LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 11 juin 2025
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 641 F-D
Pourvoi n° A 24-10.285
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 JUIN 2025
Mme [C] [Z], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 24-10.285 contre l'arrêt rendu le 9 novembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant à l'association Institut d'éducation et des pratiques citoyennes, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
L'association Institut d'éducation et des pratiques citoyennes a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal, invoque à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident, invoque à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chiron, conseiller référendaire, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [Z], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de l'association Institut d'éducation et des pratiques citoyennes, après débats en l'audience publique du 13 mai 2025 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Chiron, conseiller référendaire rapporteur, Mme Lacquemant, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 novembre 2023), Mme [Z] a été engagée en qualité de psychologue le 4 janvier 2016 par l'association Institut d'éducation et des pratiques citoyennes par contrat à durée indéterminée à temps partiel. Le 26 septembre 2016, un second contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, s'ajoutant au premier, a été conclu entre les parties.
2. Le 26 octobre 2016, l'employeur a notifié la rupture de la période d'essai du second contrat, à effet du 3 novembre suivant.
3. Le 27 septembre 2019, la salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail et a saisi le 9 janvier 2020 la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident de l'employeur
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par la salariée produirait les effets d'un licenciement nul, de le condamner à lui verser des sommes à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement nul, alors :
« 1°/ que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ; qu'il appartient au juge prud'homal, tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit applicables, de restituer aux conventions des parties leur exacte qualification ; qu'en présence de deux contrats de travail successifs conclus entre les mêmes parties, la période d'essai stipulée dans le second contrat ne peut être qu'une période probatoire dont la rupture a pour effet de replacer le salarié dans ses fonctions antérieures ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt attaqué et des conclusions concordantes des parties qu'ont été conclus entre l'IEPC et Mme [Z] un premier contrat de travail à temps partiel du 4 janvier 2016 pour un poste de psychologue au sein de la crèche A petits pas, puis un second contrat de travail à temps partiel en date du 26 septembre 2016 assorti d'une période d'essai de deux mois pour occuper en sus des premières des fonctions de psychologue au sein de la crèche en création Les Bobinos ; qu'après la rupture de ce second contrat au cours de la période d'essai, la relation de travail a continué à s'exécuter aux conditions du premier contrat du 4 janvier 2016 jusqu'à sa rupture à l'initiative de la salariée en date du 27 septembre 2019 ; qu'en retenant [pour] conclure à une modification unilatérale illicite de la durée du travail de Mme [Z] par l'IEPC, juger caractérisé un harcèlement moral et décider que la prise d'acte de la rupture par la salariée produirait les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, que "Bien que l'association Institut d'éducation et des pratiques citoyennes ait admis une erreur dans la rédaction d'un nouveau contrat de travail à temps partiel, force est de constater qu'aucune période probatoire n'a été soumise au consentement de la salariée, qu'aucun motif ne lui a été exposé au soutien de la réduction de son temps de travail, qu'elle n'a d'ailleurs pas expressément acceptée", quand il lui appartenait de requalifier en période probatoire la période d'essai convenue aux termes du second contrat de travail, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1 du code du travail et 12 du code de procédure civile ;
2°/ que la rupture de la période probatoire stipulée dans un second contrat entre les mêmes parties ou dans un avenant au contrat initial a pour effet de replacer le salarié dans ses fonctions antérieures et, partant, ne constitue pas une modification unilatérale du contrat de travail devant être soumise à l'acceptation du salarié ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé derechef les articles L. 1221-1 du code du travail et 12 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en statuant de la sorte sans rechercher, comme l'y invitait l'exposante, si la stipulation d'une période probatoire ne se justifiait pas, nonobstant l'intitulé identique des fonctions, par l'affectation de la salariée sur une nouvelle structure à l'occasion de son ouverture, et ses fonctions d'accompagnement d'une nouvelle équipe, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel, qui a constaté que le contrat à durée indéterminée à temps partiel du 26 septembre 2016 sur la crèche associative de Pantin « Les Bobinos » s'ajoutait à celui du 4 janvier l'affectant à la crèche « A petits pas », et fait ainsi ressortir, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que ce contrat n'avait pas été conclu pour pourvoir un nouvel emploi en remplacement des fonctions précédemment occupées, mais constituait un accroissement du volume horaire qui lui était confié, en a exactement déduit, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche du moyen, que la réduction du temps de travail, non acceptée par la salariée, constituait une modification unilatérale de son contrat de travail.
6. Le moyen, inopérant en ses deux premières branches, n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi principal de la salariée
Enoncé du moyen
7. La salariée fait grief à l'arrêt de constater la prescription de sa demande de rappel de salaire et de limiter les sommes respectivement allouées à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement nul, alors « qu'il résulte de la combinaison des articles L. 3245-1 et L. 3242-1 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible ; que pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré ; que pour déclarer prescrite la demande de rappel de salaires, l'arrêt retient qu' "en l'espèce, la réduction de moitié du temps de travail de Mme [Z] a été notifiée par courrier du 26 octobre 2016, ayant pris effet en novembre suivant ; que le point de départ de la prescription de l'action doit donc être fixé au 30 novembre 2016, date à laquelle son salaire du mois était exigible" ; qu'en se prononçant ainsi, par seule référence à la date à laquelle le premier salaire était exigible, quand il lui appartenait de vérifier la date d'exigibilité de chacune des créances de salaire, la cour d'appel a violé les articles précités. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3242-1 et L. 3245-1 du code du travail :
8. Aux termes du second de ces textes, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
9. Il résulte de la combinaison des articles L. 3245-1 et L. 3242-1 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. Pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré.
10. Pour constater la prescription de la demande de rappel de salaire de la salariée, l'arrêt relève que la réduction de moitié du temps de travail notifiée par courrier du 26 octobre 2016, avait pris effet en novembre suivant, et en conclut que le point de départ de la prescription de l'action doit donc être fixé au 30 novembre 2016, date à laquelle son salaire du mois était exigible, de sorte que l'action de la salariée introduite par la saisine du conseil de prud'hommes le 9 janvier 2020 était prescrite.
11. En statuant ainsi, alors que le délai de prescription de l'action en paiement des salaires court à compter de la date d'exigibilité de chacune des créances de salaire dues jusqu'à la rupture du contrat de travail, intervenue le 27 septembre 2019, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt condamnant l'employeur au paiement de sommes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de l'indemnité conventionnelle de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement nul entraîne la cassation du chef de dispositif ordonnant la remise par l'employeur d'une attestation Pôle emploi et d'un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la teneur de l'arrêt, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
13. La cassation des chefs de dispositif constatant la prescription de la demande de rappel de salaire et condamnant l'employeur à payer diverses indemnités n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il constate la prescription de la demande de rappel de salaire de Mme [Z], condamne l'association Institut d'éducation et des pratiques citoyennes à payer à Mme [Z] les sommes de 1 485,36 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 148,53 euros au titre des congés payés afférents, 1 392,53 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, ordonne la remise par l'association Institut d'éducation et des pratiques citoyennes à Mme [Z] d'une attestation Pôle emploi et d'un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la teneur de l'arrêt, au plus tard dans le mois suivant son prononcé, l'arrêt rendu le 9 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne l'association Institut d'éducation et des pratiques citoyennes aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'association Institut d'éducation et des pratiques citoyennes et la condamne à payer à Mme [Z] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le onze juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.