LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 3 avril 2025
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 188 F-D
Pourvoi n° P 23-21.080
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 AVRIL 2025
M. [B] [S], domicilié [Adresse 7], a formé le pourvoi n° P 23-21.080 contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 6), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [K] [F],
2°/ à Mme [J] [M], épouse [F],
tous deux domiciliés [Adresse 5],
3°/ à M. [C] [V], domicilié [Adresse 2],
4°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publiques, (SMABTP), dont le siège est [Adresse 8],
5°/ à Mme [Z] [L], domiciliée [Adresse 3],
6°/ à la société [A], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
7°/ à la société Sèle, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
8°/ à la société Aurige, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], anciennement M. [A],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bironneau, conseiller référendaire, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de M. [S], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [V] et de Mme [L], de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de M. et Mme [F], de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publiques et des sociétés Sèle et Aurige, après débats en l'audience publique du 4 mars 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Bironneau, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er juillet 2022), M. et Mme [F] ont confié à la société Sèle, assurée auprès de la SMABTP, la réalisation de travaux de réfection des façades de leur château, sous la maîtrise d'oeuvre d'exécution de M. [V].
2. Ont également participé à cette opération de construction Mme [L], en charge de l'établissement du dossier de permis de construire, du contrôle architectural du projet et de l'assistance aux opérations de réception, et M. [S], chargé d'une mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage.
3. Se plaignant de désordres, M. et Mme [F] ont, après expertise, assigné les intervenants à l'opération de construction et leurs assureurs en résolution des marchés de travaux et indemnisation de leurs préjudices.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [S] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. et Mme [F], certaines sommes, in solidum, d'une part avec la société Sèle, la SMABTP et M. [V], d'autre part avec la société Sèle et la SMABTP, alors « que le juge ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées et doit viser celles-ci avec l'indication de leur date ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est prononcée au visa de conclusions déposées par M. [S] le 15 octobre 2019 ; que cependant celui-ci avait déposé ses dernières conclusions d'appel le 17 février 2022 ; que la cour d'appel, qui s'est ainsi prononcée au visa de conclusions antérieures aux dernières conclusions de M. [S], a donc violé les articles 455, alinéa 1er, et 954, alinéa 2, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Il ne ressort pas des productions que les conclusions de M. [S] datées du 17 février 2022 ont été notifiées via le réseau privé virtuel avocats (RPVA).
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
7. M. [S] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. et Mme [F] certaines sommes, in solidum, d'une part avec la société Sèle, la SMABTP et M. [V], d'autre part avec la société Sèle et la SMABTP, alors :
« 1°/ que le contrat du 14 novembre 2008 signé avec M. [F] était un contrat d'assistance du maître de l'ouvrage qui avait confié à M. [S] une mission d'assistance du maître d'ouvrage lors de la mise au point et de l'exécution du marché pour toutes les questions techniques notamment en ce qui concerne les préconisations du fabricant, des entreprises et du maître d'oeuvre d'exécution, ce qui ne correspond en aucun cas à une mission de maîtrise d'oeuvre et de prescription ; qu'en exécution de ce contrat, M. [S] devait s'assurer avec la maîtrise d'oeuvre que les travaux et les produits prescrits dans le cadre de l'expertise judiciaire étaient bien conformes et mis en oeuvre conformément au marché, étant sous-entendu que cette mission ne pouvait être assurée que sur documents
puisque le conseil technique n'était pas sur place et n'avait pas de budget de déplacement ; que la mission de M. [S] restait donc une mission de conseil du maître d'ouvrage et que M. [S] n'avait pas été intégré à la maîtrise d'oeuvre d'exécution ; que cependant, pour apprécier la responsabilité de M. [S] dans la survenance des désordres, la cour d'appel a inclus celui-ci dans la maîtrise d'oeuvre en considérant, "Sur la responsabilité de la maîtrise d'oeuvre", que "l'architecte est responsable contractuellement envers le maître de l'ouvrage de ses fautes dans la conception de l'ouvrage, dans l'exécution de sa mission de contrôle des travaux, dans l'exécution de sa mission de direction, de suivi et de coordination des travaux et de ses manquements au devoir de conseil lui incombant"; qu'ainsi qu'il résulte du contrat du 14 novembre 2008 signé le 2 avril 2009, M. [S] n'avait cependant pas la qualité d'architecte et n'est pas intervenu en qualité de maître d'oeuvre ; qu'en appréciant ainsi la responsabilité de M. [S] dans le cadre général de celle de la maitrise d'oeuvre, la cour d'appel a dénaturé le contrat d'assistance du 14 novembre 2008, en violation de l'article 1134 du code civil en sa version applicable antérieure au 1er octobre 2016, d'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, et du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents qui lui sont soumis, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa version antérieure à ladite ordonnance ;
2°/ que tout jugement doit être motivé ; que les juges du fond ne doivent pas procéder par voie de simples affirmations ; que, pour retenir la responsabilité de M. [S], la cour d'appel s'est bornée à retenir la compétence et l'expérience de celui-ci sans se référer à la moindre stipulation du contrat d'assistance le liant au maître de l'ouvrage, a seulement mentionné sa qualité d'ingénieur conseil sans faire référence à aucune pièce ou élément du dossier d'où elle déduisait sa compétence et son expérience, n'a pas précisé les pièces ou éléments du dossier desquels elle déduisait que son attention avait été appelée sur la difficulté du chantier, circonstance qui en outre était impropre à caractériser une défaillance dans l'accomplissement de sa mission, et n'a pas précisé les circonstances ou les pièces desquelles elle déduisait que le choix de la technique de finition s'agissant des glacis et des soubassements devait être imputé à M. [S] ; qu'en statuant ainsi par voie de simples affirmations sans autre précision, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 code civil en sa version applicable antérieure au 1er octobre 2016, d'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, et 1147 du code civil, dans sa version antérieure à ladite ordonnance, ensemble l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que le juge ne doit pas dénaturer les documents qui lui sont soumis ; que, pour retenir la responsabilité de M. [S], la cour d'appel, après avoir retenu qu'il résultait des pièces du marché que le devis initial du 3 mars 2009 prévoyait expressément l'application, tant sur les glacis que sur les parements verticaux, d'enduits à la chaux, et que le CCTP, en page 11, stipulait un "enduit au mortier de chaux des parements verticaux", a considéré que M. [S] avait manqué à son obligation de conseil en ne vérifiant pas la composition des enduits à appliquer qui se sont révélés dépourvus de chaux, "alors que les pièces du marché, ses propres observations préalables au démarrage des travaux et les recommandations du fabricant prescrivaient l'utilisation d'enduit de mortier traditionnel à base de chaux comme nécessaire à la respiration des murs et à éviter l'apparition de fissurations" et qu'il "n'ignorait donc pas l'importance de la présence de chaux dans la composition du mortier à appliquer"; que cependant ledit devis de la société Sèle du 3 mars 2009, qui prévoyait l'application sur les glacis d'un enduit d'imperméabilisation sans préciser s'il devait être ou non à la chaux, n'imposait pas la chaux dans la composition des enduits, et qu'il en résultait que la nature de l'enduit à appliquer sur les glacis n'était pas précisée et devait être déterminée lors des essais de convenance avec l'aide du fabricant ; qu'il s'en déduisait que l'absence de préconisation de la chaux dans ladite composition ne pouvait être rattachée à un manquement de M. [S] à son obligation de conseil ; que, par suite, la cour d'appel, en retenant néanmoins la responsabilité de M. [S], a donc dénaturé ce devis en violation du principe énoncé ci-dessus. »
Réponse de la Cour
8. La cour d'appel, qui a relevé, sans dénaturation du contrat d'assistance à la maîtrise d'ouvrage, que M. [S] avait reçu pour mission d'assister les maîtres d'ouvrage lors de la mise au point et de l'exécution du marché pour toutes les questions techniques, notamment en ce qui concerne les matériaux, a souverainement retenu qu'ayant participé au choix des enduits tant au cours de l'expertise judiciaire ayant précédé les travaux de reprise que lors des essais de convenance réalisés en 2009, il n'ignorait pas l'importance de la présence de chaux dans la composition du mortier à appliquer pour éviter l'apparition de fissurations.
9. Ayant constaté que le produit finalement appliqué n'en contenait pas et que le choix de la technique de finition, s'agissant des glacis et des soubassements n'était pas adapté, elle a pu en déduire, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche, qu'en ne vérifiant pas la composition des enduits à appliquer, il avait manqué à son obligation de conseil à l'égard du maître de l'ouvrage et le condamner, en conséquence, in solidum avec d'autres, à réparation.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [S] à payer à M. et Mme [F] la somme globale de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois avril deux mille vingt-cinq.