LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 mars 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 298 F-D
Pourvoi n° V 22-22.324
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 MARS 2025
Mme [P] [O], épouse [X], domiciliée [Adresse 4], a formé le pourvoi n° V 22-22.324 contre l'arrêt rendu le 22 juin 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [F] [O], domicilié [Adresse 2], (Portugal),
2°/ à Mme [N] [O], épouse [T], domiciliée [Adresse 3],
3°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [P] [O], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [F] [O], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 février 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 juin 2022), par jugement du 31 juillet 2014, un tribunal de grande instance a ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de [R] [O], fixé les sommes à rapporter à la succession par Mme [P] [O] et dit que les sommes perçues par M. [F] [O] au titre d'un contrat d'assurance-vie n'avaient pas lieu d'être rapportées à la succession ni prises en compte pour le calcul de la réserve.
2. Par un arrêt du 2 mars 2016, complété par un arrêt du 11 mai 2016, une cour d'appel a, sur l'appel de Mme [P] [O], infirmé le jugement concernant les dispositions relatives aux rapports dus par cette dernière et statué à nouveau sur ces points.
3. Sur le pourvoi formé par Mme [P] [O], l'arrêt du 2 mars 2016 a été cassé (1re Civ., 4 mai 2017, pourvoi n° 16-17.104), mais seulement en ce qu'il fixe la somme que celle-ci devra rapporter à la succession au titre de la rente viagère, et, par un arrêt du 12 décembre 2018, statuant sur renvoi après cassation, une cour d'appel a infirmé le jugement sur ce point et statué à nouveau.
4. Par une ordonnance du 28 octobre 2019, un juge des référés a, sur assignation de Mme [P] [O] en date du 4 mars 2019, ordonné à la société La Mondiale partenaire de communiquer à la demanderesse un contrat d'assurance-vie souscrit par [R] [O], avec mention de la clause bénéficiaire et les justificatifs des mouvements de fonds, tous les éléments permettant de savoir si les capitaux ont été payés aux bénéficiaires, en précisant leur nom et la date du paiement et tous justificatifs du rachat partiel d'une certaine somme en avril 2010.
5. Par actes des 29 et 30 septembre 2020, Mme [P] [O] a assigné M. [F] [O] et Mme [N] [O] en révision des arrêts rendus les 3 mars 2016, 11 mai 2016 et 12 décembre 2018.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
6. Mme [P] [O] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son recours en révision, alors :
« 1°/ que seule la faute commise dans le cadre de la procédure achevée par le jugement dont la révision est demandée rend le recours en révision irrecevable ; qu'en imputant à faute à Mme [X] le délai de trois ans séparant l'arrêt du 2 mars 2016, dont la révision était demandée, et la saisine du juge des référés, ayant donné lieu à l'ordonnance du 28 octobre 2019 grâce à laquelle elle a obtenu des éléments pertinents, les juges du fond ont pris en compte une prétendue faute étrangère à la procédure au terme de laquelle l'arrêt dont la révision était demandée a été rendu, et par suite aux prévisions de la loi ; que ce faisant, ils ont violé l'article 595 du code de procédure civile ;
3°/ que la faute de l'auteur du recours en révision est exclue lorsqu'il a mobilisé l'une au-moins des institutions du code de procédure civile permettant de conjurer le risque de fraude ; qu'en retenant une faute à la charge de Mme [X], cependant qu'ils constataient qu'elle avait formulé une injonction de communiquer et suggéré qu'une expertise fût diligentée, les juges du fond ont violé l'article 595 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 595 du code de procédure civile :
7. Selon ce texte, le recours en révision n'est recevable que si son auteur n'a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu'il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée.
8. Pour déclarer irrecevable le recours en révision, l'arrêt relève que Mme [P] [O], qui soutient que c'est par fraude que son frère s'est toujours opposé à rendre compte de ses mandats et n'a jamais voulu révéler les donations dont il a, selon elle, bénéficié, se prévaut des éléments obtenus en exécution de l'ordonnance de référé du 28 octobre 2019, qu'il résulte des motifs de l'arrêt du 2 mars 2016 que, dès cette instance, elle souhaitait voir déterminer les montants et dates des versements sur le contrat d'assurance-vie souscrit par son père, qu'elle évoquait la nécessité d'une expertise pour connaître les mouvements réalisés par M. [F] [O] dans le cadre du mandat qu'elle alléguait et, comme le souligne le ministère public, la cour d'appel l'a déboutée de ses prétentions en retenant sa carence dans la charge qui lui incombait de la preuve de l'existence du mandat et des prélèvements allégués, tout en détaillant l'ensemble des moyens qui étaient à sa disposition pour obtenir cette preuve, que la cour d'appel a ainsi rappelé qu'il lui était loisible, en sa qualité d'héritière du défunt, de solliciter auprès des établissements bancaires concernés, en les informant de l'ouverture de la succession et en temps utile, compte tenu du délai légal d'archivage de ce type de document, la communication de toute procuration et relevés, que le notaire commis était autorisé à consulter et à se faire remettre les informations du fichier Ficoba concernant les comptes de [R] [O], que Mme [P] [O] n'avait sollicité une injonction de communiquer qu'au dispositif de ses écritures au fond, devant la cour d'appel, et qu'elle s'était abstenue de solliciter valablement l'expertise simplement évoquée dans la partie de ses conclusions consacrée à la discussion, sans même en préciser les contours exacts quant aux comptes et opérations concernés.
9. L'arrêt en déduit que la procédure engagée trois ans plus tard devant le juge des référés pour recueillir les éléments d'information utiles traduit une inertie qui, ajoutée aux abstentions déjà relevées par la cour dans son arrêt du 2 mars 2016 valant avertissement, constitue une faute de sa part au sens du dernier alinéa de l'article 595 du code de procédure civile.
10. En statuant ainsi, alors que Mme [P] [O] avait saisi la cour d'appel d'une injonction de communiquer à laquelle il n'avait pas été fait droit, ce dont il résulte qu'aucune faute ne pouvait lui être reprochée dans la conduite de la procédure, peu important à cet égard le délai écoulé entre l'arrêt du 2 mars 2016 et la saisine du juge des référés à fin de communication de pièces, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable le recours en révision formé par Mme [P] [O] et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 22 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel Paris autrement composée ;
Condamne M. [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mars deux mille vingt-cinq.