LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC. / ELECT
JL10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 6 mai 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 482 F-D
Pourvoi n° V 24-11.292
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025
Le syndicat national Spectacles communication sports et loisirs, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 24-11.292 contre le jugement rendu le 12 janvier 2024 par le tribunal judiciaire de Paris (contentieux des élections professionnelles), dans le litige l'opposant à la société Astoria sécurité, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du syndicat national Spectacles communication sports et loisirs, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Astoria sécurité, après débats en l'audience publique du 26 mars 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Paris, 12 janvier 2024), par courrier électronique du 5 février 2023, M. [U], qui a été désigné en qualité de représentant de section syndicale le 15 février 2021 par le syndicat national Spectacles communication sports et loisirs (le syndicat SNS), a sollicité la tenue des élections professionnelles au sein de la société Astoria sécurité (la société).
2. Par courrier électronique du 6 février 2023, la société lui a répondu que les élections professionnelles s'étaient tenues au mois d'avril 2022.
3. Par requête du 20 septembre 2023 reçue au greffe le 21 septembre suivant, le syndicat a saisi le tribunal judiciaire afin notamment d'annuler les élections qui auraient pu se dérouler au sein de la société au mois d'avril 2022, d'ordonner la convocation du syndicat SNS, des syndicats ayant une section syndicale et des syndicats représentatifs dans l'entreprise à la négociation du protocole d'accord préélectoral sous astreinte, d'ordonner la tenue et l'organisation des élections professionnelles sous un maximum de trois mois à compter de la décision à intervenir sous astreinte et de condamner la société au paiement de dommages-intérêts pour refus d'organiser des élections professionnelles.
Examen des moyens
Sur le second moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en ses troisième et cinquième branches, en ce qu'il fait grief au jugement de constater que le syndicat SNS est forclos en son action relative à l'annulation des élections au CSE s'étant tenues les 14 et 29 avril 2022
Enoncé du moyen
5. Le syndicat SNS fait grief au jugement de constater qu'il est forclos en son action relative à l'annulation des élections au CSE s'étant tenues les 14 et 29 avril 2022, alors :
« 3°/ que le point de départ du délai de quinze jours pour contester la régularité d'une élection est la proclamation des résultats ; qu'en se fondant sur des courriels adressés par l'employeur au syndicat SNS les 6 et 22 février 2023 pour dire ce syndicat forclos en son action, le tribunal judiciaire a violé l'article R. 2314-24 du code du travail ;
5°/ qu'en se bornant à retenir que deux salariés ''affirment avoir assisté à la proclamation des résultats'' cependant qu'il lui appartenait de préciser la forme que cette proclamation aurait prise, son auteur, son contenu et sa date, ce qu'il n'a pas fait, le tribunal judiciaire a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 2314-24 du code du travail et de l'article R. 67 du code électoral. »
Réponse de la Cour
Vu l'article R. 67 du code électoral et l'article R. 2314-24, alinéa 4, du code du travail :
6. Aux termes du premier de ces textes, immédiatement après la fin du dépouillement, le procès-verbal des opérations électorales est rédigé par le secrétaire dans la salle de vote, en présence des électeurs. Il est établi en deux exemplaires, signés de tous les membres du bureau. Les délégués des candidats, des binômes de candidats ou des listes en présence sont obligatoirement invités à contresigner ces deux exemplaires. Dès l'établissement du procès-verbal, le résultat est proclamé en public par le président du bureau de vote et affiché en toutes lettres par ses soins dans la salle de vote.
7. Aux termes du second de ces textes, lorsque la contestation porte sur la régularité de l'élection ou sur la désignation de représentants syndicaux, la requête n'est recevable que si elle est remise ou adressée dans les quinze jours suivant cette élection ou cette désignation.
8. Il en résulte que le délai de quinze jours pour contester la régularité des élections ne court qu'à compter de la proclamation des résultats.
9. Pour dire que le syndicat SNS est forclos en son action tendant à l'annulation des élections au CSE s'étant tenues les 14 et 29 avril 2022, le jugement retient, d'une part, que la société produit les procès-verbaux des élections et les témoignages de deux salariés qui affirment avoir assisté à la proclamation des résultats, d'autre part, que bien que la société ne précise pas les modalités selon lesquelles les résultats auraient été diffusés, il est établi que le syndicat SNS a eu connaissance par courrier électronique du 6 février 2023 de la tenue des élections au mois d'avril 2022 puis, par lettre du 22 février 2023, de la liste des élus.
10. Il en déduit qu'en saisissant le tribunal judiciaire le 21 septembre 2023, soit six mois plus tard, le syndicat n'a pas saisi le tribunal dans le délai de quinze jours, de sorte que son action est forclose.
11. En statuant ainsi, après avoir constaté que la société n'établissait pas la date à laquelle les résultats du scrutin avaient été proclamés, ce dont il résultait que le délai de recours contentieux n'avait pas commencé à courir, le tribunal judiciaire a violé les textes susvisés.
Et sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, en ce qu'il fait grief au jugement de débouter le syndicat SNS de ses demandes tendant à déclarer irrégulières et de nul effet les « élections » qui auraient pu se dérouler au sein de la société défenderesse en avril 2022, à ordonner la convocation du syndicat SNS, des syndicats ayant une section syndicale et des syndicats représentatifs dans l'entreprise à la négociation du protocole d'accord préélectoral et ce sous astreinte, à ordonner la tenue et l'organisation des élections professionnelles sous un maximum de 3 mois à compter de la décision à intervenir et ce sous astreinte, et en paiement de dommages-intérêts pour refus d'organiser des élections professionnelles
Enoncé du moyen
12. Le syndicat SNS fait grief au jugement de le débouter de ses demandes tendant à déclarer irrégulières et de nul effet les « élections » qui auraient pu se dérouler au sein de la société défenderesse en avril 2022, à ordonner la convocation du syndicat SNS, des syndicats ayant une section syndicale et des syndicats représentatifs dans l'entreprise à la négociation du protocole d'accord préélectoral et ce sous astreinte, à ordonner la tenue et l'organisation des élections professionnelles sous un maximum de 3 mois à compter de la décision à intervenir et ce sous astreinte, et en paiement de dommages-intérêts pour refus d'organiser des élections professionnelles, alors :
« 1°/ qu'excède ses pouvoirs le juge qui, après avoir constaté que la demande est atteinte d'une cause d'irrecevabilité, statue néanmoins au fond de ce chef et en déboute son auteur ; que la demande atteinte par la forclusion, qui constitue une fin de non-recevoir, doit être déclarée irrecevable sans examen au fond ; qu'en déboutant l'exposant de ses demandes afférentes à l'annulation des élections après avoir constaté qu'il était forclos en son action, ce qui excluait tout examen au fond et a fortiori le débouté, le tribunal judiciaire a excédé ses pouvoirs et violé l'article 122 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en déboutant le syndicat exposant de sa demande d'annulation des élections et de ses demandes subséquentes sans donner aucun motif à sa décision de ces chefs, le tribunal judiciaire a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 122 du code de procédure civile :
13. Aux termes du texte susvisé, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
14. Il résulte de ce texte qu'une juridiction qui décide que la demande dont elle est saisie est irrecevable excède ses pouvoirs en statuant au fond.
15. Pour débouter le syndicat SNS de ses demandes d'annulation des élections et des demandes subséquentes, le jugement retient que celui-ci n'a pas saisi le tribunal judiciaire dans le délai de quinze jours, de sorte que son action est forclose.
16. En déboutant le syndicat SNS de ses demandes après les avoir déclarées irrecevables, le tribunal, qui a excédé ses pouvoirs, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il constate que le syndicat national Spectacles communication sports et loisirs est forclos en son action relative à l'annulation des élections au comité social et économique s'étant tenues les 14 et 29 avril 2022 et en ce qu'il le déboute de ses demandes tendant à déclarer irrégulières et de nul effet les élections qui auraient pu se dérouler au sein de la société Astoria sécurité en avril 2022, à ordonner la convocation du syndicat SNS, des syndicats ayant une section syndicale et des syndicats représentatifs dans l'entreprise à la négociation du protocole d'accord préélectoral sous astreinte, à ordonner la tenue et l'organisation des élections professionnelles sous un maximum de 3 mois à compter de la décision à intervenir sous astreinte et en paiement de dommages-intérêts pour refus d'organiser des élections professionnelles, le jugement rendu le 12 janvier 2024, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Paris autrement composé ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Astoria sécurité et la condamne à payer au syndicat national Spectacles communication sports et loisirs la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.