LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 14 mai 2025
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 493 F-D
Pourvoi n° T 24-13.314
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 MAI 2025
Mme [T] [N], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 24-13.314 contre l'arrêt rendu le 1er février 2024 par la cour d'appel de Versailles (chambre sociale 4-2), dans le litige l'opposant à la société Etablissement [O] [I] et Cie, dont le siège est [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La société Etablissement [O] [I] et Cie a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ménard, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [N], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Etablissement [O] [I] et Cie, après débats en l'audience publique du 1er avril 2025 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ménard, conseiller rapporteur, Mme Degouys, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 1er février 2024), Mme [N] a été engagée en qualité de responsable laboratoire et qualité le 22 mai 2018 par la société Etablissements [O] [I] et Cie.
2. En congé maternité de la fin mars 2019 à la fin juillet 2019, elle a ensuite été placée en arrêt de travail à partir du 6 août 2019, celui-ci ayant été renouvelé jusqu'au 14 mars 2020, date à laquelle elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
3. Elle a saisi la juridiction prud'homale de différentes demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes au titre du harcèlement moral et de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, alors « que le juge, saisi d'une demande d'un salarié fondée sur l'existence d'un harcèlement moral, doit prendre en considération tous les éléments invoqués à l'appui de sa demande ; qu'en s'abstenant de vérifier si le fait que l'enquête sur le harcèlement moral de Mme [N] par sa supérieure hiérarchique ait été confiée à cette dernière, ajouté aux autres éléments relevés, en particulier, les éléments médicaux faisant état de la dégradation de son état de santé psychique en lien avec ses conditions professionnelles, pouvait conduire à retenir son harcèlement moral, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ».
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail :
6. Il résulte de ces textes que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
7. Pour débouter la salariée de ses demandes fondées sur le harcèlement moral, l'arrêt retient que des échanges sont bien intervenus entre les parties au sujet du harcèlement moral dénoncé mais que l'enquête mise en oeuvre par l'employeur n'a pu se dérouler normalement du fait du refus de la salariée d'être entendue dans le cadre de l'enquête.
8. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si l'employeur avait confié à la supérieure hiérarchique désignée comme harcelante l'enquête sur les faits de harcèlement que la salariée dénonçait, et si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis, dont les certificats médicaux, laissaient supposer l'existence d'un harcèlement moral, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes au titre de l'obligation de sécurité de l'employeur et de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, alors « qu'affirmant, pour écarter l'existence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, que Mme [N] ne présente aucune argumentation spécifique à ce sujet, se contentant de faire référence à l'ensemble des éléments du litige, quand celle-ci invoquait à cet égard l'absence de document unique d'évaluation des risques malgré l'obligation légale en la matière, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ».
Réponse de la cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
10. Selon ce texte, toute jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motif.
11. Pour rejeter la demande de la salariée au titre des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, l'arrêt retient que la salariée ne présente aucune argumentation spécifique à ce sujet, se contentant de faire référence à l'ensemble du litige.
12. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la salariée, qui se référait aux faits qu'elle avait précédemment relatés et visait expressément l'absence de document unique d'évaluation des risques, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le troisième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
13. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, alors « qu'en affirmant, pour écarter l'existence d'un manquement de l'employeur à son obligation d'exécuter le contrat de bonne foi, que la demande sur ce point n'apparaît pas motivée quand la salariée faisait valoir en appel que l'application d'une classification erronée dont le but était de ne pas respecter le minimum de rémunération conventionnel traduit une exécution parfaitement déloyale du contrat de travail, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
14. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
15. Pour rejeter la demande de la salariée au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, l'arrêt retient que la demande n'apparaît pas motivée.
16. En statuant ainsi, alors que dans ses conclusions d'appel, la salariée soutenait, d'une part que l'employeur avait usé de procédés déloyaux pour la pousser à la démission, d'autre part que l'application d'une classification erronée constituait une exécution déloyale du contrat de travail, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
17. La cassation des chefs de dispositif visés par le pourvoi principal n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société Etablissements [O] [I] et Cie à verser à Mme [N] les sommes de 13 138,86 euros brut à titre de rappel de salaire conventionnel, 1 313,88 euros au titre des congés payés afférents et 2 000 euros au titre de l'article 700 du code du procédure civile, et en ce qu'il déboute Mme [N] de ses demandes au titre de la discrimination, l'arrêt rendu le 1er février 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Etablissements [I] et Cie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Etablissements [I] et Cie et la condamne à payer à Mme [N] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le quatorze mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.