LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 24-82.372 F-D
N° 00554
ECF
6 MAI 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 MAI 2025
M. [X] [T] et la [4], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 13 mars 2024, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de M. [P] [U] du chef de diffamation publique envers un particulier.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat de M. [X] [T] et de la [4], et les conclusions de Mme Caby, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Pinna, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [P] [U] a été poursuivi du chef de diffamation publique en raison de propos tenus lors du conseil municipal de [Localité 1] (83) le 30 juillet 2020 et publiés sur Facebook le 2 août suivant : « Je vais citer l'exemple [Localité 3] pour vous donner un petit peu le pedigree de cette [4] qui nous pourrait faire peser sur les prochaines années. [Localité 3] ils signent au bout de 6 mois, avant les élections municipales 2013 une convention de renouvellement urbain, dont le Trésor Public, dont tous les services ont dit clairement à la mairie en cours que signer cette convention c'est assurer la mort, la ruine financière de la commune, c'était intenable. La Mairie a été mise en 2014, ils prennent la gestion en 2 ans alors qu'ils devaient, soit-disant, rénover des bâtiments, refaire des places, c'était quelques 17 ou 16 M¿ quand même, ils n'ont rien fait mis à part embaucher du personnel spécifiquement pour cette opération, acheter des bureaux (et encore que les bureaux, ils ont forcé la mairie à leur donner des fonds de commerce pour se loger). Ils ont rien fait. Face à cela, la mairie a voulu retirer. Ils gagnent devant les Tribunaux etc..., à chaque fois c'est la peine. Il faut savoir que c'est une structure, elle est dirigée par un monsieur qui n'hésite pas à utiliser l'argent, donc l'argent des contribuables quelque part, parce que c'est l'argent des communes pour tout, c'est-à-dire qui va vous poursuivre pendant 10, 20, 30 ans jusqu'à votre mort s'il le faut. Ce sont pour moi, pour moi ce sont des brutes financièrement, judiciairement. Moi je dénonce le grand danger de cette [5] qui en plus quand vous avez des soucis avec elle, on s'aperçoit qu'au fur et à mesure au niveau des facturations, voilà, ils n'y vont pas de main morte. Je ne parlerais pas, du moins je ne parlerais pas de Mafia parce que ce serait quand même? voilà? je ne dis pas ce mot, mais je le pense très très fort. Parce qu'aujourd'hui, c'est un petit peu une structure qui est à la croisée entre le politique, parce que c'est un instrument de pouvoir politique, fait par certaines personnes dans une TPM par un Maire qui est Président de Fédération des républicains, voilà?, donc, et qui mélange au niveau technique. Voilà pour moi, aujourd'hui, c'était comme ce qu'était la [2] à l'époque, c'est-à-dire une bonne idée dans le fond mais totalement galvaudée, totalement, on va dire pour forcer le trait, totalement laissée en jachère par des pratiques douteuses. Donc je pense honnêtement que durant ce mandat, il faudra sortir de cette [5] ».
3. Les juges du premier degré ont relaxé M. [U].
4. M. [X] [T] et la [4] ([4] ou [5]) ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a jugé qu'aucune faute civile n'était imputable à M. [U] à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite et a, en conséquence, débouté M. [T] et la [5] de leurs demandes tendant à le voir condamner, sous astreinte, à retirer les propos litigieux de son compte Facebook et à publier un communiqué judiciaire en page d'accueil de ce compte, et à le voir condamner à leur payer la somme de 10 000 euros chacun à titre de dommages-intérêts, en réparation de leur préjudice moral, alors :
« 1°/ que toute expression qui contient l'imputation d'un fait précis et déterminé de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée constitue une diffamation, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation ; que constitue l'imputation d'un fait précis et déterminé, l'insinuation selon laquelle une personne physique ou morale commet des actes pénalement répréhensibles, peu important que leur qualification pénale ne soit pas explicitement formulée ; qu'en décidant que les propos tenus par Monsieur [U], à savoir « Je vais citer l'exemple du Luc pour vous donner un petit peu le pedigree de cette [4] [...] », ils « n'ont rien fait » des « quelques 17 ou 16 M¿ » perçus pour « soit-disant rénover des bâtiments, refaire des places », ne caractérisaient aucune faute civile en ce qu'ils ne contenaient pas d'accusation explicites ou déguisées d'actes illégaux et ne renfermaient l'imputation d'aucun faits vérifiables et susceptibles de faire l'objet d'une preuve dans un débat contradictoire, bien qu'une telle allégation, insinuant que la [4] se livrait à des détournements de fonds publics, ait porté sur un fait précis susceptible de faire l'objet d'une preuve dans un débat contradictoire, lequel était attentatoire à l'honneur et à la considération, la Cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
2°/ que toute expression qui contient l'imputation d'un fait précis et déterminé de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée constitue une diffamation, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation ; que constitue l'imputation d'un fait précis et déterminé, l'insinuation selon laquelle une personne physique ou morale commet des actes pénalement répréhensibles, peu important que leur qualification pénale ne soit pas explicitement formulée ; qu'en décidant que les propos tenus par Monsieur [U], à savoir « c'est une structure, elle est dirigée par un monsieur qui n'hésite pas à utiliser l'argent, donc c'est l'argent des contribuables quelque part, parce que c'est l'argent des communes » ne révélaient aucune accusation de détournement de fonds publics et ne contenaient aucune imputation précise et vérifiable, bien qu'une telle allégation, insinuant que Monsieur [T], Directeur Général de la [4], se livrait à des détournements de fonds publics, ait portée sur un fait précis susceptible de faire l'objet d'une preuve dans un débat contradictoire, lequel était attentatoire à l'honneur et à la considération, la Cour d"appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
3°/ que toute expression qui contient l'imputation d'un fait précis et déterminé de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée constitue une diffamation, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation ; que constitue l'imputation d'un fait précis et déterminé, l'insinuation selon laquelle une personne physique ou morale se livre à des actes d'improbité dans l'exercice de son activité professionnelle et/ou appartient à une organisation criminelle ; qu'en décidant que les propos tenus par Monsieur [U], à savoir « je ne parlerai pas de Mafia parce que ce serait quand même.. voilà... Je ne dis pas ce mot, mais je le pense très très fort », et l'allégation de « pratiques douteuses », ne caractérisaient aucune faute civile, motif pris qu'ils ne contenaient aucune allégation spécifique vérifiable dont la preuve pourrait être rapportée, bien que de telles allégations, insinuant un manque de probité de la [4] et son appartenance à une organisation criminelle, aient porté sur des faits précis susceptibles de faire l'objet d'une preuve dans un débat contradictoire, lesquels étaient attentatoires à l'honneur et à la considération, la Cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
4°/ que toute expression qui contient l'imputation d'un fait précis et déterminé de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée constitue une diffamation, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation ; qu'en décidant que les propos tenus par Monsieur [U] ne présentaient pas un caractère diffamatoire, motif pris qu'ils consistaient en l'expression d'une opinion politique, d'une critique générale typique de la rhétorique politique et volontairement polémique émise dans le cadre d'un débat d'intérêt général par un homme politique local, bien que de telles considérations, qui ont trait à l'excuse de bonne foi dont peut se prévaloir l'auteur de propos diffamatoires, aient été indifférentes quant à la détermination de l'existence de faits précis susceptibles de faire l'objet d'une preuve dans un débat contradictoire, fussent-ils présentés sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation, la Cour d"appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
5°/ que les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec intention de nuire, de sorte qu'il appartient à l'auteur de telles imputations de rapporter la preuve de sa bonne foi ; que le fait justificatif de bonne foi se caractérise par la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression ainsi que par le sérieux de l'enquête ; qu'en se bornant à énoncer, pour écarter une faute civile imputable à Monsieur [U], que ses propos mettant en cause la [4] et Monsieur [T], son Directeur Général, en leur imputant des pratiques mafieuses et/ou contraires à la probité, ainsi que des détournements de fonds publics dans le cadre de la signature d'une convention de renouvellement urbain avec la commune [Localité 3], consistaient en l'expression d'une opinion politique, d'une critique générale typique de la rhétorique politique et volontairement polémique émise dans le cadre d'un débat d'intérêt général par un homme politique local, sans constater la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression, ainsi que le sérieux de l'enquête de l'auteur des propos incriminés, la Cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs généraux impropres à caractériser la bonne foi de Monsieur [U], a privé sa décision de base légale au regard de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
6°/ qu'est diffamatoire l'allégation ou l'imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur et à la considération de la personne à laquelle le fait est imputé ; qu'afin de déterminer leur signification véritable, les propos incriminés ne doivent pas être pris isolément mais interprétés les uns par rapport aux autres ; qu'en décidant néanmoins que chacun des propos incriminés ne présentait pas un caractère diffamatoire, sans les considérer dans leur ensemble, la Cour d'appel a violé l'article 29 de la loi 29 juillet 1881. »
Réponse de la Cour
6. Pour rejeter l'existence d'une faute civile du prévenu et débouter M. [T] et la [5] de leurs demandes, l'arrêt attaqué énonce que les propos relatifs à la signature par la municipalité [Localité 3] d'une convention de renouvellement urbain ne contiennent pas d'accusations explicites ou déguisées d'actes illégaux et consistent en l'expression d'une opinion politique sur la qualité de gestion d'une société publique locale.
7. Les juges précisent que les propos relatifs aux conflits et litiges juridiques coûteux découlant de cette convention tendent à dénoncer la propension de la [5] à engager de longues procédures judiciaires, financées indirectement par les contribuables, mais que ces déclarations ne contiennent aucune accusation de détournement de fonds publics ou d'autres infractions pénales.
8. Ils ajoutent que les propos litigieux expriment une forte désapprobation du mode de fonctionnement de la [5] mais ne renferment aucune allégation factuelle vérifiable dont la preuve pourrait être rapportée et que la référence à des « pratiques douteuses » de la société ne contient aucune accusation spécifique d'actes illégaux.
9. Ils précisent enfin que l'allusion à la « mafia » est immédiatement tempérée par M. [U] qui précise qu'il ne souhaite pas utiliser ce terme, tout en indiquant qu'il le conservait en pensée et qu'il s'agit d'un jugement de valeur qui ne contient pas l'imputation d'un fait précis.
10. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.
11. En effet, les juges ont exactement retenu que les propos incriminés, par leur sens et leur portée, n'imputaient à M. [T] et à la [5] aucun fait précis portant atteinte à leur honneur ou à leur considération, en ce qu'ils se limitaient à des jugements de valeur d'ordre général et à une critique de la gestion et des actions de cette société.
12. Dès lors, le moyen doit être écarté.
13. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du six mai deux mille vingt-cinq.