LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Y 23-84.270 F-D
N° 00805
RB5
12 JUIN 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 JUIN 2025
M. [K] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, chambre correctionnelle, en date du 4 mai 2023, qui, pour opposition au paiement d'un chèque avec l'intention de porter atteinte aux droits d'autrui, l'a condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis, 2 000 euros d'amende, trois ans d'interdiction d'émettre des chèques, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Jaillon, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [K] [L], les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de la société [1], et les conclusions de M. Fusina, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Jaillon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 13 février 2020, la société [1], ayant pour activité la fabrication de structures métalliques, a déposé plainte auprès du procureur de la République, à la suite de l'opposition au paiement d'un chèque.
3. Il résulte de l'enquête diligentée que cette société a été en relation d'affaires avec la société [2] ([2]) dont le président est M. [K] [L] et qui a pour associée unique la société [3] ([3]), dont le gérant est également M. [L].
4. La société [1] a accepté la conclusion d'un nouveau contrat, dont l'exécution a été précédée, au regard des précédents d'impayés, de la transmission, par M. [L], d'un chèque d'un montant de 69 500 euros, correspondant au montant total de la nouvelle commande, tiré sur le compte de la société [3].
5. A la suite de l'envoi par la société [2] de chèques revenus impayés, la société [1] a mis à l'encaissement le chèque de 69 500 euros qui lui a été retourné sans provision au motif d'une opposition pour utilisation frauduleuse.
6. Une convocation devant le tribunal correctionnel a été délivrée à M. [L] du chef d'opposition au paiement d'un chèque avec l'intention de porter atteinte aux droits d'autrui.
7. Le 29 juin 2021, le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable de ces faits et condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, cinq ans d'interdiction d'émettre des chèques et il a prononcé sur les intérêts civils.
8. M. [L] puis le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
9. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [L] à payer à la société [1] la somme de 69 500 euros en réparation de son préjudice financier, alors « que l'action civile en remboursement de la créance que la remise du chèque était destinée à éteindre ne peut être dirigée que contre le débiteur lui-même ; qu'en condamnant M. [L] au paiement d'une somme égale au montant du chèque litigieux sous le couvert de dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice particulier causé par l'infraction, quand elle ordonnait ainsi le remboursement de la créance contractuelle préexistante fondée sur le cautionnement consenti par la société [3] à la société [1], et dont la société [3], placée postérieurement en liquidation judiciaire, était la seule débitrice, la cour d'appel a violé les articles L. 163-9 du code monétaire et financier, 2 et 3 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 163-9 du code monétaire et financier, 2 et 3 du code de procédure pénale :
11. Il se déduit de ces textes que l'action civile en remboursement de la créance que la remise du chèque était destinée à éteindre ne peut être dirigée que contre le débiteur lui-même.
12. Pour condamner le prévenu à payer à la société [1] la somme de 69 500 euros en réparation de son préjudice financier, l'arrêt attaqué énonce que le tribunal correctionnel a fait droit à la demande en requalifiant son fondement sur la responsabilité délictuelle du prévenu, à l'exclusion de toute responsabilité contractuelle.
13. Les juges retiennent qu'il est admis que le dirigeant est tenu personnellement à réparer les dommages commis envers les tiers qui seraient la conséquence d'une faute détachable de ses fonctions et qu'il n'est pas contestable que l'opposition frauduleuse de M. [L] a eu pour conséquence de priver la société [1] du règlement du chèque impayé à concurrence de 69 500 euros.
14. En se déterminant par de tels motifs, dont il ressort que, sous le couvert de dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice particulier causé par l'infraction, le juge a ordonné le remboursement d'une créance contractuelle préexistante, dont la seule débitrice était la société [3], la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.
15. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, en date du 4 mai 2023, mais en ses seules dispositions relatives aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille vingt-cinq.