/03/2013 | FRANCE | N°T1303897

France | France, Tribunal des conflits, 18 mars 2013, T1303897


N° 3897

Conflit positif

Préfet de la Manche Mme X... c/ Société RTE

M. Jacques Arrighi de Casanova Rapporteur

M. Didier Boccon-Gibod Commissaire du gouvernement

Séance du 18 février 2013 Lecture du 18 mars 2013

LE TRIBUNAL DES CONFLITS
Vu la lettre par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant Mme Hélène X... à la société Réseau de transport d'électricité (RTE) devant le tribunal de grande instance de Coutances ;
Vu les déclinatoires, présentés les 3

et 24 octobre 2012 par le préfet de la Manche, tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire...

N° 3897

Conflit positif

Préfet de la Manche Mme X... c/ Société RTE

M. Jacques Arrighi de Casanova Rapporteur

M. Didier Boccon-Gibod Commissaire du gouvernement

Séance du 18 février 2013 Lecture du 18 mars 2013

LE TRIBUNAL DES CONFLITS
Vu la lettre par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant Mme Hélène X... à la société Réseau de transport d'électricité (RTE) devant le tribunal de grande instance de Coutances ;
Vu les déclinatoires, présentés les 3 et 24 octobre 2012 par le préfet de la Manche, tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente pour connaître de ce litige par les motifs qu'il concerne des travaux publics et qu'aucune voie de fait n'a été commise par RTE ;
Vu l'ordonnance du 25 octobre 2012 par laquelle le président du tribunal de grande instance de Coutances a rejeté les déclinatoires de compétence ;
Vu l'arrêté du 5 novembre 2012 par lequel le préfet a élevé le conflit ;
Vu le jugement du 8 novembre 2012 par lequel le tribunal de grande instance de Coutances a sursis à toute procédure ;
Vu le mémoire présenté par Mme X..., tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit par les motifs que les déclinatoires de compétence étaient irrecevables et que, subsidiairement, le juge judiciaire est compétent pour connaître d'un litige opposant deux personnes privées et mettant en cause la propriété privée ;
Vu le mémoire présenté pour la société RTE et tendant à la confirmation de l'arrêté de conflit par les motifs que les déclinatoires de compétence étaient réguliers et que le juge administratif est compétent, en l'absence de voie de fait, pour connaître d'un litige mettant en cause l'exercice des prérogatives de puissance publique dont elle est investie par la loi ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des Conflits a été notifiée au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, qui n'a pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu l'ordonnance du 1er juin 1828 ;
Vu l'ordonnance des 12-21 mars 1831 ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 ;
Vu le code de l'énergie ;
Vu le décret n° 70-492 du 11 juin 1970 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jacques Arrighi de Casanova, membre du Tribunal,- les observations de la SCP Roger-Sevaux pour la Sté RTE,- les conclusions de M. Didier Boccon-Gibod, commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité de la procédure de conflit :
Considérant que la procédure de conflit, régie par l'ordonnance du 1er juin 1828, confère au préfet des pouvoirs spécifiques auxquels ne sont pas applicables les dispositions du code de procédure civile ; qu'en vertu de l'article 6 de cette ordonnance, le préfet présente un déclinatoire de compétence sous forme de mémoire adressé au procureur de la République, qui le transmet au tribunal saisi ; que ce déclinatoire peut être présenté jusqu'à ce que ce tribunal se soit prononcé sur la compétence ; qu'ainsi le préfet de la Manche pouvait régulièrement adresser un déclinatoire au tribunal de grande instance de Coutances, le 24 octobre 2012, alors même qu'était déjà intervenue la clôture des débats et que le président du tribunal n'en avait pas ordonné la réouverture ; qu'au demeurant, le déclinatoire précédemment déposé par le préfet le 3 octobre 2012 contenait un rappel des dispositions de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, interdisant aux tribunaux judiciaires de connaître des actes d'administration ; qu'ainsi ce déclinatoire satisfaisait aux prescriptions de l'article 6 de l'ordonnance du 1er juin 1828, alors même qu'il mentionnait seulement par ailleurs la loi abrogée du 28 pluviôse an VIII ; que, par suite, c'est à tort que, par son ordonnance du 25 octobre 2012, le président du tribunal de grande instance de Coutances a rejeté comme irrecevables les déclinatoires de compétence que le préfet de la Manche avait présentés ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêté du 5 novembre 2012 par lequel le préfet de la Manche a élevé le conflit à la suite de ce rejet n'est pas entaché d'irrégularité ;
Sur la compétence :
Considérant qu'il ressort des dispositions des articles L. 111-40 et L. 321-1 du code de l'énergie que la société Réseau de transport d'électricité (RTE) est concessionnaire de l'Etat pour la gestion du réseau public de transport d'électricité ; que, selon l'article L. 321-6 de ce code " Le gestionnaire du réseau public de transport exploite et entretient le réseau public de transport d'électricité. Il est responsable de son développement afin de permettre le raccordement des producteurs, des consommateurs, la connexion avec les réseaux publics de distribution et l'interconnexion avec les réseaux des autres pays européens (...…) " ; qu'en vertu de l'article L. 323-4, la déclaration d'utilité publique, prévue à l'article L. 323-3, des travaux nécessaires à l'établissement des ouvrages d'une concession de transport d'électricité " investit le concessionnaire, pour l'exécution des travaux déclarés d'utilité publique, de tous les droits que les lois et règlements confèrent à l'administration en matière de travaux publics (...…) " ; qu'il est spécifié par ce même article que " la déclaration d'utilité publique confère, en outre, au concessionnaire le droit :/ 1° D'établir à demeure des supports et ancrages pour conducteurs aériens d'électricité (...… )/ 2° De faire passer les conducteurs d'électricité au-dessus des propriétés privées (...… )/ 3° D'établir à demeure (...…) des supports pour conducteurs aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ; / 4° De couper les arbres et branches d'arbres qui, se trouvant à proximité des conducteurs aériens d'électricité, gênent leur pose ou pourraient, par leur mouvement ou leur chute, occasionner des courts-circuits ou des avaries aux ouvrages " ; qu'aux termes de l'article L. 323-5 du même code : " les servitudes d'ancrage, d'appui, de passage, d'abattage d'arbres et d'occupation temporaire s'appliquent dès la déclaration d'utilité publique des travaux " ; qu'en vertu des articles 13 et 18 du décret du 11 juin 1970, ces servitudes sont, en l'absence d'accord amiable, instituées par arrêté préfectoral ; qu'enfin, l'article L. 323-7 du code de l'énergie attribue compétence à la juridiction judiciaire pour la fixation des indemnités éventuellement dues aux propriétaires auxquels l'institution de ces servitudes cause un préjudice ;
Considérant qu'en pénétrant sur des parcelles appartenant à Mme X... afin d'y établir un pylône faisant partie des ouvrages nécessaires à la réalisation de la ligne électrique à très haute tension dite " Cotentin-Maine " et de procéder à l'abattage d'arbres permettant le passage de cette ligne électrique, les agents de la société RTE ont mis en oeuvre les pouvoirs conférés à cette société en application des dispositions précédemment citées du code de l'énergie, par l'effet de l'arrêté ministériel du 25 juin 2010 déclarant d'utilité publique la réalisation de cette ligne et de l'arrêté préfectoral du 27 mars 2012 désignant les parcelles en cause parmi celles qui sont mises en servitude ; que les agissements dont se plaint Mme X..., qui ne sauraient dès lors être regardés comme constitutifs d'une voie de fait, se rattachent à la mise en œ uvre des prérogatives de puissance publique dont cette société est investie, pour l'accomplissement de la mission de service public qui lui est confiée par la loi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la connaissance du litige qui oppose Mme X... à la société RTE, et qui ne porte pas sur la fixation des indemnités éventuellement dues à raison de l'institution de ces servitudes, ressortit à la compétence de la juridiction administrative ; que c'est en conséquence à bon droit que le préfet de la Manche a élevé le conflit ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté de conflit pris le 5 novembre 2012 par le préfet de la Manche est confirmé.
Article 2 : Sont déclarées nulles et non avenues la procédure engagée par Mme X... contre la société Réseau de transport d'électricité devant le tribunal de grande instance de Coutances et l'ordonnance du président de cette juridiction en date du 25 octobre 2012.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'en assurer l'exécution.



Analyses

SEPARATION DES POUVOIRS - Compétence judiciaire - Exclusion - Cas - Litige relatif à l'exécution d'une mission de service public - Exercice de prérogatives de puissance publique par un concessionnaire de l'Etat - Applications diverses - Litige opposant une personne privée à la société Réseau de transport d'électricité, ne portant pas sur la fixation d'indemnités dues pour servitudes

En pénétrant sur des parcelles appartenant à un propriétaire privé afin d'y établir un pylône faisant partie des ouvrages nécessaires à la réalisation d'une ligne électrique à très haute tension et de procéder à l'abattage d'arbres permettant le passage de cette ligne électrique, les agents de la société Réseau de transport d'électricité (RTE) ont mis en oeuvre les pouvoirs conférés à cette société, concessionnaire de l'Etat pour la gestion du réseau public de transport d'électricité, en application des dispositions des articles L. 111-40 et L. 321-1, L. 321-6, L. 323-3 à L. 323-5 du code de l'énergie, par l'effet d'un arrêté ministériel déclarant d'utilité publique la réalisation de cette ligne et d'un arrêté préfectoral, pris en application des articles 13 et 18 du décret du 11 juin 1970, désignant les parcelles devant être mises en servitude. Les agissements dont se plaint le propriétaire des parcelles, qui ne sauraient dès lors être regardés comme constitutifs d'une voie de fait, se rattachent à la mise en ¿uvre des prérogatives de puissance publique dont cette société est investie, pour l'accomplissement de la mission de service public qui lui est confiée par la loi. Dés lors, la connaissance du litige qui oppose le propriétaire à la société RTE, et qui ne porte pas sur la fixation des indemnités éventuellement dues à raison de l'institution de ces servitudes, ressortit à la compétence de la juridiction administrative


Références :

Sur le numéro 1 : loi des 16-24 août 1790 et décret du 16 fructidor an III

loi du 24 mai 1872

article 6 de l'ordonnance du 1er juin 1828


Sur le numéro 2 : loi des 16-24 août 1790 et décret du 16 fructidor an III

loi du 24 mai 1872

décret du 26 octobre 1849 modifié

articles L. 111-40, L. 321-1, L. 321-6, L. 323-3 à L. 323-5, L. 323-7 du code de l'énergie

articles 13 et 18 du décret n
Sur le numéro 2 : ° 70-492 du 11 juin 1970

Décision attaquée : Ordonnance du président du tribunal de grande instance de Coutances, 25 octobre 2012

Sur le n° 1 : Sur la présentation du déclinatoire de compétence jusqu'au prononcé sur la compétence, à rapprocher :Tribunal des conflits, 20 mars 2006, n° 06-03.505, Bull. 2006, T. conflits, n° 8 ;Tribunal des conflits, 31 mars 2008, n° 08-03.665, Bull. 2008, T. conflits, n° 8. Sur la non application des dispositions du code de procédure civile aux pouvoirs spécifiques du préfet conférés par la procédure de conflit, à rapprocher :Tribunal des conflits, 29 décembre 2004, n° 04-03.435, Bull. 2004, T. conflits, n° 32. Sur la régularité du déclinatoire contenant un seul rappel des lois des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, interdisant aux tribunaux de connaître des actes d'administration, à rapprocher :Tribunal des conflits, 16 janvier 1995, n° 09-42.946, Bull. 1995, T. conflits, n° 2


Publications
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : M. Gallet
Avocat général : M. Boccon-Gibod (commissaire du gouvernement)
Rapporteur ?: M. Arrighi de Casanova
Avocat(s) : SCP Roger et Sevaux

Origine de la décision
Date de la décision : 18/03/2013
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : T1303897
Numéro NOR : JURITEXT000027579592 ?
Numéro d'affaire : 13-03897
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.conflits;arret;2013-03-18;t1303897 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award