Vu, enregistrée à son secrétariat le 5 mai 1994, la lettre par laquelle le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, a transmis au tribunal le dossier de la procédure opposant MM. X... et Y... au préfet du Rhône et au préfet délégué à la sécurité auprès du préfet du Rhône devant le tribunal de grande instance de Lyon ;
Vu les déclinatoires de compétence présentés par le préfet de la région Rhône-Alpes, préfet du Rhône tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente ;
Vu les jugements du 25 mars 1994 par lesquels le tribunal de grande instance de Lyon, statuant en référé, s'est déclaré incompétent pour connaître de l'illégalité des arrêtés des 22 et 23 mars 1994, a déclaré les associations Gisti et Cimade recevables en leur intervention, a dit que le préfet du Rhône a commis une voie de fait, d'une part, en privant MM. X... et Y... du droit de comparaître devant le tribunal correctionnel à l'audience de renvoi du 11 avril 1994 et, d'autre part, en les expulsant avant que le juge administratif ait pu statuer sur leur demande de sursis à exécution, en conséquence, a ordonné aux défendeurs et à l'administration de prendre toutes mesures utiles aux fins d'assurer le retour et le maintien de MM. X... et Y... sur le territoire national jusqu'à ce que des décisions définitives interviennent ;
Vu les arrêtés du 26 mars 1994 par lesquels le préfet a élevé le conflit ; Vu, enregistrés le 5 mai 1994, les mémoires présentés pour MM. X... et Y... tendant à l'irrecevabilité de l'arrêté de conflit ;
Vu, enregistrés le 5 mai 1994, les mémoires déposés pour le Gisti et la Cimade, tendant aux mêmes fins par les mêmes motifs ; Vu, enregistré le 14 juin 1994, le mémoire présenté par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, par les motifs que le tribunal des référés a méconnu les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er juin 1828, que l'atteinte aux libertés fondamentales invoquée par le tribunal n'est pas établie et que ni les décisions administratives elles-mêmes ni les conditions dans lesquelles elles ont été exécutées ne sont manifestement insusceptibles de se rattacher à un pouvoir de l'administration ; Vu, enregistrées le 15 juin 1994, les observations en réplique, présentées pour MM. X... et Y... faisant valoir qu'entachée d'une irrégularité manifeste et grossière portant atteinte à une liberté fondamentale, la mesure d'éloignement était insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'administration ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu l'ordonnance du 1er juin 1828 modifiée ;
Vu l'ordonnance des 12-21 mars 1841 modifiée ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;
Vu l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Saintoyant, membre du Tribunal,
- les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, avocat de MM. X... et Y...,
- les conclusions de M. Abraham, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que MM. X... et Y..., ressortissants algériens, ont été appréhendés le 21 mars 1994, à Lyon, au cours d'une manifestation sur la voie publique ; que des arrêtés d'expulsion pris le 22 mars 1994 selon la procédure d'urgence absolue en application de l'article 26, deuxième alinéa, de l'ordonnance du 2 novembre 1945, modifiée par la loi n° 93-1027 du 24 août 1993, leur ont été notifiés le même jour ; que par arrêtés du 23 mars 1994, ils ont été astreints à résider dans le département des Bouches-du-Rhône jusqu'au moment où il a pu être procédé à leur embarquement pour l'Algérie ;
Considérant que par jugements du 25 mars 1994, le tribunal de grande instance de Lyon, statuant en référé, s'est déclaré incompétent pour connaître de l'illégalité des arrêtés des 22 et 23 mars, a déclaré le Gisti et la Cimade recevables en leurs interventions et, vu les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 809 du nouveau code de procédure civile, a dit que le préfet du Rhône a commis une voie de fait, d'une part, en privant MM. X... et Y... du droit de comparaître devant le tribunal correctionnel à l'audience du 11 avril 1994 et, d'autre part, en les expulsant avant que le juge administratif ait pu statuer sur leurs demandes de sursis à exécution, en conséquence, a ordonné au préfet et à l'administration de prendre toutes mesures utiles aux fins d'assurer le retour et le maintien des susnommés sur le territoire national jusqu'à ce que des décisions définitives interviennent ;
Sur la régularité de la procédure de conflit :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'article 8 de l'ordonnance précitée du 1er juin 1828 que la juridiction qui rejette le déclinatoire de compétence doit surseoir à statuer pendant le délai laissé au préfet pour, s'il l'estime opportun, élever le conflit ; qu'il s'ensuit que le jugement du tribunal de grande instance de Lyon qui statue au fond par la même décision qui écarte le déclinatoire de compétence en ce qu'il a pour objet l'exécution de l'expulsion doit être déclaré nul et non avenu ; que toutefois, cette irrégularité n'affecte pas les arrêtés de conflit pris le 26 avril 1994 par le préfet du Rhône ;
Considérant, en second lieu, que l'article 114 du code pénal, devenu 432-4 du nouveau code pénal, incrimine au titre des atteintes à la liberté individuelle les seuls actes d'arrestation, de détention ou de rétention arbitraires commis par des fonctionnaires publics ; qu'il s'ensuit que l'article 136 du code de procédure pénale, selon lequel en cas d'atteinte à la liberté individuelle une compétence exclusive est conférée aux tribunaux judiciaires pour statuer sur toute instance civile en la matière, sans que le conflit puisse jamais être élevé par l'autorité administrative, est inapplicable en l'espèce ;
Considérant qu'ainsi la procédure de conflit n'est pas entachée de nullité ;
Sur la compétence :
Considérant qu'en l'absence d'une atteinte à la liberté individuelle au sens de l'article 432-4 du code pénal susvisé, les juridictions judiciaires ne sont compétentes pour apprécier les atteintes aux libertés et garanties fondamentales qui résulteraient de l'exécution d'actes administratifs qu'en cas de voie de fait ;
Considérant qu'en ordonnant à l'administration de prendre les mesures ci-dessus énoncées, le tribunal de grande instance de Lyon, statuant en référé, a fait obstacle à l'exécution d'une décision administrative qui, même à supposer cette exécution forcée illégale au regard, notamment, des articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, a été prise dans l'exercice d'un pouvoir conféré à l'administration par l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée et dont l'exécution forcée, autorisée par l'article 26 bis de ce texte, ne saurait constituer une voie de fait ;
Considérant qu'il appartenait dès lors aux seules juridictions administratives de prononcer, éventuellement, le sursis à son exécution ; qu'ainsi, c'est à bon droit que le préfet du Rhône a élevé le conflit ;
Article 1er : Les arrêtés de conflit pris le 26 mars 1994 par le préfet de la région Rhône-Alpes, préfet du Rhône, sont confirmés.
Article 2 : Sont déclarés nuls et non avenus les procédures engagées par MM. X... et Y... contre le préfet du Rhône et le préfet adjoint à la sécurité auprès du préfet du Rhône, devant le tribunal de grande instance de Lyon statuant en référé et les jugements de cette juridiction en date du 25 mars 1994,
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'en assurer l'exécution.