LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 25-81.595 F-B
S 25-81.742
N° 00838
ECF
21 MAI 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 21 MAI 2025
M. [O] [F] a formé des pourvois :
- contre l'arrêt n° 86 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 3 février 2025, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de meurtre avec préméditation et en bande organisée ainsi que tentative, en récidive, usage de fausses plaques d'immatriculation, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure (pourvoi n° 25-81.742) ;
- contre l'arrêt n° 85 de ladite chambre de l'instruction, en date du même jour, qui, dans la même procédure, l'a renvoyé devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône, sous l'accusation de meurtre avec préméditation et en bande organisée ainsi que tentative, en récidive (pourvoi n° 25-81.595).
Par ordonnance du 4 avril 2025, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit l'examen immédiat du pourvoi n° 25-81.742.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de M. [O] [F], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Pinna, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte des arrêts attaqués et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 12 mars 2019, à [Localité 1], plusieurs personnes, armées et cagoulées, ont tué [M] [G] et blessé grièvement son frère, M. [E] [G].
3. Un mandat d'arrêt a été émis à l'encontre de M. [O] [F], le 2 septembre 2021, des chefs de meurtre avec préméditation et en bande organisée, tentative de meurtre avec préméditation et en bande organisée, participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation de crimes en bande organisée, destruction ou détérioration en bande organisée du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes, infractions à la législation sur les armes, usage de fausses plaques d'immatriculation, recel de vol.
4. M. [F] a été interpellé, le 13 octobre 2021, sur l'île de [Localité 2] et son extradition a été accordée, le 29 septembre 2023, par les autorités colombiennes.
5. Il a été remis aux autorités françaises, le 12 avril 2024, et a été présenté, le 15 avril suivant, au magistrat instructeur qui a procédé à son interrogatoire de première comparution et à sa mise en examen.
6. Par requête du 26 août 2024, M. [F] a soulevé la nullité d'actes de procédure.
7. Par ordonnance du 1er octobre 2024, le juge d'instruction l'a renvoyé devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône pour meurtre avec préméditation et en bande organisée ainsi que tentative, en récidive. L'intéressé a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, dirigé contre l'arrêt n° 86
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité de la procédure tiré de la violation des droits de la défense au cours de l'interrogatoire réalisé en Colombie, alors « que si le juge français n'a pas qualité pour apprécier la régularité d'un acte effectué sur commission rogatoire internationale à l'étranger, il lui incombe de s'assurer que cet acte n'a pas été accompli en violation des droits de la défense, ni d'aucun principe général du droit ; relève des droits de la défense le droit pour toute personne mise en cause dans une procédure pénale d'être assistée du défenseur de son choix et d'avoir l'accès au complet dossier de la procédure ; en l'espèce, le mis en examen a soulevé la nullité de son interrogatoire réalisé en Colombie par le juge d'instruction dans le cadre d'une commission rogatoire internationale en raison notamment du fait que « si un avocat colombien était présent, son conseil désigné par lui durant son interrogatoire n'était pas présent » et « l'avocat colombien n'avait pas accès à la procédure » ; pour écarter la nullité, la chambre de l'instruction énonce qu'« il ressort du procès-verbal d'audition qu'[O] [F] était assisté d'un avocat, d'un interprète pour communiquer avec lui et qu'il a été informé de son droit au silence et a pu le faire valoir, refusant de répondre à la plupart des questions posées en attendant son retour en France » ; en statuant par ces motifs inopérants, sans s'expliquer, comme elle y était invitée, sur l'atteinte aux droits de la défense résultant de l'absence de l'avocat choisi et du défaut de mise à disposition du dossier de la procédure alléguée par le mis en examen, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 93-1 et préliminaire du code de procédure pénale, et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, en ce qu'il concerne l'absence de l'avocat choisi
9. Il résulte des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, que M. [F] n'a pas demandé à être assisté, lors de l'interrogatoire du 13 septembre 2023, par un autre avocat que celui présent durant cet acte.
10. Le grief est dès lors inopérant.
Sur le moyen, en ce qu'il concerne l'accès de l'avocat au dossier
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
11. Selon ce texte, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
12. Pour écarter le moyen de nullité de l'interrogatoire du 13 septembre 2023 et des actes subséquents, l'arrêt attaqué constate d'abord que l'audition a été effectuée dans le cadre de l'entraide internationale, sur le fondement de l'article 93-1 du code de procédure pénale, le magistrat s'étant déplacé en Colombie pour y procéder.
13. Puis, la chambre de l'instruction énonce que le juge français n'a pas qualité pour apprécier la régularité d'un acte effectué sur commission rogatoire internationale à l'étranger, même s'il doit s'assurer que cet acte n'a pas été accompli en violation des droits de la défense, ni d'aucun principe général du droit.
14. Les juges constatent qu'en l'espèce, l'audition s'est déroulée conformément aux règles de l'Etat requis, seules applicables en matière d'entraide internationale en l'absence de convention internationale en stipulant autrement.
15. Ils ajoutent qu'il ressort du procès-verbal d'audition que M. [F] était assisté d'un avocat ainsi que d'un interprète, a été informé de son droit au silence et l'a fait valoir en refusant de répondre à la plupart des questions, dans l'attente de son retour en France.
16. Ils en déduisent qu'il ne résulte pas de la procédure que cet interrogatoire aurait été entaché d'une violation des droits de la défense ou d'un principe général du droit.
17. En statuant ainsi, sans s'expliquer sur l'absence, alléguée, de mise à disposition du dossier de la procédure, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
18. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le deuxième moyen, dirigé contre l'arrêt n° 86
Enoncé du moyen
19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité de la procédure tiré du versement de l'interrogatoire de M. [F] réalisé en Colombie sans autorisation de l'Etat colombien, alors « que le principe de spécialité de la commission rogatoire internationale, qui implique l'obligation pour l'Etat requérant de n'utiliser les pièces qui en proviennent que dans l'instruction de l'infraction déterminée pour laquelle elles ont été accordées, est lié à la fois à la compétence des juridictions et aux règles de droit international, et constitue par conséquent une cause de nullité d'ordre public pouvant être soulevée par toute personne sans avoir à démontrer l'existence d'un grief ; en l'espèce, l'arrêt constate qu'en dépit des dispositions de l'article 8 de la Convention franco-colombienne qui imposait au juge d'instruction de recueillir l'accord préalable des autorités colombiennes pour verser à la procédure 922/18 des éléments issus de la procédure 922/22 et résultant de la coopération internationale avec la Colombie, « il ne résulte pas du dossier d'instruction que cette autorisation ait été sollicitée par les autorités françaises » ; il rejette cependant la nullité au motif que « l'intéressé ne fait état d'aucun grief résultant du versement des pièces relatives à la procédure 922/22 dans la procédure 922/18, d'aucun préjudice qui en serait résulté pour lui » ; en statuant ainsi, quand le versement opéré entachait la procédure d'une nullité d'ordre public, laquelle pouvait dès lors être soulevée par le mis en examen sans avoir à démontrer l'existence d'un grief, la chambre de l'instruction a violé les articles 171 et 802 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 8.3 de la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Colombie :
20. Aux termes de ce texte, la partie requérante ne peut divulguer ou utiliser une information ou une pièce à conviction communiquée à des fins autres que celles qui auront été stipulées dans la demande sans l'accord préalable de l'autorité centrale de la partie requise.
21. Pour écarter le moyen de nullité tiré du versement au dossier de pièces issues d'une autre procédure, suivie notamment contre M. [F], l'arrêt énonce que l'article 8 de la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et la Colombie impliquait la nécessité, pour le magistrat instructeur, de recueillir l'accord préalable des autorités colombiennes pour verser dans la procédure 922/18 des éléments issus de la procédure 922/22 et résultant de la coopération internationale avec la Colombie.
22. Les juges ajoutent qu'il ne résulte pas du dossier d'instruction que cette autorisation ait été sollicitée par les autorités françaises.
23. Ils retiennent que, toutefois, l'intéressé ne fait état d'aucun grief ou préjudice résultant du versement de ces pièces.
24. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé.
25. En effet, les autorités judiciaires françaises, lorsqu'elles utilisent les informations qui leur ont été communiquées dans le cadre d'une convention d'entraide judiciaire en matière pénale, sont tenues de respecter les règles fixées par cette convention, qui obligent les Etats parties dans leurs rapports réciproques.
26. Il s'en déduit que la méconnaissance des dispositions susvisées, relevant de la souveraineté de l'Etat requis, constitue une nullité d'ordre public, à laquelle les dispositions de l'article 802 du code de procédure pénale sont étrangères.
27. La cassation est par conséquent de nouveau encourue.
Portée et conséquences de la cassation
28. La cassation à intervenir de l'arrêt n° 86 ne concerne que les dispositions rejetant les moyens de nullité de l'interrogatoire du 13 septembre 2023 et du versement de pièces issues d'une autre procédure ainsi que des actes subséquents. Les autres dispositions seront donc maintenues.
29. La cassation de l'arrêt n° 86 de la chambre de l'instruction, prononçant sur la demande d'annulation de pièces de la procédure, entraîne, par voie de conséquence, sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen, la cassation de l'arrêt n° 85 de cette même chambre de l'instruction, ordonnant la mise en accusation de M. [F] devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé n° 86 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 3 février 2025, mais en ses seules dispositions ayant rejeté les moyens de nullité de l'interrogatoire du 13 septembre 2023 et du versement de pièces issues d'une autre procédure ainsi que des actes subséquents, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
CASSE et ANNULE, par voie de conséquence, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé n° 85 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 3 février 2025 ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite des arrêts annulés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mai deux mille vingt-cinq.