LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 27 mai 2025
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 554 F-D
Pourvoi n° E 24-12.382
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 27 MAI 2025
La société Clinique Rech, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 24-12.382 contre l'arrêt rendu le 8 février 2024 par la cour d'appel de Montpellier (2e chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [P] [K], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
M. [K] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal, invoque, à l'appui de son recours, quatre moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident, invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Laplume, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Clinique Rech, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [K], après débats en l'audience publique du 29 avril 2025 où étaient présentes Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Laplume, conseiller référendaire rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 8 février 2024), M. [K] a été engagé en qualité de médecin de garde, classé au coefficient 434 de la grille « médecin généraliste » de la convention collective nationale de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002 applicable à la relation de travail, le 28 juin 2005 par la société Clinique Rech.
2. A compter de 2011, il a occupé des mandats de représentant du personnel.
3. Par avenant du 21 mars 2013, le salarié a été affecté au poste de médecin coordonnateur et a été soumis à une convention individuelle de forfait en jours.
4. Le 25 février 2019, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de l'exécution du contrat de travail.
5. Placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 11 mai 2019, il a été déclaré inapte à son poste le 23 septembre 2019 puis licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 27 décembre 2019.
Examen des moyens
Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens du pourvoi principal de l'employeur et le moyen du pourvoi incident du salarié
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
7. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer la somme de 4 896,45 euros à titre d'indemnité réparant le préjudice résultant d'une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions du forfait annuel en jours, alors « que l'article L. 3121-61 du code du travail dispose que "Lorsqu'un salarié ayant conclu une convention de forfait en jours perçoit une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées, il peut, nonobstant toute clause conventionnelle ou contractuelle contraire, saisir le juge judiciaire afin que lui soit allouée une indemnité calculée en fonction du préjudice subi, eu égard notamment au niveau du salaire pratiqué dans l'entreprise, et correspondant à sa qualification" ; qu'en l'espèce, si la cour d'appel a affirmé qu'elle disposait d'éléments suffisants pour fixer le montant de l'indemnité correspondant au préjudice subi par le salarié en raison d'une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées à la somme de 4 896,45 euros, aucun de ses motifs ne caractérise concrètement une disproportion entre la rémunération et les sujétions du travail, la cour d'appel s'étant exclusivement attachée au contenu de la convention de forfait "qui serait privée d'effet" et à l'insuffisance des éléments de preuve fournis par l'employeur quant au suivi des temps de travail ; qu'il en résulte que la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3121-61 (anciennement L. 3121-47) du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3121-61 du code du travail :
8. Aux termes de ce texte, lorsqu'un salarié ayant conclu une convention de forfait en jours perçoit une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées, il peut, nonobstant toute clause conventionnelle ou contractuelle contraire, saisir le juge judiciaire afin que lui soit allouée une indemnité calculée en fonction du préjudice subi, eu égard notamment au niveau du salaire pratiqué dans l'entreprise, et correspondant à sa qualification.
9. Pour condamner l'employeur à payer au salarié une somme à titre d'indemnité réparant le préjudice résultant d'une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions du forfait annuel en jours, l'arrêt retient que la convention individuelle de forfait en jours, qui ne définit pas précisément le nombre de journées travaillées pour l'ensemble des missions stipulées au contrat et dont les conditions de mise en oeuvre s'accompagnent à la fois d'une absence de mise en place d'élément de contrôle fiable de la durée de travail et d'une absence d'entretien annuel sur la charge de travail ou de tout dispositif permettant de s'assurer que cette charge reste raisonnable, était privée d'effet et que les conditions d'exécution de cette convention caractérisent une utilisation abusive de la convention individuelle de forfait en jours depuis février 2018.
10. Il ajoute que pour autant, et nonobstant l'absence de mise en place par l'employeur d'élément de quantification fiable de la charge de travail du salarié, dont il résulte des pièces qu'il produit qu'elle ne se limitait pas au nombre d'actes médicaux facturés, l'évaluation qu'il fait de son préjudice entre février 2018 et mai 2019 sur la base d'une durée contractuelle de cent quarante-cinq jours de travail, limitée aux seuls soins cliniques, ne permet pas non plus d'en évaluer précisément l'étendue. Il conclut que la cour dispose d'éléments suffisants pour fixer le montant de l'indemnité correspondant au préjudice subi par le salarié en raison d'une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées eu égard notamment au niveau du salaire pratiqué dans l'entreprise, et correspondant à la qualification du salarié, à la somme de 4 896,45 euros.
11. En se déterminant ainsi, sans caractériser en quoi la rémunération que le salarié percevait était manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui étaient imposées, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation prononcée n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Clinique Rech à payer à M. [K] la somme de 4 896,45 euros à titre d'indemnité réparant le préjudice résultant d'une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions du forfait annuel en jours, l'arrêt rendu le 8 février 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne M. [K] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le vingt-sept mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.