LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 6 mai 2025
Cassation
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 479 F-D
Pourvoi n° Z 24-11.158
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025
1°/ M. [N] [S], domicilié [Adresse 3],
2°/ le syndicat des services CFDT des Savoie, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° Z 24-11.158 contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2023 par la cour d'appel de Chambéry (chambre sociale), dans le litige les opposant à la société [4], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ott, conseiller, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [S] et du syndicat des services CFDT des Savoie, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société [4], après débats en l'audience publique du 26 mars 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ott, conseiller rapporteur, Mme Ollivier, conseiller référendaire, ayant voix délibérative, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 30 novembre 2023), M. [S] a été engagé en qualité d'agent de sécurité à compter du 22 novembre 2019 par la société [4] (la société). Le « 4 » juin 2020, il était présent à une réunion du comité social et économique, mis en place en décembre 2019 et dont tous les élus sont issus du syndicat des services CFDT des Savoie (le syndicat), le procès-verbal de cette réunion comportant la mention « désigné par le syndicat ».
2. Par décision unilatérale du 20 août 2020, l'employeur a mis fin à la désignation d'un représentant syndical en surnombre et le salarié n'a plus été convoqué aux réunions du comité social et économique (CSE).
3. Convoqué à un entretien préalable au licenciement prévu le 6 novembre 2020, reporté au 9 novembre 2020, et mis à pied à titre conservatoire, il a été licencié pour faute grave le 13 novembre 2020.
4. Le salarié a saisi le 22 avril 2021 la juridiction prud'homale en demandant que lui soient reconnus le bénéfice du statut de salarié protégé ainsi que l'atteinte portée à ses fonctions représentatives par l'employeur en lui retirant unilatéralement et illicitement son mandat sans avoir contesté sa désignation dans le délai requis de quinze jours. Invoquant une violation de son statut protecteur, il a sollicité le prononcé de la nullité de son licenciement ainsi que le paiement de sommes au titre d'un licenciement nul et de dommages-intérêts pour délit d'entrave et discrimination syndicale.
5. Le syndicat est intervenu volontairement à l'instance et a sollicité le paiement de dommages-intérêts en raison d'une discrimination syndicale et d'une entrave aux fonctions représentatives.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Le salarié et le syndicat font grief à l'arrêt de juger que le salarié ne pouvait être considéré comme un salarié protégé, de débouter ce dernier de ses demandes de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur, d'indemnité pour licenciement nul, d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et à titre de remboursement de la mise à pied conservatoire outre les congés payés et de débouter le salarié et le syndicat de leurs demandes de dommages-intérêts au titre de l'entrave, alors « que l'employeur qui entend contester la désignation d'un représentant syndical doit saisir le tribunal judiciaire dans le délai de quinze jours suivant cette désignation ; que le point départ du délai de contestation de la désignation d'un représentant syndical est, pour l'employeur, le jour suivant la réception de la lettre de désignation ou le jour suivant celui où il a eu connaissance de cette désignation ; qu'en se bornant, pour dire que le délai de contestation de la désignation du salarié comme représentant syndical n'avait pas couru à l'encontre de l'employeur, à affirmer que le salarié et le syndicat ne justifiaient pas avoir informé l'employeur de cette désignation sans rechercher si, ainsi qu'il était soutenu devant elle, l'employeur n'en avait pas connaissance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2411-5 et R. 2314-24 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 2411-5 du code du travail :
7. Selon l'article L. 2411-5 susvisé, le licenciement d'un représentant syndical au comité social et économique ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail.
8. Pour écarter le bénéfice du statut protecteur revendiqué par le salarié au titre de sa désignation en qualité de représentant syndical au comité social et économique, l'arrêt retient que si le syndicat CFDT a décidé de désigner M. [S] en qualité de représentant syndical au comité social et économique en plus de M. [O], il n'est pas justifié de la date de cette désignation et que le salarié et le syndicat ne justifient pas, conformément aux dispositions de l'article D. 2143-4 du code du travail, d'avoir informé l'employeur de cette désignation par lettre recommandée avec accusé de réception ni par lettre remise en main propre le 4 mars 2020. L'arrêt en déduit que le salarié n'a jamais eu la qualité de représentant syndical et donc ne bénéficiait pas du statut protecteur en découlant.
9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le salarié était présent à la réunion du comité social et économique le « 4 » juin 2020 en qualité de représentant « désigné par le syndicat » en surnombre, de sorte que, en l'absence de toute contestation, la désignation du salarié se trouvait purgée de tout vice à l'expiration, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
10. Le salarié et le syndicat font le même grief à l'arrêt, alors « que l'employeur qui décide d'autoriser un nombre de représentants syndicaux plus important que celui prévu par les dispositions légales peut unilatéralement décider de revenir au nombre de représentants définis par le code du travail à condition, pour répondre à l'exigence de loyauté, d'en informer préalablement les syndicats concernés ; qu'en retenant en l'espèce que l'employeur avait pu revenir sur sa décision d'autoriser la désignation de deux représentants syndicaux au CSE sans rechercher si, ainsi que l'y invitaient les conclusions de parties, il avait préalablement informé les syndicats concernés de sa décision, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2314-1 et L. 2314-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 2143-22 et R. 2143-2 du code du travail :
11. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2143-22 du code du travail, dans les entreprises de moins de trois cents salariés et dans les établissements appartenant à ces entreprises, le délégué syndical est, de droit, représentant syndical au comité social et économique.
12. Selon le second de ces textes, le nombre de délégués syndicaux est fixé à un dans les entreprises employant de 50 à 999 salariés.
13. Si le nombre de représentants syndicaux au comité social et économique tel qu'il est fixé par la loi peut être augmenté par accord collectif, ni un usage de l'entreprise ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peuvent modifier les dispositions légales correspondantes. Il s'ensuit que l'employeur qui décide unilatéralement d'une telle augmentation peut unilatéralement décider de revenir à l'application des textes légaux qui n'ont cessé d'être applicables, sous réserve de ne pas méconnaître le principe d'égalité entre tous les syndicats concernés et, pour répondre à l'exigence de loyauté qui s'impose en la matière, de les en informer préalablement.
14. Pour écarter le bénéfice du statut protecteur revendiqué par le salarié au titre de sa désignation en qualité de représentant syndical au comité social et économique, après avoir constaté que l'entreprise compte moins de trois cents salariés et qu'il n'existe pas d'accord collectif modifiant les dispositions légales de sorte que l'entreprise ne compte qu'un délégué syndical, l'arrêt retient qu'il n'existe qu'un seul syndicat dans l'entreprise, que l'existence ou non d'une tolérance tacite sur la désignation potentielle antérieure d'un délégué syndical en surnombre importe peu, que l'employeur était en droit de revenir de manière unilatérale à l'application des dispositions légales par décision du 20 août 2020, le seul délégué syndical dans l'entreprise étant d'office représentant syndical au comité social et économique. L'arrêt en déduit que le salarié n'a jamais eu la qualité de représentant syndical au comité social et économique et ne bénéficie donc pas du statut protecteur.
15. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l'employeur, préalablement à sa décision unilatérale du 20 août 2020 révoquant la possibilité pour un syndicat de désigner un représentant syndical surnuméraire au comité social et économique, avait informé les syndicats représentatifs concernés, n'y eût-il qu'une seule organisation syndicale représentative dans l'entreprise, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne la société [4] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [4] et la condamne à payer à M. [S] et au syndicat des services CFDT des Savoie la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.