LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 30 avril 2025
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 394 F-D
Pourvoi n° K 22-23.212
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 AVRIL 2025
La société Denis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 22-23.212 contre l'arrêt rendu le 7 septembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Hamel, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société MJ [E] & associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], prise en la personne de M. [H] [E], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Hamel,
défenderesses à la cassation.
La société Hamel et la société MJ [E] & associés, prise en la personne de M. [E], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Hamel, ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Waguette, conseiller, les observations de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la société Denis, de la SCP Boullez, avocat de la société Hamel et de la société MJ [E] & associés, prise en la personne de M. [E], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Hamel, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 mars 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Waguette, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 septembre 2022), rendu sur renvoi après cassation (Com., 8 juillet 2020, pourvoi n° 18-24.441), la société Hamel a saisi un tribunal de commerce le 2 avril 2015 d'une demande tendant à voir condamner la société Denis en paiement de dommages et intérêts en réparation d'une rupture brutale de relations commerciales établies sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce.
2. Par un jugement du 22 janvier 2016, confirmé par un arrêt d'une cour d'appel du 27 juin 2018, le tribunal de commerce a déclaré irrecevable comme prescrite la demande de la société Hamel et de M. [E], intervenu à l'instance en qualité de mandataire au redressement judiciaire de la société Hamel.
3. Par un arrêt du 8 juillet 2020, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé l'arrêt du 27 juin 2018 en ce qu'il confirmait le jugement ayant déclaré la demande prescrite.
4. La société Hamel et la société [E] & associés, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Hamel, ont saisi une cour d'appel de renvoi.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le deuxième moyen du pourvoi principal
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
6. La société Denis fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 22 janvier 2016 en ce qu'il déclare irrecevables les demandes formulées par la société Hamel, de dire que, n'ayant pas conclu dans le délai imparti par l'article 1037-1, alinéa 4, du code de procédure civile, la société Denis est réputée s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elle avait soumis à la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé en application de l'article 1037-1, alinéa 6, du code de procédure civile et de déclarer l'action de la société Hamel recevable, alors « que chaque fois que la signification d'un acte de procédure fait courir un délai à l'encontre de la partie adverse, celle-ci doit porter mention expresse de ce délai, faute de quoi le délai ne court pas ; que, dès lors, sur renvoi après cassation, la signification des conclusions de l'auteur de la saisine de la cour d'appel de renvoi à la partie adverse n'ayant pas constitué avocat, qui fait courir à son encontre un délai de deux mois pour remettre et notifier ses conclusions, doit expressément mentionner ledit délai, faute de quoi le délai de deux mois pour conclure n'a pas pu commencer à courir ; qu'en l'espèce, en déclarant tardives et comme telles irrecevables les conclusions de la société Denis sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si la signification des conclusions de la société Hamel du 4 janvier 2021 à la société Denis, qui n'avait pas constitué avocat, indiquait le délai qui lui était imparti pour conclure devant la juridiction de renvoi et si, à défaut, il en était résulté pour elle un grief, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 911 et 1037-1 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
7. Les défendeurs au pourvoi contestent la recevabilité du moyen dont ils soutiennent qu'il est nouveau.
8. Cependant, il ressort de ses conclusions d'appel que la société Denis a soutenu qu' en l'absence d'indication du délai dans lequel le destinataire de l'acte doit déposer ses écritures, aucun délai ne saurait courir à son égard.
9. Le moyen, qui se trouvait ainsi inclus dans le débat, est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 911 et 1037-1 du code de procédure civile :
10. Selon le dernier de ces textes, la déclaration de saisine est signifiée par son auteur aux autres parties à l'instance ayant donné lieu à la cassation dans les vingt jours de la notification par le greffe de l'avis de fixation. Les conclusions de l'auteur de la déclaration sont remises au greffe et notifiées dans un délai de deux mois suivant cette déclaration.
11. Il résulte des deux derniers de ces textes, interprétés à la lumière du premier que l'absence d'indication, dans l'acte de signification des conclusions de l'auteur de la déclaration de saisine à une partie qui n'a pas constitué avocat, du délai qui lui est imparti pour conclure en réponse et du point de départ de ce délai, a pour effet de ne pas faire courir ce délai.
12. Pour dire que la société Denis n'avait pas conclu dans le délai imparti par l'article 1037-1 du code de procédure civile, l'arrêt retient que l'intimée ne justifie pas d'un texte prescrivant, à peine de nullité, de mentionner l'obligation de constituer avocat dans le ressort de la cour d'appel ainsi que le délai pour conclure.
13. En statuant ainsi, alors qu'elle aurait dû constater que la signification de conclusions non assortie des mentions requises n'avait pas fait courir le délai pour conclure de l'intimée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt qui déclare irrecevables les demandes formulées par la société Hamel, dit que, n'ayant pas conclu dans le délai imparti par l'article 1037-1, alinéa 4, du code de procédure civile, la société Denis est réputée s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elle avait soumis à la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé en application de l'article 1037-1, alinéa 6, du code de procédure civile et déclare l'action de la société Hamel recevable entraîne la cassation des autres chefs de dispositif qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal ni sur les griefs du pourvoi incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Hamel aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Hamel et la société MJ [E] & associés, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Hamel, et condamne la société Hamel à payer à la société Denis la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le trente avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.