LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CL
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 30 avril 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 214 F-D
Pourvoi n° S 23-13.171
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 AVRIL 2025
Le groupement d'intérêt économique Oc'Via construction, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 23-13.171 contre l'arrêt rendu le 10 janvier 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 - chambre 16), dans le litige l'opposant à la société Guintoli, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de la SCP Duhamel, avocat du groupement d'intérêt économique Oc'Via construction, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Guintoli, après débats en l'audience publique du 18 mars 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 janvier 2023), par une convention de fortage du 28 avril 2006, la société [Adresse 2] a consenti à la société Guintoli le droit exclusif d'exploiter la carrière de [Localité 3] (Gard).
2. Le 28 novembre 2013, la société Guintoli a conclu avec le groupement d'intérêt économique Oc'Via construction (le GIE), chargé de la construction de la ligne de train à grande vitesse [Localité 5]-[Localité 4], un contrat d'exploitation de cette carrière, par lequel elle lui a accordé un droit exclusif de prélever plusieurs types de matériaux.
3. Le 11 mars 2014, la société Guintoli a conclu avec le GIE un contrat d'entreprise extérieure confiant à ce dernier les travaux nécessaires à l'exploitation de la carrière.
4. Le 31 décembre 2015, la société Guintoli a adressé au GIE une facture d'un montant de 1 419 257,04 euros TTC, payable le 28 février 2016.
5. Contestant les sommes facturées, le GIE a saisi le comité de médiation et d'arbitrage des travaux publics en application de l'article 13 du contrat d'entreprise extérieure.
6. Par une sentence du 19 février 2019, le tribunal arbitral a condamné le GIE à payer à la société Guintoli une certaine somme.
7. Le GIE a formé un recours en annulation contre cette sentence.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il porte sur les honoraires et frais d'arbitrage, les frais irrépétibles et les dépens
Enoncé du moyen
9. Le GIE fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société Guintoli les honoraires et frais d'arbitrage par parts égales, une certaine somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, alors « que les intérêts de retard ne peuvent commencer à courir avant que la créance soit certaine, liquide et exigible ; qu'en l'espèce, l'article 4.2 de la convention d'exploitation de la carrière de [Localité 3] conclue entre la société Guintoli et le GIE Oc'Via subordonnait le paiement du solde du prix à cette société au règlement préalable de trois acomptes, à la mise en place de travaux de réaménagement du site, et au constat contradictoire des quantités de matière réellement extraites de la carrière ; que le 31 décembre 2015, la société Guintoli a néanmoins prématurément adressé une facture d'un montant total de 1 419 257,04 euros TTC à titre de solde du prix prétendument dû par le GIE Oc'Via au titre de l'année 2015, tandis que le paiement de ce prix n'était pas exigible, en l'absence notamment d'un constat contradictoire entre les parties des quantités de matières réellement extraites de la carrière ; qu'en condamnant toutefois le GIE Oc'Via à payer des intérêts de retard sur le solde du prix à compter du 28 février 2016, date d'exigibilité de la facture du 31 décembre 2015, sans rechercher si les parties avaient alors arrêté contradictoirement les quantités de matière extraites, ce qui n'était pas le cas puisque ces quantités n'ont été déterminées qu'ultérieurement par une expertise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
10. Le moyen, en ce qu'il critique exclusivement les motifs au soutien de la condamnation du GIE à payer les intérêts conventionnels sur la somme en principal à compter du 28 février 2016, est inopérant, s'agissant des chefs de dispositif relatifs aux honoraires et frais d'arbitrage et aux frais irrépétibles, qui sont justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il porte sur
le point de départ des intérêts au taux conventionnel
Enoncé du moyen
12. Le GIE fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société Guintoli des intérêts sur la somme de 1 101 683 euros, calculés au taux de la Banque centrale européenne lui-même majoré de 10 points, à compter du 28 février 2016 et jusqu'à parfait règlement, alors « que les intérêts de retard ne peuvent commencer à courir avant que la créance soit certaine, liquide et exigible ; qu'en l'espèce, l'article 4.2 de la convention d'exploitation de la carrière de [Localité 3] conclue entre la société Guintoli et le GIE Oc'Via subordonnait le paiement du solde du prix à cette société au règlement préalable de trois acomptes, à la mise en place de travaux de réaménagement du site, et au constat contradictoire des quantités de matière réellement extraites de la carrière ; que le 31 décembre 2015, la société Guintoli a néanmoins prématurément adressé une facture d'un montant total de 1 419 257,04 euros TTC à titre de solde du prix prétendument dû par le GIE Oc'Via au titre de l'année 2015, tandis que le paiement de ce prix n'était pas exigible, en l'absence notamment d'un constat contradictoire entre les parties des quantités de matières réellement extraites de la carrière ; qu'en condamnant toutefois le GIE Oc'Via à payer des intérêts de retard sur le solde du prix à compter du 28 février 2016, date d'exigibilité de la facture du 31 décembre 2015, sans rechercher si les parties avaient alors arrêté contradictoirement les quantités de matière extraites, ce qui n'était pas le cas puisque ces quantités n'ont été déterminées qu'ultérieurement par une expertise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable à la cause :
13. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
14. Pour fixer au 28 février 2016 le point de départ des intérêts de retard courant sur la somme de 1 101 683 euros, l'arrêt retient qu'il s'agit de la date d'exigibilité de la facture et qu'il importe peu que son montant ait été contesté par le GIE et qu'une instance arbitrale ait été engagée, dès lors que le GIE a reconnu être demeuré débiteur de cette somme.
15. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la créance objet de la facture du 31 décembre 2015 était certaine, liquide et exigible au 28 février 2016, en l'état des stipulations de l'article 4.2 de la convention d'exploitation prévoyant que le montant du solde dû par le GIE serait calculé à partir des quantités réellement extraites et mesurées contradictoirement par les parties, et alors que ces mesures contradictoires ne sont intervenues qu'au cours de la procédure arbitrale, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe au 28 février 2016, le point de départ des intérêts de retard calculés au taux de la Banque centrale européenne majoré de 10 points sur la somme de 1 101 683 euros, due par le groupement d'intérêt économique Oc'Via construction à la société Guintoli, l'arrêt rendu le 10 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Guintoli aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le trente avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.