LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 29 avril 2025
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 414 F-D
Pourvoi n° X 24-11.432
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 AVRIL 2025
M. [U] [B], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 24-11.432 contre l'arrêt rendu le 14 novembre 2023 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à la société Le Grain d'orge, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cavrois, conseiller, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [B], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Le Grain d'orge, après débats en l'audience publique du 19 mars 2025 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Cavrois, conseiller rapporteur, Mme Le Quellec, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 14 novembre 2023), M. [B] a été engagé en qualité de programmeur CFAO, statut ouvrier, par la société Le Grain d'orge, à compter du 10 septembre 2018 par contrat à durée déterminée, puis à compter du 1er janvier 2019 par contrat à durée indéterminée.
2. Le 7 décembre 2020, il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et de ses demandes subséquentes au titre de la prime de vacances et des congés payés afférents, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences prévues par les articles L. 3171-2, alinéa 1er, et L. 3171-3, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail ; qu'après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant ; que pour débouter le salarié de ses demandes au titre des heures supplémentaires, la cour d'appel a retenu qu'il avait produit un rapport établi par un cabinet d'expertise comptable, lequel incluait des tableaux comptabilisant, par mois, le nombre d'heures supplémentaires qu'il alléguait avoir réalisées, sans toutefois préciser ses horaires de travail quotidiens et hebdomadaires, et que, faute pour lui de produire d'autres éléments au soutien de sa demande, ce rapport n'était pas suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
4. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
5. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
6. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
7. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt relève que le salarié produit un rapport établi à sa demande par un cabinet d'expertise comptable chiffrant, sur la base de ses déclarations et faisant apparaître des tableaux comptabilisant, par mois, le nombre d'heures supplémentaires que le salarié allègue avoir réalisées, sans toutefois contenir aucune précision sur les horaires de travail quotidiens et hebdomadaires du salarié.
8. Il retient ensuite que ce rapport, faute pour le salarié de produire d'autres éléments au soutien de sa demande, n'est pas suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que le salarié prétend avoir accomplies pour permettre à l'employeur, chargé de contrôler les heures de travail de ses salariés, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
9. En statuant ainsi, alors que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
10. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute le salarié de sa demande en paiement de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et de sa demande au titre de la prime de vacances et des congés payés afférents, l'arrêt rendu le 14 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne la société Le Grain d'orge aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Le Grain d'orge et la condamne à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le vingt-neuf avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.