LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 14 mai 2025
Cassation
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 509 F-D
Pourvoi n° P 24-14.598
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 MAI 2025
La société Astek Technology, société par action simplifiée à associé unique, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la Société Intitek For Industry, a formé le pourvoi n° P 24-14.598 contre l'arrêt rendu le 7 mars 2024 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à M. [Y] [R], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cavrois, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Astek Technology, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [R], après débats en l'audience publique du 2 avril 2025 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Cavrois, conseiller rapporteur, Mme Deltort, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 7 mars 2024), M. [R] a été engagé en qualité de consultant, statut cadre par la société Intitek ingénierie le 3 février 2015. Le contrat de travail stipulait que le salarié relevait de la modalité 2, prévue à l'article 3 chapitre II de l'accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail annexé à la convention collective nationale du personnel des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil du 15 décembre 1987, dite Syntec.
2. Le contrat de travail a été transféré à la société Intitek For Industry aux droits de laquelle vient la société Astek Technology.
3. Après avoir demandé à l'employeur de régulariser sa rémunération, en application de la modalité 2 indiquée dans son contrat de travail, le salarié lui a, le 10 septembre 2018, adressé sa démission.
4. Le 10 mai 2019, il a saisi la juridiction prud'homale aux fins de faire juger que sa démission produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir paiement de rappels de salaire.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer diverses sommes à titre de rappel de salaire et de congés payés afférents, d'ordonner la remise de bulletins de paie rectifiés, de requalifier la démission en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner au paiement de dommages-intérêts au titre de l'exécution fautive du contrat de travail et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « qu'aux termes de l'article 3 du chapitre II de l'accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail et annexé à la convention collective nationale Syntec, qui instaure une convention de forfait en heures sur une base hebdomadaire pour les salariés relevant des modalités de réalisation de missions (modalités 2), lesdites modalités s'appliquent aux salariés non concernés par les modalités standard ou les réalisations de missions avec autonomie complète et tous les ingénieurs et cadres sont a priori concernés, à condition que leur rémunération soit au moins égale au plafond de la sécurité sociale ; qu'il en résulte que seuls les cadres qui bénéficient d'une rémunération au moins égale au plafond de la sécurité sociale peuvent conclure une convention de forfait en heures relevant des modalités 2 et que le salarié ayant conclu une telle convention, sans percevoir une rémunération au moins égale au plafond de la sécurité sociale, peut invoquer la nullité ou l'inopposabilité de cette convention et prétendre à l'application des règles de droit commun de décompte et de rémunération du temps de travail ; qu'en revanche, il ne peut se prévaloir de la conclusion d'une convention de forfait en heures relevant des modalités 2 pour réclamer le paiement d'un salaire égal au plafond de la sécurité sociale, l'accord de branche du 22 juin 1999 ne faisant pas obligation à l'employeur d'assurer aux salariés avec lesquels il conclut un convention de forfait en jours un tel niveau de rémunération ; qu'en jugeant au contraire, que "le salarié qui s'est vu soumettre à cette convention, quoique ne remplissant pas une des conditions, a le choix soit de solliciter la nullité ou l'inopposabilité de ladite convention, soit d'obtenir lorsque cela est possible la mise en conformité de celle-ci aux conditions légales et conventionnelles, l'article 1221 du code civil permettant en principe au créancier d'une obligation de réclamer à son cocontractant son exécution en nature", pour en déduire qu' "en présence d'une convention de forfait en heures modalité 2 devant recevoir application et produire tous ses effets, l'employeur étant tenu de respecter l'accord collectif étendu, M. [R] est fondé à obtenir un rappel de salaire correspondant a minima au plafond de la sécurité social", la cour d'appel a violé l'accord collectif précité, ensemble, par fausse application, l'article 1221 du code civil et l'article L. 2254-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 3 chapitre II de l'accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail annexé à la convention collective nationale du personnel des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite Syntec :
6. Selon ce texte qui instaure une convention de forfait en heures sur une base hebdomadaire pour les salariés relevant des modalités de réalisation de missions, lesdites modalités s'appliquent aux salariés non concernés par les modalités standard ou les réalisations de missions avec autonomie complète, et tous les ingénieurs et cadres sont a priori concernés, à condition que leur rémunération soit au moins égale au plafond de la sécurité sociale.
7. Pour condamner l'employeur au paiement d'un rappel de salaire et des congés payés afférents, l'arrêt retient, d'abord que le salarié qui s'est vu soumettre à cette convention, quoique ne remplissant pas une des conditions, a le choix soit de solliciter la nullité ou l'inopposabilité de ladite convention, soit d'obtenir lorsque cela est possible la mise en conformité de celle-ci aux conditions légales et conventionnelles, l'article 1221 du code civil permettant en principe au créancier d'une obligation de réclamer à son cocontractant son exécution en nature.
8. Il ajoute que pour s'opposer à la demande de rappel de salaire formulée par le salarié, l'employeur développe des moyens inopérants et contradictoires avec sa demande de voir déclarer valable la convention de forfait en heures figurant au dispositif de ses conclusions en soutenant que le salarié ne pourrait solliciter que des heures supplémentaires au-delà de la durée légale de 35 heures pour lesquelles il ne fournit aucun élément.
9. Il relève encore que les deux parties s'accordent à tout le moins dans le dispositif des conclusions sur la validité de la convention de forfait en heures et que l'employeur n'est pas recevable à se prévaloir d'une nullité de celle-ci non demandée par le salarié.
10. Il en conclut que dans ces circonstances, en présence d'une convention de forfait en heures modalité 2 devant recevoir application et produire tous ses effets, l'employeur est tenu de respecter l'accord collectif étendu et le salarié est fondé à obtenir un rappel de salaire correspondant a minima au plafond de la sécurité sociale.
11. En statuant ainsi, alors que si le salarié qui ne bénéficie pas d'une rémunération au moins égale au plafond de la sécurité sociale ne peut être valablement soumis à une convention de forfait en heures, l'accord de branche du 22 juin 1999 ne fait pas obligation à l'employeur d'assurer à ce salarié un tel niveau de rémunération, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif requalifiant la démission en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamnant l'employeur au paiement de sommes au titre de la rupture du contrat, ainsi qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 mars 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne M. [R] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le quatorze mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.