Vu la lettre, enregistrée à son secrétariat le 14 décembre 2012, par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant Mme A...B...à la société Réseau de transport d'électricité (RTE) devant le tribunal de grande instance de Coutances ;
Vu les déclinatoires, présentés les 3 et 24 octobre 2012 par le préfet de la Manche, tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente pour connaître de ce litige par les motifs qu'il concerne des travaux publics et qu'aucune voie de fait n'a été commise par RTE ;
Vu l'ordonnance du 25 octobre 2012 par laquelle le président du tribunal de grande instance de Coutances a rejeté les déclinatoires de compétence ;
Vu l'arrêté du 5 novembre 2012 par lequel le préfet a élevé le conflit ;
Vu le jugement du 8 novembre 2012 par lequel le tribunal de grande instance de Coutances a sursis à toute procédure ;
Vu, enregistré le 27 novembre 2012 au parquet du tribunal de grande instance de Coutances, le mémoire présenté par MmeB..., tendant à l'annulation de l'arrêté de conflit par les motifs que les déclinatoires de compétence étaient irrecevables et que, subsidiairement, le juge judiciaire est compétent pour connaître d'un litige opposant deux personnes privées et mettant en cause la propriété privée ;
Vu, enregistré le 18 janvier 2013, le mémoire présenté pour la société RTE et tendant à la confirmation de l'arrêté de conflit par les motifs que les déclinatoires de compétence étaient réguliers et que le juge administratif est compétent, en l'absence de voie de fait, pour connaître d'un litige mettant en cause l'exercice des prérogatives de puissance publique dont elle est investie par la loi ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des Conflits a été notifiée au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, qui n'a pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu l'ordonnance du 1er juin 1828 ;
Vu l'ordonnance des 12-21 mars 1831 ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 ;
Vu le code de l'énergie ;
Vu le décret n° 70-492 du 11 juin 1970 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jacques Arrighi de Casanova, membre du Tribunal,
- les observations de la SCP Roger-Sevaux pour la Sté RTE,
- les conclusions de M. Didier Boccon-Gibod, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité de la procédure de conflit :
Considérant que la procédure de conflit, régie par l'ordonnance du 1er juin 1828, confère au préfet des pouvoirs spécifiques auxquels ne sont pas applicables les dispositions du code de procédure civile ; qu'en vertu de l'article 6 de cette ordonnance, le préfet présente un déclinatoire de compétence sous forme de mémoire adressé au procureur de la République, qui le transmet au tribunal saisi ; que ce déclinatoire peut être présenté jusqu'à ce que ce tribunal se soit prononcé sur la compétence ; qu'ainsi le préfet de la Manche pouvait régulièrement adresser un déclinatoire au tribunal de grande instance de Coutances, le 24 octobre 2012, alors même qu'était déjà intervenue la clôture des débats et que le président du tribunal n'en avait pas ordonné la réouverture ; qu'au demeurant, le déclinatoire précédemment déposé par le préfet le 3 octobre 2012 contenait un rappel des dispositions de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, interdisant aux tribunaux judiciaires de connaître des actes d'administration ; qu'ainsi ce déclinatoire satisfaisait aux prescriptions de l'article 6 de l'ordonnance du 1er juin 1828, alors même qu'il mentionnait seulement par ailleurs la loi abrogée du 28 pluviôse an VIII ; que, par suite, c'est à tort que, par son ordonnance du 25 octobre 2012, le président du tribunal de grande instance de Coutances a rejeté comme irrecevables les déclinatoires de compétence que le préfet de la Manche avait présentés ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêté du 5 novembre 2012 par lequel le préfet de la Manche a élevé le conflit à la suite de ce rejet n'est pas entaché d'irrégularité ;
Sur la compétence :
Considérant qu'il ressort des dispositions des articles L. 111-40 et L. 321-1 du code de l'énergie que la société Réseau de transport d'électricité (RTE) est concessionnaire de l'Etat pour la gestion du réseau public de transport d'électricité ; que, selon l'article L. 321-6 de ce code " Le gestionnaire du réseau public de transport exploite et entretient le réseau public de transport d'électricité. Il est responsable de son développement afin de permettre le raccordement des producteurs, des consommateurs, la connexion avec les réseaux publics de distribution et l'interconnexion avec les réseaux des autres pays européens (...) " ; qu'en vertu de l'article L. 323-4, la déclaration d'utilité publique, prévue à l'article L. 323-3, des travaux nécessaires à l'établissement des ouvrages d'une concession de transport d'électricité " investit le concessionnaire, pour l'exécution des travaux déclarés d'utilité publique, de tous les droits que les lois et règlements confèrent à l'administration en matière de travaux publics (...) " ; qu'il est spécifié par ce même article que " la déclaration d'utilité publique confère, en outre, au concessionnaire le droit : / 1° D'établir à demeure des supports et ancrages pour conducteurs aériens d'électricité (...) / 2° De faire passer les conducteurs d'électricité au-dessus des propriétés privées (...) / 3° D'établir à demeure (...) des supports pour conducteurs aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ; / 4° De couper les arbres et branches d'arbres qui, se trouvant à proximité des conducteurs aériens d'électricité, gênent leur pose ou pourraient, par leur mouvement ou leur chute, occasionner des courts-circuits ou des avaries aux ouvrages " ; qu'aux termes de l'article L. 323-5 du même code : " les servitudes d'ancrage, d'appui, de passage, d'abattage d'arbres et d'occupation temporaire s'appliquent dès la déclaration d'utilité publique des travaux " ; qu'en vertu des articles 13 et 18 du décret du 11 juin 1970, ces servitudes sont, en l'absence d'accord amiable, instituées par arrêté préfectoral ; qu'enfin, l'article L. 323-7 du code de l'énergie attribue compétence à la juridiction judiciaire pour la fixation des indemnités éventuellement dues aux propriétaires auxquels l'institution de ces servitudes cause un préjudice ;
Considérant qu'en pénétrant sur des parcelles appartenant à Mme B...afin d'y établir un pylône faisant partie des ouvrages nécessaires à la réalisation de la ligne électrique à très haute tension dite " Cotentin-Maine " et de procéder à l'abattage d'arbres permettant le passage de cette ligne électrique, les agents de la société RTE ont mis en oeuvre les pouvoirs conférés à cette société en application des dispositions précédemment citées du code de l'énergie, par l'effet de l'arrêté ministériel du 25 juin 2010 déclarant d'utilité publique la réalisation de cette ligne et de l'arrêté préfectoral du 27 mars 2012 désignant les parcelles en cause parmi celles qui sont mises en servitude ; que les agissements dont se plaint MmeB..., qui ne sauraient dès lors être regardés comme constitutifs d'une voie de fait, se rattachent à la mise en oeuvre des prérogatives de puissance publique dont cette société est investie, pour l'accomplissement de la mission de service public qui lui est confiée par la loi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la connaissance du litige qui oppose Mme B...à la société RTE, et qui ne porte pas sur la fixation des indemnités éventuellement dues à raison de l'institution de ces servitudes, ressortit à la compétence de la juridiction administrative ; que c'est en conséquence à bon droit que le préfet de la Manche a élevé le conflit ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêté de conflit pris le 5 novembre 2012 par le préfet de la Manche est confirmé.
Article 2 : Sont déclarées nulles et non avenues la procédure engagée par Mme B...contre la société Réseau de transport d'électricité devant le tribunal de grande instance de Coutances et l'ordonnance du président de cette juridiction en date du 25 octobre 2012.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'en assurer l'exécution.