LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 24-81.662 F-D
N° 00737
ODVS
3 JUIN 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 3 JUIN 2025
Mme [B] [T] et M. [C] [T] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 8 novembre 2023, qui, l'un et l'autre pour travail dissimulé, obstacle à fonctions, infractions aux règles d'hygiène et de sécurité dans le travail et non-déclaration d'un local affecté à l'hébergement collectif, le second, en outre, pour hébergement de travailleur dans un local non conforme, a condamné M. [C] [T] à trois ans d'emprisonnement avec sursis probatoire, Mme [B] [T] à deux ans d'emprisonnement avec sursis probatoire et 3 000 euros d'amende avec sursis, et les deux prévenus, chacun, à soixante amendes de 250 euros chacune, dont trente amendes avec sursis, une interdiction de gérer, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [B] [T] et M. [C] [T], les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de MM. [N] [V], [K] et [D] [M], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Un contrôle opéré le 14 février 2015 sur un chantier de rénovation d'un château appartenant à une société civile immobilière familiale détenue notamment par M. [C] [T] et sa soeur, Mme [B] [T], a conduit au constat de diverses infractions mettant notamment en cause quatre sociétés, dont l'une dirigée par Mme [T] et les trois autres, parmi lesquelles une immatriculée en Roumanie, gérées en droit ou en fait par M. [T].
3. Les agents de contrôle ont constaté la présence sur les lieux de vingt personnes de nationalité roumaine en posture de travail, parmi lesquelles dix-sept en situation apparente de détachement international.
4. À l'issue de l'enquête, M. [T] a été poursuivi pour travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, obstacle aux fonctions d'inspecteur du travail, non-déclaration d'un local affecté à l'hébergement collectif, hébergement de travailleurs dans un local non conforme, mise à disposition de travailleurs d'équipements de travail non conformes aux règles de sécurité, défaut de mise en place de mesures de protection collectives, défaut de vérification d'installations électriques mises à la disposition de salariés.
5. Mme [T] a pour sa part été poursuivie des mêmes chefs et, en outre, pour réalisation d'un bâtiment sans désignation, par le maître d'ouvrage, d'un coordinateur de sécurité.
6. Par jugement du 3 décembre 2020, le tribunal correctionnel a notamment déclaré les deux prévenus coupables des infractions qui leur étaient reprochées et a condamné M. [T] à trois ans d'emprisonnement avec sursis probatoire, soixante amendes de 250 euros dont trente amendes avec sursis, une interdiction de gérer et la confiscation des objets saisis.
7. Mme [T] a été condamnée à deux ans d'emprisonnement avec sursis probatoire et aux mêmes autres peines que ci-dessus.
8. Les deux prévenus, puis le ministère public, ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens et le deuxième moyen, pris en ses première et troisième branches, en ce que cette dernière branche est proposée pour M. [T]
9. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, en ce que cette dernière est proposée pour Mme [T]
Énoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. et Mme [T] coupables du délit d'obstacle à l'exercice des fonctions d'inspecteur ou de contrôleur du travail et a prononcé sur les peines et les intérêts civils, alors :
« 2°/ qu'en retenant, pour déclarer Mme [T] coupable du délit d'obstacle, qu'elle n'avait pas communiqué « les autorisations de travail permettant aux ressortissants roumains d'exercer une activité salariée en France, les bulletins de paie de chaque salarié détaché ainsi que les documents attestant du paiement effectif du salaire et ceux indiquant la durée du travail », quand ces documents ne sont en possession que de l'employeur des salariés et quand elle retenait elle-même qu'elle ne pouvait pas être « considér[ée] comme employeur des personnes travaillant sur le chantier », la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6, § 1er, et 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-3, 111-4, 121-1 du code pénal et L. 8114-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 8114-1 du code du travail, dans sa version en vigueur du 1er mai 2008 au 1er juillet 2016, et 593 du code de procédure pénale :
11. Commet le délit défini par le premier de ces textes quiconque met obstacle à l'accomplissement des devoirs d'un inspecteur ou d'un contrôleur du travail.
12. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
13. Pour déclarer Mme [T] coupable du délit susvisé, l'arrêt attaqué énonce que les salariés étaient tous dirigés par M. [T] et que la société gérée par la prévenue, qui n'employait aucun salarié, avait le statut de maître d'ouvrage.
14. Les juges relèvent qu'en cette qualité, Mme [T] était tenue de communiquer aux agents de contrôle les pièces demandées par ces derniers, figurant dans une liste annexée au dossier de la procédure.
15. Ils retiennent que Mme [T] n'a communiqué aucun des documents visés à l'article R. 1263-1 du code du travail, dont les autorisations de travail permettant aux ressortissants roumains d'exercer une activité salariée en France, les bulletins de paie de chaque salarié détaché ainsi que les documents attestant du paiement effectif du salaire et ceux indiquant la durée du travail.
16. En se déterminant par ces motifs, pour partie contradictoires, alors que Mme [T], qui n'était l'employeur, en droit ou en fait, d'aucun des salariés concernés, ne pouvait être condamnée à raison du refus de produire des documents dont la remise ne pouvait être exigée que de l'employeur, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'autre grief.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de Mme [T] du chef d'obstacle aux fonctions de contrôleur ou d'inspecteur du travail et aux peines prononcées contre elle. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 8 novembre 2023, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de Mme [T] du chef d'obstacle aux fonctions de contrôleur ou d'inspecteur du travail et aux peines prononcées contre elle, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille vingt-cinq.