LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° X 23-84.729 F-D
N° 00710
ECF
28 MAI 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 28 MAI 2025
M. [U] [G] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 15 mai 2023, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 8 avril 2021, pourvoi n° 20-80.530), pour escroquerie en récidive et usage de faux, l'a déclaré coupable et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Wyon, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de M. [U] [G], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 avril 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Wyon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Pinna, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [U] [G] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel, notamment pour escroquerie, faux et usage.
3. Le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable de ces délits par jugement du 18 mai 2018.
4. Le prévenu et le ministère public ont fait appel de cette décision. Par arrêt du 2 décembre 2019, la cour d'appel a déclaré M. [G] coupable de faux et usage et de tentative d'escroquerie, et a prononcé sur les intérêts civils.
5. Sur pourvoi de M. [G], la chambre criminelle de la Cour de cassation, par arrêt du 8 avril 2021, a cassé cette décision, et renvoyé l'affaire devant la même cour d'appel, autrement composée.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen
Énoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relevé l'état de récidive légale à l'égard de M. [G] pour les faits d'escroquerie relatifs à la perception de la somme de 79 900 euros à titre de commission, déclaré M. [G] coupable des faits d'escroquerie relatifs à la perception de cette somme, en récidive, déclaré M. [G] coupable des faits d'usage de faux entre courant 2010 et courant 2013 au préjudice des sociétés [1], alors :
« 1°/ que l'arrêt de cassation du 8 avril 2021 avait censuré le premier arrêt d'appel en rappelant : « des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale fussent-ils concomitants » ; cette censure était ainsi explicitement fondée sur la jurisprudence établie de la Chambre criminelle antérieure à son revirement consacré par ses arrêts du 15 décembre 2021 (n° 21-81.864) ; l'arrêt statuant sur renvoi, par les motifs précités, se fonde au contraire expressément sur cette jurisprudence nouvelle ; en soumettant ainsi M. [G] dans la même procédure, à deux jurisprudences contraires, et en le privant du bénéfice de la doctrine jurisprudentielle qui lui avait été légalement appliquée à la date de son premier pourvoi, la Cour d'appel a violé les principes relatifs à la loyauté du procès, à la prévisibilité de la loi pénale, et aux règles du procès équitable, violant ainsi l'article préliminaire du code de procédure pénale et l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ qu'en statuant de la sorte, la Cour d'appel a appliqué au prévenu une jurisprudence plus sévère, en méconnaissance du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, de l'article 112-1 du code pénal et de l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
8. Le moyen qui critique, sous couvert d'un grief pris de la prévisibilité de la loi pénale, l'application au cas d'espèce du principe ne bis in idem est nouveau et comme tel irrecevable.
Mais sur le deuxième moyen
Énoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que, statuant sur renvoi de cassation, il n'a pas prononcé sur la peine, alors « que l'arrêt de cassation partielle du 8 avril 2021 cassait et annulait le précédent arrêt « en ses seules dispositions pénales et civiles afférentes aux poursuites des chefs d'escroquerie et de tentative de ce délit relatives à la perception de la somme de 79 900 ¿ à titre de commissions et du chef d'usage de faux commis entre courant 2010 et courant 2013 au préjudice des sociétés [1], toutes autres dispositions étant expressément maintenues » ; ce dispositif s'entend nécessairement d'une cassation sur la peine prononcée par la première Cour d'appel, dès lors que la déclaration de culpabilité est au moins pour partie remise en cause ; en s'abstenant de se prononcer sur la peine, et en supposant ainsi définitive la peine prononcée par la première Cour d'appel, dont l'arrêt a été pourtant annulé sur ce point, la Cour d'appel de renvoi a méconnu la portée de la cassation et l'étendue de ses pouvoirs, et violé les articles 464, 512, 593, 609 et 612 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 567, 609 et 612 du code de procédure pénale :
10. Il résulte de ces textes que la juridiction de renvoi est saisie dans la limite de la cassation prononcée.
11. L'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'escroquerie en récidive et d'usage de faux.
12. En omettant de statuer sur les peines, alors que la Cour de cassation avait prononcé l'annulation du précédent arrêt en ses dispositions pénales et civiles afférentes à une partie des faits poursuivis, qui comprenait nécessairement la cassation de l'intégralité des peines, la cour d'appel a méconnu les termes de sa saisine.
13. La cassation est, dès lors, encourue.
Et sur le quatrième moyen
Énoncé du moyen
14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a renvoyé le jugement de l'action civile « à l'audience sur intérêts civils de la Cour d'appel de Douai », sans autre précision, alors « que le cours de la justice pénale, fût-il limité au jugement de l'action civile, ne peut être interrompu ; en renvoyant l'action civile à une audience dont la date n'est pas précisée, la Cour d'appel a violé les articles 4 du code civil, 461 du code de procédure pénale et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, et s'est abstenue d'exercer sa compétence. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 4 du code civil, 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et 464 du code de procédure pénale :
15. Les juges ne sauraient, sans interrompre le cours de la justice, ordonner un sursis à statuer d'une durée indéterminée.
16. Le juge correctionnel, lorsqu'il ordonne, après avoir statué sur l'action publique, un renvoi à une audience ultérieure sur les intérêts civils, doit fixer la date de l'audience à laquelle il sera statué sur l'action civile dont il est saisi.
17. Après avoir prononcé sur la culpabilité de M. [G], puis déclaré les constitutions des parties civiles recevables et le prévenu entièrement responsable de leur préjudice, l'arrêt attaqué renvoie le dossier à une audience sur intérêts civils pour qu'il soit statué sur l'indemnisation de celles-ci.
18. En prononçant ainsi, sans fixer le terme à l'issue duquel l'affaire serait à nouveau appelée, la cour d'appel a méconnu les principes ci-dessus énoncés.
19. Dès lors, la cassation est encore encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
20. La cassation à intervenir ne concerne l'arrêt attaqué qu'en ce qu'il a omis de prononcer sur les peines et de fixer une date de renvoi de l'affaire sur l'action civile. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 15 mai 2023, mais uniquement en ce qu'il a omis de prononcer sur les peines et de fixer une date de renvoi de l'affaire sur l'action civile, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Amiens, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mai deux mille vingt-cinq.