LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
JB
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 14 mai 2025
Rejet
M. MOLLARD,
conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 258 F-D
Pourvoi n° X 24-10.834
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 MAI 2025
La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc, la CRCAML, société coopérative à capital et personnel variables, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° X 24-10.834 contre l'arrêt n° RG 22/10517 rendu le 27 septembre 2023 par la cour d'appel de Paris (chambre 4 - pôle 5), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société EIC Financement, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Réponse Financement, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], ayant pour nom commercial Vous Financer.Com,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc, la CRCAML, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat des sociétés EIC Financement, et Réponse Financement, après débats en l'audience publique du 18 mars 2025 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, Mme Michel-Amsellem, conseiller et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 septembre 2023), la société EIC financement, qui exerce une activité de courtier en opérations de banque et en services de paiement et est franchisée du réseau Vousfinancer exploité par la société Réponse financement, a conclu avec la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc (la CRCAML), établissement de crédit, une « convention d'apporteur d'affaires ».
2. Par lettre du 30 octobre 2019, la CRCAML a dénoncé cette convention avec un préavis d'un mois.
3. Reprochant à la CRCAML le caractère brutal de la rupture, les sociétés EIC financement et Réponse financement l'ont assignée en réparation de leur préjudice.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. La CRCAML fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société EIC financement la somme de 1 584 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies et d'ordonner la publication d'un extrait de l'arrêt, alors :
« 1°/ que seule engage la responsabilité de son auteur la rupture brutale d'une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels ; qu'une relation commerciale établie n'est caractérisée que lorsque chacune des parties peut légitimement escompter le maintien d'un flux d'affaires stable et significatif avec son partenaire ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt que la société EIC financement a conclu le 10 mai 2016 une convention d'apporteur d'affaires avec la CRCAML, qui "avait pour objet de permettre à la première d'être 'apporteur d'affaires' et se distingue de la conclusion proprement dite des contrats entre les clients démarchés par le courtier et la banque" ; que la cour d'appel a considéré qu' "il ne peut se déduire ni de l'absence de mandat entre la Banque et l'Apporteur, ni de la circonstance que ce dernier, en sa qualité de courtier, démarche d'autres banques dans le cadre de la recherche de la meilleure offre de prêt pour son client pour lequel il agit en vertu d'un mandat, l'absence de relations commerciales établies entre la Banque et l'Apporteur au sens de l'article L 442-1, II, du code de commerce" ; qu'en statuant de la sorte, cependant qu'il résultait de ses constatations que les rapports entre les parties revêtaient un caractère précaire et aléatoire, la banque ne s'engageant pas à émettre d'offres de crédit que lui présenterait le courtier, sans donner mandat à ce dernier ni lui accorder une quelconque exclusivité, et le courtier, mandaté, conformément à la réglementation applicable aux courtiers en opérations de banque et en services de paiement par son seul client, tenu de présenter les offres de crédit à d'autres établissements bancaires, la CRCAML ne lui versant une commission qu'en cas de souscription par un client d'un contrat de crédit avec elle, ce dont il résultait que les rapports entre les parties ne relevaient pas d'une relation commerciale établie, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce et l'article R. 519-4, I, 1°, du code monétaire et financier, dans leur rédaction applicable en la cause ;
2°/ que l'existence d'une relation commerciale établie suppose un flux d'affaires significatif entre les parties ; qu'en jugeant que la CRCAML et la société EIC financement avai[en]t noué une relation commerciale établie depuis mai 2016, cependant qu'il résultait de ses constatations que "le courtier a réalisé avec la banque une part de son chiffre d'affaires en 2018 de 2,95 % (chiffre d'affaires global réalisé par EIC financement de 330 392 euros, pour un chiffre d'affaires réalisé avec la banque de 9 749 euros, montant des commissions bancaires facturées à la banque en 2018)", et que "le chiffre d'affaires réalisé par EIC financement en 2019 n'est pas communiqué", mais qu'au cours de cette année, la société EIC financement avait facturé des commissions à hauteur de 2 449 euros, de sorte que le caractère significatif du flux d'affaires depuis mai 2016 entre les parties n'était pas établi, la cour d'appel a encore violé l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
5. L'arrêt retient que la relation commerciale qui s'est nouée entre la société EIC financement et la CRCAML avait pour objet de permettre à la première d'être « apporteur d'affaires » et se distingue de la conclusion des contrats entre les clients démarchés par le courtier et la banque, de sorte que ni l'absence de mandat entre la CRCAML et la société EIC financement ni la circonstance que cette dernière, en sa qualité de courtier, démarche d'autres banques dans sa recherche de la meilleure offre de prêt pour son client pour lequel elle agit en vertu d'un mandat, ne permettent de déduire qu'aucune relation commerciale n'aurait été établie entre ces sociétés, au sens de l'article L 442-1, II, du code de commerce.
6. Il ajoute que la relation commerciale entre la société EIC financement et la CRCAML, telle que formalisée par le contrat d'apport d'affaires, qui s'est déroulée du 10 mai 2016 au 30 octobre 2019, présente un caractère stable et continu, ainsi qu'il résulte du chiffre d'affaires réalisé par la première avec la seconde, de sorte que la société EIC financement pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec la CRCAML.
7. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a à juste titre distingué la relation d'affaires nouée entre la CRCAML et la société EIC financement, dont elle a relevé la stabilité et la continuité du chiffre d'affaires qu'il générait, des contacts que la première avait avec les clients présentés par la seconde et qui aboutissaient ou non à la conclusion d'un contrat de crédit, et a retenu que la société EIC financement pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec la CRCAML, a pu statuer comme elle a fait nonobstant la faiblesse de ce flux.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. La CRCAML fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société EIC financement la somme de 1 584 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, alors « que l'auteur de la rupture brutale d'une relation commerciale établie doit réparer les conséquences préjudiciables de l'absence ou de l'insuffisance du préavis accordé à l'autre partie ; qu'en condamnant la CRCAML à payer à la société EIC financement une somme de 1 584 euros à titre de dommages et intérêts, correspondant à la perte de marge mensuelle de la société EIC financement (528 euros) sur trois mois, soit la durée du préavis qui aurait dû être respecté par la banque, tout en constatant que la banque avait accordé à la société EIC financement un préavis d'un mois dont elle n'a pas constaté qu'il n'avait pas été respecté, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I, 5°, du code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice. »
Réponse de la Cour
10. Après avoir constaté que, par lettre du 30 octobre 2019, la société CRCAML a dénoncé la convention d¿affaires conclue avec la société EIC financement avec un préavis contractuel d'un mois, l'arrêt retient que le chiffre d'affaires réalisé avec la banque en 2018 s'élève à 9 749 euros, soit une marge annuelle de 6 336 euros et une marge mensuelle de 528 euros, et en déduit que la perte de marge résultant de l'insuffisance de préavis s'élève à 1 584 euros (528 x 3).
11. En l'état de ces constatations et appréciations et tandis qu'il appartenait à la CRCAM de rapporter la preuve de l'exécution effective du préavis d'un mois qu'elle avait accordé à la société EIC financement, la cour d'appel a exactement fixé à la somme de 1 584 euros le montant dû par la banque à la société EIC financement pour brutalité de la rupture.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Languedoc et la condamne à payer à la société EIC financement et à la société Réponse financement la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé publiquement le quatorze mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par le président, le conseiller rapporteur et Mme Sara greffier présente lors de la mise à disposition.