LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 19 juin 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 606 F-D
Pourvoi n° M 23-19.606
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JUIN 2025
1°/ M. [D] [E], domicilié [Adresse 5],
2°/ la société MACIF, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° M 23-19.606 contre l'arrêt rendu le 10 mai 2023 par la cour d'appel de Rouen (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [L] [G], domicilié [Adresse 7],
2°/ à la société Petit Forestier location, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
3°/ à la société Wakam, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], exerçant sous le nom commercial Wakam La Parisienne assurances,
4°/ à la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 6], dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Philippart, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [E] et de la société MACIF, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mai 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Philippart, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 10 mai 2023), le 22 avril 2015, M. [E] et Mme [K], respectivement conducteur et passagère d'une motocyclette assurée par la MACIF, ont été blessés dans un accident de la circulation impliquant une camionnette conduite par M. [G], appartenant à la société Petit Forestier location, et assurée par la société Wakam.
2. Par un jugement définitif du 7 septembre 2016, un tribunal de proximité a déclaré M. [E] non coupable des contraventions de dépassement de véhicule à une intersection de routes et de dépassement dangereux, prévues et réprimées par les articles R. 414-11 et R. 414-4 du code de la route.
3. En 2017, M. [E] et la MACIF ont assigné devant un tribunal judiciaire M. [G], la société Petit Forestier location et la société Wakam, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 6] (la caisse), aux fins de réalisation d'une expertise médicale, de paiement d'une provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice corporel de M. [E] et de remboursement à la MACIF de l'intégralité des sommes versées par elle à la suite de l'accident.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [E] et la MACIF font grief à l'arrêt de dire que le droit à réparation de M. [E] en raison de sa faute est limité à 20 %, de condamner in solidum M. [G], la société Petit Forestier location et la société Parisienne assurances à rembourser à la MACIF les sommes de 1 160 euros au titre des indemnités versées à M. [E] en réparation de son préjudice matériel, de 27 910,75 euros au titre de l'indemnité versée à Mme [K] en réparation de ses préjudices personnels non soumis à recours, et 27 611,25 euros au titre des sommes versées à la caisse au titre des prestations servies à Mme [K], et de débouter la MACIF du surplus de ses demandes à ces titres, alors « que le juge civil ne peut méconnaître ce qui a certainement et nécessairement été jugé par le juge pénal ; que par un jugement définitif, revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée, le juge pénal a jugé que le dépassement entrepris par M. [E] n'était pas fautif ; qu'en jugeant que M. [E] avait commis une faute à l'origine de l'accident survenu alors qu'il avait entrepris le dépassement du véhicule de M. [G] et que ce dernier a brusquement viré à gauche, la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu 1355, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1351, devenu 1355, du code civil :
5. Il résulte de ce texte que l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil est attachée à ce qui a été définitivement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé.
6. L'autorité de la chose jugée au pénal s'étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision.
7. Pour dire que M. [E] a commis une faute civile entraînant la réduction de son droit à indemnisation à hauteur de 80 %, l'arrêt retient que celui-ci a débuté sa manoeuvre de dépassement alors que se trouvait au sol une ligne mixte avec trois flèches de rabattement.
8. Il relève que M. [E] n'a pas fait preuve de toute la prudence et de la patience souhaitées dans la conduite de sa motocyclette alors qu'il roulait sur un axe routier comportant des portions de ligne continue et des intersections notamment à gauche et que le changement de direction du véhicule qui le précédait n'était pas un événement imprévisible.
9. Il ajoute que ces circonstances traduisent l'insuffisance de précaution de M. [E] au regard non seulement des exigences de l'article R. 413-17 du code de la route en matière de maîtrise de son véhicule quant aux difficultés de la circulation et aux obstacles prévisibles, mais aussi de la vigilance attendue de tout conducteur pour sa sécurité et pour celle des autres usagers de la route.
10. En statuant ainsi, alors qu'il avait été définitivement jugé par le juge pénal que M. [E] avait entrepris une manoeuvre de dépassement sur une route prioritaire, en présence d'une ligne au sol en pointillés, après avoir activé son clignotant, en circulant à une vitesse normale, alors que la visibilité était bonne, qu'aucun autre véhicule n'arrivait d'aucun sens, et qu'il pouvait effectuer cette manoeuvre en reprenant sa place dans le courant normal de la circulation sans gêner celle-ci, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé une faute civile de conduite distincte de celles pour lesquelles la relaxe a été prononcée, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme partiellement le jugement du 5 août 2021 et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :
- dit que le droit à réparation de M. [E] en raison de sa faute est limité à 20 %,
- condamne in solidum M. [G], la société Petit Forestier location, et la société Wakam à rembourser à la MACIF les sommes suivantes :
1 160 euros au titre des indemnités versées à M. [E] en réparation de son préjudice matériel,
27 910,75 euros au titre de l'indemnité versée à Mme [K] en réparation de ses préjudices personnels non soumis à recours,
27 611,25 euros au titre des sommes versées à la caisse primaire d'assurance maladie au titre des prestations servies à Mme [K],
et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 10 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne M. [G], la société Petit Forestier location et la société Wakam aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Wakam, M. [G] et la société Petit Forestier location à payer à M. [E] et à la MACIF la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le dix-neuf juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.